Pharma Papers

Lobbying et mégaprofits :
tout ce que les labos pharmaceutiques voudraient vous cacher.
Laboratoires pharmaceutiques,
lobbying et mégaprofits

Les labos soignent plus particulièrement les spécialistes du cancer

Sans surprise, les spécialistes du cancer dominent le classement des professions de santé qui ont noué le plus de liens d’intérêts avec les firmes pharmaceutiques. Les médicaments anticancéreux représentent une proportion importante des dépenses de santé actuelle. Les labos comptent beaucoup sur leurs nouveaux produits dans ce domaine, très onéreux, pour soigner leur taux de profit. Parmi les laboratoires, Sanofi et MSD déclarent les sommes les plus importantes.

Chaque année, en France, apparaissent près de 400 000 nouveaux cas de cancer, et la maladie cause 150 000 décès. En 2014, 147 564 patients étaient traités par un anticancéreux, selon une étude de l’Institut national du cancer. Ces médicaments représentent chaque année une proportion substantielle des dépenses de la sécurité sociale. Et cette proportion risque d’augmenter, car l’industrie pharmaceutique voit dans les nouveaux traitements anticancéreux, très coûteux malgré une efficacité parfois contestée (1), une perspective de profits considérables pour l’avenir.

Les spécialistes du cancer sont les plus approchés

Sans surprise, les spécialistes du cancer, notamment les oncologues, sont les médecins les plus choyés par l’industrie pharmaceutique en termes de gratifications (repas, transport, hébergement lors des colloques…) ou de contrats (formations, animations de conférences, signatures d’articles scientifiques…). Dans le top 3 des spécialités médicales les plus arrosées, on retrouve ainsi les oncologues (option onco-hématologie), les hématologues (qui traitent notamment les leucémies) et les oncologues (option médicale). En moyenne, un laboratoire a dépensé pour chaque oncologue (option onco-hématologie) 70 300 euros en six ans (soit 11 717 euros par an, ou 976 euros par mois), selon les données issues de notre base de données EurosForDocs (lire notre article « Entre les labos pharmaceutiques et les médecins, 14 millions de conflits d’intérêts potentiels ! »).

Les 10 spécialités les plus arrosées

Spécialité Montant moyen déclaré par médecin (€)
Oncologie (option onco-hématologie) 70 300 €
Hématologie 62 569 €
Oncologie option médicale 17 716 €
Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 13 447 €
Endocrinologie et métabolisme 13 241 €
Radio-thérapie 12 496 €
Pneumologie 11 235 €
Chirurgie maxillo-faciale 11 170 €
Neurologie 9 381 €
Cardiologie et maladies vasculaires 9 130 €

Pour un hématologue, le chiffre est de 62 569 euros en six ans, de 2012 à 2017 (soit 10 428 euros par an, ou 869 euros par mois). La moyenne pour un oncologue (option médicale), de 17 715 euros en six ans (soit 2 952 euros par an, ou 246 euros par mois). Viennent ensuite les chirurgiens thoracique et cardiovasculaire, les endocrinologues, les radiologues, les pneumologues, les chirurgiens maxillo-faciale, les neurologues et les cardiologues.

Quant aux médecins généralistes, ils arrivent presque en dernière position : en moyenne, ils ont touché 721 euros depuis 2012. Ils ont beau être beaucoup plus nombreux, ils « rapportent » moins aux laboratoires pharmaceutiques. Jusqu’à la moitié des prescriptions des généralistes serait prédéterminées par celles des médecins hospitaliers (2), les médecins de ville reportant quasi automatiquement les ordonnances de leurs confrères après un passage du patient à l’hôpital. C’est la raison pour laquelle les hospitaliers sont bien plus approchés par les laboratoires, car ils influencent les autres médecins : plus des trois quarts des médecins des CHU ont des liens d’intérêts avec les laboratoires, selon les calculs du Formindep (association pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients) et de Regards citoyens, une association qui oeuvre pour une meilleure transparence dans la vie publique. De plus, pour l’industrie du médicaments, le marché hospitalier hexagonal représente 6 milliards d’euros par an, sur un marché du médicament de 23 milliards d’euros en France.

