Santé

Cancers pédiatriques : « On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster »

Santé

par Nolwenn Weiler

« Pourquoi tant d’enfants malades sur notre territoire ? » C’est la question posée par les parents du collectif Stop aux cancers de nos enfants, en Loire-Atlantique. En cinq ans, 24 enfants sont tombés malades près de la commune de Sainte-Pazanne.

Qu’est-ce qui entraîne le déclenchement de tant de cancers d’enfants dans un secteur très resserré d’une dizaine de communes à l’ouest de la Loire-Atlantique, dont celle de Sainte-Pazanne ? Signalé dès 2017 par une maman lanceuse d’alerte, Marie Thibaud, ce cluster (ou regroupement) de cancers pédiatriques a fait l’objet de diverses enquêtes. Effectuées par les autorités sanitaires, sous la pression des parents, ces enquêtes ont conclu qu’il n’y avait là rien d’anormal. Les investigations officielles des agences dépendant du ministère de la Santé ont donc pris fin. Mais sur place, les recherches continuent, sous l’impulsion du collectif Stop aux cancers de nos enfants. Objectif : identifier les sources potentielles des maladies, et les supprimer. Pour arrêter de compter les petits malades.

24 enfants malades en cinq ans

Cet automne, deux enfants ont déclaré des cancers dans le secteur de Sainte-Pazanne, situé à une dizaine de kilomètres au sud de Nantes. « Cela porte à 24 le nombre d’enfants ayant un cancer dans un périmètre géographique très resserré d’une dizaine de communes », constate Marie Thibaud, cofondatrice de l’association Stop aux cancers de nos enfants (SCE). Par deux fois, en 2017, puis en 2019, elle a alerté les autorités sanitaires, inquiète de constater que plusieurs enfants étaient malades (dont le sien) dans sa commune de résidence – Sainte-Pazanne – mais aussi dans les villages alentour. « Depuis 2015, il n’y a pas six mois sans qu’un enfant tombe malade, ajoute Marie Thibaud. Il se passe donc quelque chose de grave ici. Pourquoi ? Nous voulons savoir. »

Très déterminés, les parents de Sainte-Pazanne et des environs ont réussi à obtenir en 2019 le déclenchement d’investigations sur diverses sources de polluants par l’agence régionale de santé (ARS), ainsi que le lancement d’une enquête épidémiologique. « Malheureusement, cette enquête ne tient pas compte des 24 enfants, explique Marie Thibaud. En sont exclus : les enfants tombés malades après mars 2019, ceux qui ne sont pas dans les sept communes retenues par Santé publique France, et ceux qui ont plus de 15 ans. Un enfant ayant une double pathologie, c’est à dire un cancer et une autre maladie, a également été mis de côté. »

« On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster… »

Selon Marie Thibaud, ce nombre restreint de cas retenus explique en partie la disparition du cluster dit de Sainte-Pazanne. Le 23 septembre dernier, Santé Publique France a en effet annoncé qu’il n’y avait pas de « risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département ». Annoncée par voie de presse, la nouvelle a laissé les parents sidérés, d’autant plus que les premières conclusions de Santé publique France attestaient bien d’un nombre plus élevé qu’attendu de cancer pédiatrique entre janvier 2015 et mars 2019 dans une zone géographique resserrée [1].

« En plus d’oublier certains malades, ils ont lissé leur nombre sur quatorze années, entre 2005 et 2019, tempête Marie Thibaud. Ils les ont répartis sur trois cantons qui n’existent même plus, plutôt que de les répartir par commune. Pourquoi ? On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster… » Réunis avec les autorités sanitaires la veille de ces improbables annonces, les parents du collectif ont l’impression d’avoir été « embrouillés ».

