Écologie

Projets citoyens, objectif 100 % renouvelable… Quand les régions agissent pour la transition énergétique

Écologie

par Rachel Knaebel

Soutien aux projets citoyens, photovoltaïque sur les toits des lycées, objectif de 100 % de renouvelables… des régions se sont engagées vers la transition énergétique, même si leurs marges de manœuvres dépendent aussi du bon vouloir de l’État.

C’était une ancienne décharge, c’est devenu en 2018 un parc photovoltaïque de 714 panneaux dans le village gardois d’Aubais. Un terrain sur lequel « on ne peut pas faire d’agriculture », précise bien Sophie Setbon Cuisinier, la présidente de la société du Watt Citoyen, en échos aux controverses sur l’artificialisation de terres liée à l’installation de panneaux solaires. Watt Citoyen est une société anonyme à fonctionnement coopératif. Pour ce parc photovoltaïque, elle a réuni 274 sociétaires, qui ont investi en tout 220 000 euros. Le reste du financement est venu d’une autre coopérative, Enercop, qui distribue de l’électricité, de l’entreprise qui a construit le parc, Luxel, et, surtout, de la région Occitanie.

Le parc d’Aubais fait partie des premières installations sélectionnées pour l’appel à projet lancé en 2014 par la région [1]. Le programme soutient des projets citoyens d’énergies renouvelables à hauteur d’un euro de subvention pour chaque euro citoyen investi, dans la limite de 100 000 euros par projet. « La région n’a demandé aucune clause en échange de la subvention, elle n’est pas partie prenante du projet, précise Sophie Setbon Cuisinier. La seule condition était que cela ne pouvait pas être un seul particulier qui mettait l’argent, il fallait que l’investissement citoyen se fasse par tranche de 500 euros maximum par personne. »

Entre 2014 et 2019, la région Occitanie a ainsi soutenu 90 projets citoyens d’énergies renouvelable, pour la plupart des parcs photovoltaïques sur des toits, mais aussi quelques parcs solaires au sol, comme à Aubais, ainsi qu’une poignée d’installations éoliennes et hydroélectriques. « Ce sont des projets importants pour le développement local car ils travaillent avec des entreprises de la région », défend Agnès Langevine, vice-présidente (ex-EELV) de la région Occitanie, chargée de la transition énergétique.

« Pour le budget d’une région, ce n’est rien. Pour nous, c’est très important »

Dans le territoire voisin de Nouvelle-Aquitaine aussi, la région soutient financièrement des installations énergétiques participatives et décentralisées. « Nous n’aurions pas pu mettre en œuvre notre premier projet sans cette subvention, témoigne Pierre Fauvet, de la société Solévent. Fondée en 2018 à Bordeaux, Solévent développe des petites centrales photovoltaïques. Le budget du projet était de 45 000 euros, dont 3500 euros donnés par la région. Pour une région, ce n’est rien. Mais pour nous, c’est très important. C’est la moitié des fonds propres que nous devons abonder, 80 % du budget venant de l’emprunt. Le soutien de la région porte également sur la communication autour des projets citoyens. Par exemple, je participe la semaine prochaine à un webinaire organisé par la région et l’Ademe à destination des élus locaux, pour promouvoir ces projets citoyens. »

©Solévent

Depuis la dernière loi de transition énergétique de 2015, et la réforme territoriale mise en œuvre la même année, les régions ont un rôle renforcé dans le développement des énergies renouvelables. Elles doivent entre autres adopter un « schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires » (Sraddet) qui intègre une dimension de planification énergétique. « Les régions ont été nombreuses à prendre à bras-le-corps la question en soutenant en plus le développement des énergies renouvelables », explique Alexis Monteil-Gutel, responsable de projets d’énergies renouvelables au réseau associatif pour la transition énergétique Cler.

L’Occitanie a acté dans son Sraddet l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2050 : la région devra produire autant d’énergies renouvelables que n’en consomme ses 6 millions d’habitants et son économie – le nucléaire n’étant, évidemment pas, considéré comme une énergie renouvelable. « Cela s’est traduit par une feuille de route régionale, sur le modèle du scénario négawatt, explique Agnès Langevine. Nous avons construit ce scénario avec une centaine d’experts, des associations environnementales, des énergéticiens, des industriels, qui ont travaillé à partir d’une hypothèse régionale en fonction de notre démographie, de nos gisements solaire, d’eau, de vent, des caractéristiques urbaine et rurale. Nous savons, grâce à ce scénario, que nous devrons multiplier par trois la production d’énergies renouvelables d’ici 2050. En détail, cela veut dire multiplier par douze le solaire, par sept l’éolien. Pour y arriver, il faut certes des projets de taille industrielle mais aussi des projets participatifs et citoyens, pour une approche de la transition par tous et partout. »

« Les régions ont énormément de leviers d’actions pour développer les énergies citoyennes »

En plus des subventions directes à ces projets et aux installations d’énergies renouvelables en autoconsommation à l’échelle d’un quartier, l’Occitanie a aussi lancé un programme à destination des maires. « Sur les grandes installations éoliennes et solaires, les maires sont la proie de développeurs qui viennent leur vendre des projets comme s’ils étaient au far west. J’ai pensé qu’il fallait les outiller pour que les gros parcs d’énergies renouvelables soient des projets de territoire, pour qu’ils puissent rédiger eux-mêmes les appels d’offre et ensuite mettre en concurrence différents développeurs et impliquer la population », explique l’élue régionale.

