Tribune

Noyés du Canal Saint-Denis : « Préfets et maires, à vous d’empêcher d’autres drames »

Tribune

par Collectif

La situation des personnes exilées et sans domicile - déjà catastrophique - s’est aggravée de façon dramatique en Ile-de-France. Trois personnes sont mortes noyées aux abords du canal Saint-Denis depuis début avril.

Monsieur Leclerc, préfet de Seine-Saint-Denis,
Monsieur Lallement, préfet de Paris.
Madame Hidalgo, Maire de Paris,
Monsieur Russier, Maire de Saint-Denis,
Madame Derkaoui, Maire d’Aubervilliers,

Un homme est mort.

Jamal avait 35 ans. Il était originaire de Tizi-Ouzou en Algérie et vivait depuis un an et demi en France où il avait rejoint une partie de sa famille. Avec la crise sanitaire, Jamal, travailleur sans papiers dans une boite de nuit a, comme beaucoup, perdu son emploi, son logement. Comme des milliers de travailleurs sans papiers, il n’a pu bénéficier d’aucune aide et s’est retrouvé en grande difficulté. Il rendait régulièrement visite à ses amis s’abritant sous le pont au bord du canal à Saint-Denis depuis un mois et demi.

Jeudi 14 mai après-midi, une petite fille a fait tomber son ballon dans le canal, devant le campement. Jamal a voulu récupérer le ballon qui se trouvait au milieu du bassin. C’est au milieu de ce bassin que Jamal s’est noyé. D’après un témoin rapportant les propos des pompiers et présent sur les lieux, Jamal aurait été aspiré par un siphon situé au centre du bassin de la Maltournée et enclenché par l’ouverture des écluses. Ses amis ont tenté de le secourir mais ne sont pas parvenus à le sauver.

Les pompiers ont mis plus d’une heure à retrouver le corps de Jamal. Sa dépouille a été laissée trois heures durant au soleil sur le bord du Canal avant d’être emportée, sur la demande réitérée des témoins et des soutiens présents sur place.

« Ces morts, nous en tenons votre incurie pour responsable »

Jamal est une des trois personnes mortes noyées dans le canal depuis début avril. Ce dimanche 17 mai à 14h, un hommage a été rendu à Aboubakar Sangaré, également mort noyé. Le jeudi 14 mai dernier, le corps d’une femme a été repêché flottant aux abords du pont du Landy, à Aubervilliers. Nous ne connaissons pas son identité ni les circonstances de sa mort. Ce sont des personnes exilées qui ont donné l’alerte.

Ces morts, nous en tenons votre incurie pour responsable. Elles auraient pu être évitées. Elles auraient dû être évitées. A vous d’empêcher d’autres drames.

Depuis le début de la crise sanitaire, l’Etat et les municipalités d’Aubervilliers, de Paris et de Saint-Denis persistent à repousser des personnes en extrême précarité aux abords du canal Saint-Denis et se renvoient la responsabilité de cette situation.

Des demandeurs d’asile, des personnes sans papiers, des personnes migrantes, hommes, femmes et enfants afghans, somaliens, soudanais, guinéens, égyptiens, ivoiriens, tunisiens, etc. subissent un harcèlement policier constant (amendes, contrôles abusifs) et voient leurs campements systématiquement démantelés, leurs tentes et effets personnels détruits, sans aucune alternative proposée. Depuis le 15 mars dernier, différents collectifs relaient la parole des exilés et alertent sur leur situation catastrophique.

Aucune réponse gouvernementale ou municipale n’a été accordée à ces personnes en très grande précarité. Les personnes migrantes ont dû intégralement compter sur le soutien d’habitant.e.s pour se nourrir et avoir un accès à l’eau potable. De plus, les procédures de demandes d’asile ont été bloquées.

Coupures de robinet aux abords des campements

Durant de longues semaines et malgré nos multiples alertes, en ne procédant pas à la réouverture des points d’accès à l’eau potable et des sanisettes, la mairie du Paris a privé des milliers de personnes sans abris qu’elle n’avait pas pris en charge, du minimum de dignité. La mairie d’Aubervilliers a procédé à des coupures de robinet aux abords des campements de rue informels et la mairie de St Denis n’a pas installé de rampe d’eau, ni de sanitaires à proximité des campements dans sa circonscription. Les mairies de Saint-Denis, Paris et d’Aubervilliers ont été alertées par leurs élus et administrés, et ce à de nombreuses reprises, depuis le début de la crise sanitaire, sur ces situations catastrophiques. Elles ne pourront pas dire qu’elles ne savaient pas.

Nous, parisien.ne.s, dyonisien.ne.s et albervilarien.ne.s, exigeons du gouvernement et des municipalités qu’ils assument leurs responsabilités et respectent les droits fondamentaux de ces personnes, à savoir :

 la cessation immédiate du harcèlement policier, se manifestant notamment par la destruction des campements, des affaires personnelles, des violences physiques et diverses intimidations intolérables,
 la mise à l’abri immédiate immédiate, digne et pérenne, respectant les conditions sanitaires liées à la situation de pandémie, en concertation avec les personnes exilées,
 la régularisation immédiate de toutes les personnes sans papiers, comme le Portugal a pu le faire,

En mémoire de Jamal et à la demande de sa famille, nous demandons aux pouvoirs publics la prise en charge du rapatriement de sa dépouille en Algérie afin qu’il soit, selon leurs vœux, inhumé auprès des siens.

Que la terre lui soit légère ainsi qu’à toutes les victimes de la violence institutionnelle.

Des habitant.e.s et collectifs solidaires

Premières organisations signataires :
Association Sous le même ciel
Association Kolone
Association marocaine des Droits de l’homme- Île de France
Accueil de merde
Acceptess-T
BAAM
Brigades de solidarité populaire 93 Nord
Casa Paris
Claq
CNR (collectif Nation refuge)
CISPM (Coalition Internationale des Sans Papiers et Migrants)
Collectif Bienvenue Clandestins
CSP 75
DAL (Droit au logement)
DIEL (Droits ici et là bas)
Les midis du MIE
MRAP Paris
MRAP de Seine Saint Denis
Paris d’exil
Solidarité Migrants Wilson
Timmy- Soutien aux mineurs exilés
UCL Saint Denis
Union Locale Solidaires Saint Denis

Photo de une : Une femme faisant son jogging passe devant des tentes occupées par des personnes migrantes sur le canal Saint-Denis, à Aubervilliers, 12 avril 2020. © Anne Paq