« Ils nous ont parlé de lissage cartographique, de balayage spatio-temporel, de calculs mathématiques incompréhensibles. Pourquoi ne nous donnent-ils pas simplement le nombre d’enfants malades par commune ? La seule information que l’on a réussi à obtenir c’est que dans le secteur, il n’y a pas eu de cancers d’enfants avant 2015. Pourquoi alors remonter jusqu’à 2005 ? » Sollicitée à plusieurs reprises par Basta!, Santé publique France n’a pas été en mesure de répondre à ces questions.

Le ministère met fin aux investigations

« Nous le savons, d’un point de vue personnel un cancer touchant un enfant reste toujours un cancer de trop. Nous avons passé au crible tous les facteurs de risque connus sans pouvoir identifier une cause commune », précise Lisa King responsable de Santé publique France Pays de la Loire. Conséquence de cette absence de risque commun : la surveillance des cancers pédiatriques est maintenue « pour répondre à l’inquiétude sociétale », mais les investigations locales pour en identifier les causes prennent fin. Les parents mobilisés au sein du collectif SCE le regrettent. Pour eux, identifier les facteurs cancérogènes locaux est le seul moyen qui permette de protéger les enfants. Une fois connus, les facteurs peuvent être plus facilement éliminés.

« S’ils ne trouvent rien avec une étude épidémiologique, c’est donc que pour eux il n’y a rien à trouver, reprend Marie Thibaud. Et ils s’appuient uniquement sur la littérature scientifique déjà existante. Notre démarche est différente : on part du cluster, de nos enfants malades, et on cherche dans leur environnement, que l’on connaît bien, ce qui a pu les rendre malades. On n’élimine rien. » Les recherches menées par le collectif balaient très large. Une vaste étude portant sur l’eau distribuée au robinet va ainsi tester 700 pesticides et métabolites, du jamais vu en France ! Et un institut spécialisé va bientôt débuter une analyse génomique, pour identifier parmi les cellules cancéreuses des enfants d’éventuelles causes communes au déclenchement de la maladie.

Les effets cocktails au cœur du cluster ?

De multiples substances cancérogènes (pesticides, plastifiants, HAP [2]) ont d’ores et déjà été trouvées dans l’air du domicile des enfants malades. « Au niveau des pesticides et des perturbateurs endocriniens, on se retrouve avec des enfants qui ont dans le sang des substances reprotoxiques et mutagènes, parfois cumulées », détaille Marie Thibaud. « D’après les études menées par l’ARS, les sols et jardins des domiciles contiennent de nombreux métaux (plomb, cuivre, sélénium, zinc, mercure), parfois très au-dessus des valeurs habituellement mesurées dans les sols en France », ajoute un père de famille.

« Les effets cocktails sont au cœur de ce que nous sommes progressivement en mesure de démontrer, avance Marie Thibaud. Or, les autorités sanitaires ne prennent pas en compte l’effet cocktail, ni la toxicité chronique. » Interrogée par Basta!, l’ARS explique qu’elle ne nie pas l’existence d’un possible effet cocktail pouvant expliquer les cancers pédiatriques, mais elle estime que « l’état actuel des connaissances ne permet ni de confirmer ni d’infirmer cette hypothèse ». « Les causes de plusieurs cancers pédiatriques apparaissent comme étant plurifactorielles », admet néanmoins Santé publique France. Par ailleurs, l’étude Esteban a récemment montré que les enfants sont particulièrement concernés par les polyexpositions chimiques.

