Protection

« On veut garantir la sécurité des femmes par les femmes » : une maison refuge pour les mineures isolées

Protection

par Emilie Rappeneau

En banlieue parisienne, la Women’s House de l’association Utopia 56 héberge sept mineures isolées. Reportage sur une « safe place » au fonctionnement démocratique et participatif.

Le jardin de la Women’s House est petit mais convivial, quelques chaises dépareillées autour d’une table d’extérieur. Cris de joie, casseroles qui claquent et clips musicaux résonnent en arrière-plan tandis que les coordinatrices présentent l’initiative.

« On veut garantir la sécurité des femmes par les femmes », déclare Kim, 25 ans et coordinatrice de la Women’s House depuis son ouverture il y a un mois et demi. « Ici ce n’est pas comme un foyer, il n’y a pas de veilleurs de nuit », justifie Clem. « C’est juste une maison, et donc ça peut rapidement être synonyme de danger. » Avant d’être coordinatrice dans ce refuge en non-mixité, Clem était en stage d’éducatrice de rue. « C’est mon premier taf en tant que responsable de maison », avoue-t-elle.

Aujourd’hui, Utopia 56 loue quatre maisons protectrices de mineurs isolés en région parisienne. Entre les loyers et les salaires des coordinateurs, chaque ouverture coûte 120 000 euros par an, et l’association décrit ces lieux comme des sas de décompression pour les jeunes, trop souvent laissés à la rue le temps de leurs démarches de reconnaissance de minorité devant le juge des enfants. Une manière de lutter contre l’invisibilisation du parcours migratoire subi par les mineurs, et contre le manque de prise en charge adaptée à leur arrivée en France.

La non-mixité, un mécanisme de protection

La Women’s House, dont la capacité maximale est de dix places, est la seule maison accueillant des jeunes filles. Pour cause : la majorité des mineurs non-accompagnés quittant leur pays sont des garçons. « Le trajet migratoire est plus dangereux et compliqué pour les filles », avance Kim. « Et il y a moins de filles dans la rue car étant plus vulnérables, elles sont prises en charge plus souvent. »

Les filles vivant à la Women’s House ont entre 16 et 17 ans et demi. Elles viennent de Côte d’Ivoire, mais aussi de Guinée, de la République démocratique du Congo et du Nigéria. Jour et nuit, il y a toujours une surveillante présente à la Women’s House, que ce soit une coordinatrice ou une bénévole Utopia 56. « Ce sont toujours des femmes », affirme Clem, pointant du doigt le petit chat blanc qui erre dans le jardin. « Même Mimo, la mascotte de la maison, est une fille ! » En plus de certaines règles de vie, comme la non-divulgation de l’adresse de la Women’s House, la non-mixité établie dans la maison est une manière de protéger les filles qui y vivent.

Parce que c’est une maison pour les femmes et par les femmes, les jeunes savent qu’elles peuvent sortir de la salle de bain sans se soucier de quoi que ce soit, que leur parole est valorisée, que le partage des tâches est égalitaire. « Ne sachant pas tout ce qu’elles ont vécu – même si on peut imaginer à petites doses – on veut qu’elles se sentent en sécurité », explique Clem. Si les coordinatrices n’ont pas toutes les informations sur le passé des filles, elles ressentent une obligation de faire de la Women’s House une « safe place », un lieu de confiance et de répit, « car le trajet migratoire est toujours violent, surtout pour les femmes et encore plus pour les mineurs ».

Pour faciliter la cohabitation : une organisation démocratique et participative

Sur les murs de la Women’s House, des plannings en papier annoncent la couleur. Lundi, Sarah* est chargée du ménage et de la cuisine, mardi c’est au tour de Awa*. « Ici, on cuisine un peu de tout », explique Samia*, se servant une assiette de riz pimenté avec des légumes. « Du riz, des pâtes, de l’attiéké… On mange ensemble vers 13 h. » Les repas sont une occasion de se retrouver, de papoter, de prendre des selfies, de danser aussi. En fond musical, Serge Beynaud et Nomcebo Zikode battent le plein, et les filles virevoltent entre la table et le canapé où se prélasse Mimo. Elles invitent parfois des potes à déjeuner. « L’ambiance ici est cool ! » s’exclame une de leurs amies, qui prend des cours de maths à la Women’s House le samedi.

