Pharma Papers

Lobbying et mégaprofits :
tout ce que les labos pharmaceutiques voudraient vous cacher.
Laboratoires pharmaceutiques,
lobbying et mégaprofits

Médecine : la presse spécialisée sous la coupe de l’industrie pharmaceutique

Les professionnels de santé ne sont pas les seuls à recevoir des cadeaux des laboratoires pharmaceutiques. Depuis 2012, selon EurosForDocs, les journaux médicaux et agences de com’, qui influencent eux aussi indirectement les médecins, ont reçu 258 millions d’euros de la part des entreprises du médicament.

« Après Transparence santé, Pharma Papers lavera-t-il encore plus blanc ? », s’interroge le Journal international de médecine (JIM) dans un article faisant suite à la publication des premiers volets des « Pharma Papers ». Visiblement, le deuxième média le plus lu par les blouses blanches (250 000 visites par mois) apprécie moyennement notre dossier sur les liens d’intérêts des médecins avec les laboratoires pharmaceutiques. Est-ce un hasard ? Ce média a reçu 733 774 euros de la part de l’industrie du médicament depuis 2012. Soit 122 296 euros par an.

« C’est n’importe quoi, c’est largement sous-évalué par rapport à ce que nous avons réellement perçu des laboratoires! », réagit pourtant le directeur de la publication du Journal international de médecine, Gilles Haroche. D’après lui, ce seraient au moins 500 000 euros par an qui arriveraient dans les poches du journal chaque année si l’on compte les annonces publicitaires financées aux deux tiers par les laboratoires (1).

Au moins 258 millions d’euros de dépenses de com’ des labos depuis 2012

Et encore, c’est sans compter les « opérations rédactionnelles », poursuit Gilles Haroche, « qui consistent à fournir du contenu à des éditeurs ou des sites médicaux clients, ou encore à des organisateurs de congrès qui demandent d’en faire un compte rendu ». Congrès eux-mêmes financés en grande majorité par les laboratoires. « Les “retours de congrès” consistent à résumer des études présentées en congrès dont la majorité ne seront pas publiées dans des revues scientifiques de référence parce qu’elles ne tiennent pas la route. On n’y parle pas trop des études aux résultats négatifs. Résultat, le contenu est médiocre », commente Jean-Sébastien Borde, vice-président du Formindep, association qui milite pour une formation indépendante des médecins.

L’industrie pharmaceutique concentre tous ses efforts sur la presse médicale.

Le cas du Journal international de médecine n’est pas isolé : comme la publicité de médicaments remboursés par la sécurité sociale est interdite auprès du grand public, l’industrie pharmaceutique concentre toutes ses réclames sur la presse médicale. Dans la rubrique « presse et média » de la base Transparence santé, les laboratoires ont déclaré avoir dépensé 258 millions d’euros depuis 2012, selon EurosForDocs. Parmi les journaux qui bénéficient des largesses des labos, on trouve aussi le Le quotidien du médecin. Le journal le plus lu par les blouses blanches (675 000 visites du site par mois, 48 000 exemplaires diffusés) a reçu au moins 102 791 euros par an des labos depuis 2012. Soit un total de 616 747 euros donnés par l’industrie pharmaceutique. Sa direction n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.

Prescrire, un financement indépendant grâce aux abonnements

Prescrire, seule publication médicale de l’Hexagone indépendante de l’industrie pharmaceutique.

Du côté du JIM, on affirme que le financement des laboratoires est indispensable : « C’est le seul moyen qu’ont les journaux, ou au moins la presse médicale, de se financer », explique Gilles Haroche. Les abonnements rapporteraient seulement environ 100 000 euros par an au JIM. La revue de référence Prescrire est pourtant un parfait contre-exemple. Son financement repose exclusivement sur ses abonnés. Ils sont environ 27 000 à soutenir la revue, qui est de fait la seule publication médicale de l’Hexagone qui soit indépendante de l’industrie pharmaceutique. Qu’indique la base de données EurosForDocs pour la revue Prescrire ? 2 384 euros. Ce qui correspond, après vérifications, à des abonnements d’entreprises pharmaceutiques. « Certains laboratoires ont peut-être intérêt à semer le doute en déclarant ces montants sur la base Transparence santé pour qu’on nous demande d’où cela sort », réagit Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue Prescrire.

Des publicités déguisées en article

La plupart des abonnés de Prescrire sont des médecins généralistes, « moins sous pression des firmes et donc davantage ouverts aux recommandations de Prescrire », estime le directeur de publication. Pour Jean-Sébastien Borde, vice-président du Formindep mais aussi néphrologue, la lecture de Prescrire s’avère tout aussi précieuse pour les spécialistes puisque « la revue s’intéresse principalement aux nouveaux médicaments. Or depuis quelques années, il s’agit surtout de traitements en oncologie », la spécialité médicale d’étude, de diagnostic et de traitement des cancers.

Communiquer avec les spécialistes du cancer est primordial pour les labos, car ce sont aujourd’hui les traitements les plus lucratifs (lire notre article). Pour cela, « les firmes pharmaceutiques utilisent la presse médicale qu’elles sponsorisent », souligne Bruno Toussaint . Et notamment les titres de presse spécialisée distribués gratuitement. « Dans “La lettre du cardiologue”, au-delà des pages publicitaires classiques, les textes relèvent du publi-rédactionnel [ndlr : des publicités déguisées sous la forme d’articles] », explique Jean-Sébastien Borde. La Lettre du cardiologue est éditée par Edimark… une société pour laquelle l’industrie pharmaceutique a dépensé plus de 17,8 millions d’euros depuis 2012, soit près de 3 millions d’euros par an ! Edimark n’a pas répondu à nos sollicitations.

« Afficher les liens d’intérêts prendrait trop de place »

La presse médicale britannique met un point d’honneur à afficher au moins les liens d’intérêts des auteurs médecins.

Cela pose-t-il nécessairement un problème éthique ? « Il y a aussi des conflits d’intérêts entre les annonceurs publicitaires et la presse généraliste », se défend le directeur de publication du JIM. Certes, mais « la pertinence des informations dans la presse médicale influence les ordonnances, avec des conséquences dans le domaine de la santé qui peuvent aller jusqu’aux scandales sanitaires », dénonce Jean-Sébastien Borde. À défaut d’une indépendance financière vis-à-vis des laboratoires, la presse médicale britannique met par exemple un point d’honneur à afficher au moins les liens d’intérêts des auteurs médecins pour mieux avertir les lecteurs. Ce n’est pas le cas en France.

Le site du JIM affiche ainsi clairement la couleur : « Les membres de notre comité de rédaction n’ont pas transmis de conflits d’intérêt concernant les articles qu’ils rédigent pour JIM. Les éventuels conflits d’intérêt des signataires des textes originaux analysés et commentés par JIM sont mentionnés dans les revues sources. » Ce que Gilles Haroche justifie ainsi : « On ne peut pas afficher les liens d’intérêts des auteurs des études présentées dans le journal, sinon cela prendrait trop de place, il n’y aurait que ça ! »

NOTES

  • (1) Les annonces publicitaires représentent la moitié du budget annuel du media, de l’ordre de 1,5 million d’euros.