Les labos les plus généreux avec les médecins

Du côté des labos aussi, la logique économique est respectée. Sanofi, fleuron français de la pharmacie, est celui qui soigne le plus les médecins, sociétés savantes, fondations et associations de patients. C’est le laboratoire au poids industriel le plus important en France, c’est aussi celui qui déclare le plus de dépenses au profit des acteurs de la santé en six ans : 502,2 millions d’euros, soit 83,7 millions d’euros par an, soit 7 millions d’euros par mois.

Les 10 labos les plus généreux

Laboratoire Nombre de liens d’intérêts Montant dépensé
Sanofi SA 830 546 502 227 940 €
MSD 694 820 203 691 182 €
Celgene 32 654 179 350 433 €
Bristol-Myers Squibb 222 464 178 945 398 €
GlaxoSmithKline 496 394 168 462 672 €
Novartis 643 551 142 913 643 €
Astrazeneca 787 506 109 383 498 €
Bayer 345 019 103 641 064 €
Eli Lilly and Company 233 051 90 967 375 €
Servier 225 203 89 631 339 €

Vient ensuite MSD, avec 203,7 millions d’euros en six ans (soit 33,9 millions d’euros par an, ou 2,8 millions d’euros par mois). Une position cohérente par rapport à son poids industriel en France et à son chiffre d’affaires mondial. Plus étonnant, sur la troisième marche du podium des laboratoires les plus « généreux », Celgene, avec 179,3 millions d’euros en six ans (soit 29,9 millions d’euros par an, ou 2,5 millions d’euros par mois). C’est celui du top 10 qui entretient le moins de liens d’intérêts en nombre. En revanche, il dépense beaucoup plus pour chaque médecin ou association sponsorisée (lire notre brève « Pourquoi les relations avec la profession médicale sont au cœur de la stratégie commerciale du laboratoire américain Celgene »).

Dans ce classement viennent ensuite Bristol Myers Squibb, GlaxoSmithKline, Novartis, AstraZeneca, Bayer, Eli Lilly, Servier. Autant de firmes qui figurent aussi tout en haut du classement des remboursements de médicaments par la sécurité sociale. Tous ont été contactés pour cet article. Novartis, GSK, BMS, Merck et Eli Lilly ont répondu à quelques questions par courriel. Mais aucun n’a accepté nos demandes d’entretien.

Les principaux labos en France

Laboratoire Pays d’origine Poids industriel en France* CA monde (en milliards d’euros)
Sanofi France 33,8
GlaxoSmithKline Royaume-Uni 34,1
Merck KGaA Allemagne 15,0
Eli Lilly and Company États-unis 19,2
Servier France 4,0
Astrazeneca Royaume-Uni 20,8
Bristol-Myers Squibb États-Unis 17,6
Boiron France 0,6
Pierre Fabre France 2,2
Ipsen France 1,6
Novartis Suisse 43,8
Novo Nordisk Danemark 15,0

Source : Xerfi * Ce poids est calculé par Xerfi avec un agrégat de la valorisation de la production en France, les effectifs des sites industriels et les volumes de production.

NOTES

  • (1) Plus de la moitié des anticancéreux mis sur le marché européen entre 2009 et 2013 n’ont eu aucun effet positif sur les patients, selon une étude publiée le 5 octobre 2017 dans la revue The British Medical Journal par une équipe de spécialistes londoniens. Et pendant ces cinq années observées, 68 nouveaux traitements ont été approuvés par l’agence européenne du médicament, mais 57% d’entre eux ont été validés sans même avoir prouvé leur efficacité par rapport au précédent.
  • (2) Bras Philippe, Ricordeau Pierre, Rousille Bernadette, Saintoyant Valérie, L’information des médecins généralistes sur le médicament, rapport officiel de l’IGAS n° RM 2007, septembre 2007, p.23