Droits économiques et sociaux

Lutte contre les exclusions : l’Onu doute des efforts français

Droits économiques et sociaux

par Ivan du Roy

Fin avril, des représentants du gouvernement français ont été auditionnés par des experts de l’Onu sur la situation des droits économiques, sociaux et culturels en France. Le catalogue de lois, de dispositifs ou de décrets déroulé par la délégation officielle française ont peu convaincus.

Tous les cinq ans, chaque Etat membre de l’Onu est invité à Genève pour présenter un état des lieux de ses politiques en matière de réduction de la pauvreté, de lutte contre les discriminations ou d’accès aux différents droits fondamentaux. La 40e session du comité « Desc » (droits économiques sociaux et culturels) accueillait ainsi la France en compagnie du Bénin, de la Bolivie et de l’Inde, avant d’enchaîner avec la Grande-Bretagne, le Brésil et l’Angola. Outre les diplomates de la mission française permanente auprès de l’Onu, des fonctionnaires de six ministères étaient présents pour exposer le bilan officiel des politiques sociales. Ils ont été quelque peu chahutés par les dix-huit experts onusiens, universitaires, juristes ou spécialistes des politiques publiques issus des cinq continents.

Nos vaillants fonctionnaires ont d’entrée récolté un mauvais point pour n’avoir pas prévu une version anglaise de leur rapport. Une spécialiste portugaise en politiques sociale, Maria Bras Gomes, leur a fait remarquer que même les petits pays pauvres auditionnés avaient eu les moyens de traduire leurs textes. Puis les tâtillons experts ont insisté sur la faiblesse des données chiffrées, notamment pour mesurer l’ampleur des discriminations à l’embauche. Un peu penauds face à leur défaillance statistique, les représentants du pays des droits de l’Homme ont répondu par écrit que « le temps manquait pour répondre à cette question, en particulier parce que la plupart des outils statistiques ne sont pas adéquats. » La France « ne fait pas d’efforts pour évaluer les impacts des lois et l’atteinte des objectifs en matière de droits économiques et sociaux », a répliqué un juriste mauricien Ariranga Pillay.

A quoi sert la Halde ?

Notre illustre délégation de chefs de bureau et de chargés de mission a cru pouvoir remonter sa cote en déroulant le catalogue des grandes mesures sociales et anti-discriminatoires mises en place depuis la précédente audition de la France en 2001 : la création de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) ; le prix de la diversité décerné aux entreprises modèles ; le Contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS), « mesure centrale du plan de cohésion sociale pour les jeunes » ; les « filets de protection » que constituent les neuf dispositifs de minimas sociaux dont le RMI, l’allocation de parent isolé (API) et l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ; l’apprentissage junior, ouvert aux jeunes dès 14 ans ; les 35 entreprises qui « valorisent l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » et ont obtenu le « label égalité » ; l’expérimentation du RSA (Revenu de solidarité active) ; l’existence de la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbains) qui impose 20% de logements sociaux dans les communes des grandes agglomérations ; ou encore le vote de la loi sur droit au logement opposable (loi DALO).

Les rabat-joies de l’Onu ont persisté à émettre des doutes sur l’efficacité de cette arsenal. Pouquoi le RMI n’est-il pas accessible aux jeunes de moins de 26 ans ? L’existence de plus de trois millions de « travailleurs pauvres » (dont les revenus sont inférieurs à 657 euros mensuels) - trois fois plus qu’en 2001 - signifie-t-elle que « la loi contre les exclusions ne fonctionne plus » ? En quoi la Halde permet-elle de lutter contre les discriminations quand le chômage des Français par acquisition atteint presque le double de la moyenne national et que celui des personnes originaire du continent africain frôle les 30% ? Ces mauvaises langues se sont émues de la relative exclusion des femmes, sur-représentées dans les temps partiels, parmi les ménages précaires et dans les bas salaires. Décidément peu diplomates, les discourtois experts se sont aussi étonnés des 22% de chômage qui règnent chez les jeunes actifs de 18 à 29 ans, une exception européenne.

Championne du monde... de la bureaucratie

« L’insertion des jeunes dans la vie professionnelle et, plus généralement dans la vie de la Cité, constitue un des axes prioritaires de la politique d’emploi en France depuis déjà plusieurs années », ont tenté de rassurer les Français, alors que le représentant du ministère de l’Immigration s’emmêlait les pinceaux entre « jeunes immigrés », « jeunes issus de l’immigration » et « jeunes issus des quartiers populaires » qui souffriraient d’un « manque de capital social » (sic). Constatant que trois millions de citoyens sont mal ou pas logés, universitaires allemand, égyptien ou suisse ont fait part de leur inquiétude sur l’application concrète de la loi DALO.

« La France est championne du monde de la politique publique et du système administratif compliqué, sans présenter aucun élément pour savoir si ces dispositifs complexes produisent des résultats », résume Amélie Canonne, représentante d’une coalition d’ONG et de syndicats - dont ATD Quart-Monde, l’Association des paralysés de France, le Crid (Centre de recherche et d’informations pour le développement), Oxfam, la FSU ou la Fondation Abbé Pierre - présente à Genève. La société civile a en parallèle remis son propre rapport à l’Onu (Lire leur communiqué et accéder au rapport). Leur but est de « rendre public ce qui se raconte » dans cette instance qui n’a rien de contraignante. « Les doutes des experts de l’Onu légitiment notre travail. Cela montre que nous ne sommes pas à côté de la plaque », constate Amélie Canonne, surprise par la liberté de ton du staff onusien. A la question de savoir comment le gouvernement français comptait atteindre son objectif en matière d’aide public au développement en 2012 (0.7% du PIB), nos représentants officiels ont brillamment résumé l’esprit qui anime la France en ce moment : « La Révision Générale des Politiques Publiques n’étant pas achevée, il n’est pas possible de répondre à cette question à ce stade. » No comment.

Ivan du Roy, avec Témoignage Chrétien