La Nouvelle-Aquitaine a adopté le même objectif 100 % renouvelables. « En 2018, nous en étions à 24 %, détaille Françoise Coutant, vice-présidente (EELV) chargée de la transition énergétique. Nous avons lancé des appels à projet pour créer des collectifs citoyens pour construire des projets d’énergies renouvelables, éoliens et solaires. Nous avons accompagné une trentaine de collectifs. » La région soutient par ailleurs des projets de méthanisation biogaz), a lancé un appel pour des expérimentations agro-photovoltaïques (production agricole et d’énergies renouvelables sur la même surface), et un autre pour des projets photovoltaïques et éoliens de collectivités et d’entreprises en autoconsommation. Près de 80 de ces projets d’autoconsommation ont été financés entre 2017 et 2020.

« Les régions ont énormément de leviers d’actions pour développer les énergies citoyennes, souligne aussi Alexis Monteil-Gutel, du réseau associatif Cler. Elles peuvent travailler à impliquer les citoyens, mettre à disposition leur patrimoine bâti pour des projets solaires, sur les toits des lycées, des bâtiments administratifs. Elles peuvent aussi prendre l’engagement de 100 % de renouvelables pour leur bâti et leurs réseaux de chaleur. » Dans son Sraddet, la région Bretagne s’est engagée « à prendre part à la transition énergétique dans les 115 lycées dont elle a la charge », avec l’objectif de couvrir de panneaux solaires les toitures de tous ces lycées. 25 installations photovoltaïques y sont déjà opérationnelles.

« L’objectif de la transition est qu’elle soit écologique, pas qu’elle se fasse au détriment de l’environnement, du foncier ou de l’agriculture. Il ne faut pas mettre en concurrence la production alimentaire et la production énergétique. C’est une règle que nous avons inscrite dans le Sraddet de la région », assure Françoise Coutant, en Nouvelle-Aquitaine. Ce qui n’empêche pas certains projets d’empiéter sur des surfaces agricoles, comme dans le Lot-et-Garonne.

La « doctrine des préfets » change d’un département à l’autre

Une région ne peut pas empêcher un gros investisseur d’installer un grand parc solaire sur un terrain agricole ou un bout de forêt. « Nous avons le pouvoir de ne pas financer des projets solaires qui se basent sur l’artificialisation des sols. Mais si c’est le projet d’un développeur qui se finance tout seul, c’est compliqué de le bloquer », concède la vice-présidente.

Autre obstacle : c’est encore l’État et lui seul qui décide des appels d’offre pour les grands projets d’énergies renouvelables, dont ceux d’éolien offshore. « Dans les projets offshore, la région peut juste prendre une participation. Mais nous n’avons pas la main dessus », pointe ainsi l’élue verte de Nouvelle-Aquitaine. « L’articulation avec l’État est compliquée, dit aussi Agnès Langevine. Ce sont les préfets qui autorisent les projets d’énergies renouvelables. Les autorisations dépendent donc de la doctrine de chaque préfet en la matière, qui change d’un département à l’autre. »

La nouvelle loi climat adoptée le 4 mai à l’Assemblée nationale (elle doit encore passer au Sénat) veut permettre à l’État de fixer des objectifs de développement des énergies renouvelables région par région. « Cela se ferait par décret, en concertation avec les régions, précise Alexis Monteil-Gutel. L’intention est bonne, mais le mécanisme choisi du décret peut-être perçu comme rigide et vraiment très descendant. C’est bien de territorialiser les objectifs d’énergies renouvelables, mais il faudrait aussi donner les moyens pour le faire. Par exemple, il nous semblerait important que les régions puissent participer à la définition des appels d’offre des grands projets. »

Aujourd’hui c’est l’État seul qui définit ces appels. C’est également lui qui définit les tarifs d’achat de l’électricité issue des énergies renouvelables. « Nous avons eu des subventions de la région PACA pour soutenir plusieurs de nos projets, témoigne François Petitprez, directeur de la Scic (société coopérative d’intérêt collectif) Energ’éthique, basée dans les Alpes-de-Haute-Provence. Lancée en 2012 avec une centrale photovoltaïque sur le toit d’une école à Dignes-les-Bains, la coopérative a depuis monté trois autres projets. Aujourd’hui, on a des projets qui se montent sans aucune subvention. Le plus gros frein au développement des projets citoyens, c’est en fait le tarif de rachat actuel de l’électricité renouvelable, qui n’est pas favorable aux petits projets. »

Rachel Knaebel

Photo : Le Collectif Les Survoltés devant leur parc solaire citoyen à Aubais, dans le Gard. © Agathe Salem.

Notes

[1D’abord par le Languedoc-Roussillon avant la fusion avec le Midi-Pyrénées pour former l’Occitanie.