Solidarités

Au tribunal pour avoir inscrit un adolescent à l’école...

Solidarités

par Rachel Knaebel

Une activiste du Réseau éducation sans frontières (RESF) passe en procès ce lundi 6 mai à Avignon pour « usurpation de fonction » : elle s’est occupée des démarches pour faire scolariser un adolescent étranger isolé dans un lycée professionnel. Une mission qui revient normalement à l’Aide sociale à l’enfance, dans le cadre d’un processus qui peut durer de longs mois.

« Je n’ai encore jamais fait l’objet d’un procès. C’est pesant ». Chantal Raffanel est engagée dans l’association du Réseau éducation sans frontières (RESF) dans le Vaucluse. Ce lundi 6 mai, elle doit être jugée en audience correctionnelle au tribunal de grande instance d’Avignon pour « usurpation de fonction ». Il lui est reproché d’avoir inscrit, fin 2017, un adolescent mineur étranger isolé dans un lycée professionnel.

« Je reconnais que j’ai fait une erreur. Je me suis bien présentée comme une militante de RESF, mais je n’ai pas barré la mention “représentant légal’” sur le formulaire », dit la militante solidaire. C’est ce qui lui a valu des poursuites de la part du conseil départemental du Vaucluse. Celui-ci reproche à Chantal Raffanel de s’être fait passer pour la représentante légale du jeune, alors que c’est l’Aide sociale à l’enfance (ASE) – qui dépend du conseil départemental – qui est son représentant légal.

Cette erreur a entrainé l’établissement d’une facture de cantine, de 130 euros, au nom du conseil départemental. « Mais cette facture a ensuite été payée par RESF, poursuit la militante. Il n’y a pas eu de préjudice en fin de compte. » Au-delà de ce qui pourrait n’être qu’un imbroglio administratif sans conséquence, Chantal Raffanel et RESF dénoncent un procès qui vise avant tout la solidarité. Chantal Raffanel « risque d’être condamnée simplement parce qu’elle a fait son devoir de citoyen en s’occupant des démarches pour faire scolariser un mineur non accompagné, acte que l’Aide sociale à l’enfance est censée faire », a réagi RESF. L’association demande l’abandon des charges retenues contre Chantal Raffanel et le « respect de l’engagement citoyen et solidaire de tous les militants RESF qui continueront partout en France à prendre soin de tous les mineurs ».

Des jeunes qui attendent des mois d’être scolarisés

Les mineurs étrangers isolés dont la minorité est contestée sont mal accompagnés par l’Aide sociale à l’enfance, souligne Chantal Raffanel. « C’est en fait une politique de l’ASE de ne pas scolariser les jeunes. Il y a une discrimination entre les jeunes dont la minorité est confirmée et ceux dont la minorité est contestée et en cours d’étude. » Cet examen peut durer des mois. Pendant ce temps, les jeunes sont à l’hôtel, sans aucune scolarisation. « Le jeune que j’ai inscrit au lycée est venu nous voir en disant qu’il voulait aller à l’école. Cela arrive souvent que nous soyons ainsi sollicités. Et l’Éducation nationale leur trouve toujours une place rapidement. »

Le mineur étranger que le militante a inscrit en lycée professionnel a pu poursuivre sa scolarité. Sa minorité a finalement été reconnue par le juge des enfants. Il est maintenant en apprentissage, a obtenu un titre de séjour de la durée de son contrat. « Et son patron veut l’embaucher ensuite, se réjouit Chantal Raffanel. Mais au début, l’ASE avait dit qu’il était majeur et il avait reçu une obligation de quitter le territoire. C’est une famille solidaire qui l’a accueilli. »

Plutôt que l’école, le fichage

D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, en 2018, plus de 17 000 mineurs étrangers isolés ont été placés à l’ASE. « Ils étaient 5 990 en 2015, soit près de trois fois plus en quatre ans », selon le ministère. « Le nombre de jeunes, même s’il a augmenté, ne pose pas de problème majeur vu le nombre de jeunes accueillis et accompagnés en général par l’ASE, répond la militante de RESF, d’autant plus que des modes d’accueil différents pourraient être étudiés, en lien avec la société civile, plus efficaces au niveau de l’intégration et moins coûteux ». Mais cela suppose que les pouvoirs publics dialoguent avec les réseaux citoyens, et « que la question de l’accueil ne soit pas réduite à une utilisation politicienne. »

Les pouvoirs publics misent aujourd’hui en fait plutôt sur le fichage. Un décret de janvier 2019, qui met en œuvre la récente loi « asile et immigration » (voir notre article), a mis en place un fichier national des mineurs non-accompagnés dit d’« Appui à l’Évaluation de la Minorité ». Ce décret prévoit que les mineurs soient enregistrés auprès des préfectures avant même de voir un employé de l’Aide sociale à l’enfance. Des préfectures qui inscriront dans un fichier leurs empreintes, leur état civil, la référence des documents d’identité, la date et les conditions de l’arrivée en France…

Selon la communication du ministère de l’Intérieur, ce nouveau fichier « vise avant tout à la protection de l’enfance ». Ce n’est pas l’avis de 19 associations et syndicats (dont l’Unicef, la Cimade, le Syndicat de la magistrature) qui en ont contesté la légalité devant le Conseil d’État en février. En vain. Début avril, la Conseil d’État a validé le fichier, « alors même que dans les départements-pilotes (Isère, Essonne et Bas-Rhin), on constate déjà ses effets délétères et des atteintes au principe de présomption de minorité pour les enfants et adolescents étrangers », regrette la Cimade.

Photo : CC Matthew Peoples