Questions autour des champs électromagnétiques

Les parents considèrent par ailleurs avec inquiétude les projets de parcs éoliens dans leur secteur. Il s’interrogent sur la nocivité des champs électromagnétiques qui courent le long des câbles reliant les éoliennes au poste source. « Nous ne sommes pas anti-éoliens, soulignent les parents. Mais nous sommes troublés par la coïncidence chronologique entre l’installation des éoliennes, en 2014, et les premiers cancers, en 2015. Nous aimerions que des études plus précises soient menées sur le sujet. »

Ce n’est pas la première fois que les champs électromagnétiques sont évoqués dans cette affaire. Les câbles qui passent sous la cour de l’école, qui compte déjà quatre élèves malades, inquiètent les parents, qui avaient demandé qu’ils soient retirés. « Le centre international de recherche sur la cancer dit qu’à partir de 0,2 microtesla [le tesla est l’unité de mesure d’un champ magnétique, ndlr] il y a un risque de déclarer des cancers pédiatriques, affirme le collectif. Or, il y a des pics à 0,5. » L’ARS avance de son côté se référer « à une instruction du ministère en charge de l’Environnement qui recommande de ne pas implanter d’établissements sensibles, comme les écoles, dans une zone exposée à plus de 1 microtesla. »

Transparence ou rétention d’informations ?

Si elle est restée ouverte malgré la demande de divers parents, l’école a fermé deux de ses classes ce mois de septembre. Un taux de lindane anormalement élevé y a été enregistré. Cet insecticide est un cancérogène avéré. « Nous avons appris au comité de suivi du 22 septembre les raisons de la fermeture des classes, retrace Marie Thibaud. Les enfants ont fait leur rentrée sans que leurs parents n’en sachent rien. » Cette difficulté à obtenir des informations revient sans cesse quand les parents évoquent leurs difficultés, depuis cinq ans que dure leur combat. Les réunions publiques sont arrachées à force de pression, notamment médiatique. Les résultats d’analyses doivent être réclamés à maintes reprises.

« Toutes les familles ont reçu un rapport de synthèse. Nous restons à la disposition des familles qui auraient des questions sur le contenu des rapports ou sur la mise en œuvre des recommandations », promet l’ARS, interrogée par Basta! à propos de ces griefs. « Je ne sais pas comment ils s’assurent que les familles ont bien reçu leurs documents, les comprennent, les consultent et suivent leurs recommandations », remarque Marie Thibaud. « Le 22 septembre, l’une des deux familles à qui le recouvrement du jardin était recommandé dès le mois de juillet, à cause de présence trop importante de plomb, n’avait toujours pas été contactée. Rappelons qu’ils ont un enfant malade. Un enfant qui a un cancer. »

Le combat continue, pour arrêter de compter les malades

Marie Thibaud ne décolère pas face à ce mépris pour les familles des enfants malades. Dans les analyses réalisées par l’ARS, cinq puits ont été désignés comme « impropres à la consommation », sans que les familles sachent pourquoi. « La maman d’un enfant décédée qui a toujours arrosé son jardin avec l’eau du puits a demandé : "Qu’est-ce qui se passe ?", "Qu’y a-t-il dans l’eau de mon puits ?", "Est-ce qu’il ne faudrait pas analyser nos légumes ?" Elle a beaucoup insisté. Et s’est entendue dire "Écoutez madame, si vous êtes inquiète, arrêtez de consommer ces légumes." Je trouve cela scandaleux ! »

« On s’est entendus dire que les autorités sanitaires pensaient nous avoir à l’usure, grincent les parents. C’est mal nous connaître, et ignorer ce que l’on vit avec nos enfants malades. Qu’ils viennent nous voir dans les couloirs des hôpitaux, ils verront que ce qu’ils nous imposent, même si c’est difficile, ce n’est rien. » Leur détermination reste donc intacte, et leur objectif inchangé : permettre aux enfants de grandir sans cancer.

Nolwenn Weiler

Dessin : Cécile Guillard

Notes

[1Sept communes sont concernées par ces premières conclusions : Sainte-Pazanne, Port-Saint-Père, Saint-Mars-de-Coutais, Machecoul Saint-Même, Villeneuve-en-Retz, Saint-Hilaire-de-Chaléons et Rouans.

[2Les HAP, hydrocarbures aromatiques polycycliques, sont cancérogènes pour beaucoup d’entre eux. Ils proviennent de la combustion des carburants, bois, tabac.