« C’est un projet en partenariat avec Médecins sans frontières (MSF) », explique Kim. « MSF se charge du suivi juridique, médical et psychologique des jeunes, et Utopia 56 gère le quotidien. » « On s’assure que tout fonctionne, que les filles se sentent bien, qu’elles vont à leurs rendez-vous », résume Clem, un sourire aux lèvres. « C’est pas évident de vivre avec douze personnes dans une baraque ! »

Pour faciliter la cohabitation, les coordinatrices ont mis en place une organisation démocratique et participative. Une boîte à question dans les toilettes pour les remarques anonymes, des réunions fréquentes pour faire le point sur les tâches du jour… « C’est archi important que les filles décident de l’importance qu’elles attribuent à certaines règles de vie, certaines tâches, certains codes », avance Clem. « On n’est pas là pour les materner ». Une stratégie qui semble porter ses fruits. « Je les trouve ultra investies », avoue Kim, admirative.

Quand elles ne sont pas à la maison, les jeunes sont à l’école, soit en cursus normal soit avec Droit à l’école, une association qui donne des cours aux mineurs isolés qui ne sont pas encore sous la responsabilité de l’Aide sociale à l’enfance (ASE, l’une des compétences des départements). « On prépare les jeunes à intégrer une école de la République », résume Sylvain Perrier, fondateur et secrétaire de l’association. « Idéalement, on aimerait ne pas exister, que l’Éducation nationale les prenne en charge sans perdre de temps. » La plupart des filles y préparent le test du centre d’information et d’orientation pour entrer en CAP petite enfance ou aide à la personne. « J’y vais le lundi, le mardi, le jeudi et le samedi », précise Samia en débarrassant la table.

Avec le confinement, il est difficile pour les coordinatrices d’organiser des activités, mais ce n’est pas la volonté qui manque. « Les filles demandent des activités et on essaie de les mettre en place avec les bénévoles », explique Kim. En ce moment, les filles réclament des sorties à Paris le week-end, avec possibilité de visiter la Tour Eiffel, les Champs-Élysées ou encore Montmartre. En attendant, les bénévoles préparent un atelier cuisine pour faire des cornes de gazelles, ainsi qu’un atelier manucure et masques beauté.

La Women’s House : source de stabilité et tremplin pour l’avenir

Les filles vivant à la Women’s House sont toutes en recours ou en appel pour faire reconnaître leur minorité. « Au-dessus de 15 ans, il est difficile de faire valoir sa minorité », regrette Kim. « Si on a pas de papiers du pays, le juge peut demander des tests osseux ou dentaires. » Tests peu fiables dont la Ligue des droits de l’Homme demande l’abolition.

Du fait de leurs différents profils juridiques, certaines des jeunes seront prises en charge par l’ASE, d’autres non, mais le but de la Women’s House reste le même,« une phase de transition pour qu’elles puissent être dans des lieux plus propices au suivi », décrypte Clem.

En effet, avant d’atterrir ici les filles étaient placées chez des familles membres du réseau hébergeurs.euses d’Utopia 56, et qui les accueillent à tour de rôle. « Généralement, trois familles se partagent le mois », explique Kim. « C’est un hébergement d’urgence, et ça ne permet pas une situation stable. » Selon Kim, Clem et Léah Maryam, les trois coordinatrices de la Women’s House, ces maisons refuges sont un tremplin pour trouver des familles sur le long terme, capables de scolariser les filles à l’année. Parmi les habitantes, une jeune femme enceinte de six mois, orientée vers la Women’s House par MSF. Elle est la seule à ne pas partager sa chambre. « On attend de trouver un lieu plus adapté pour l’arrivée du bébé », ajoute Kim.

Émilie Rappeneau

* Les prénoms ont été changés