Climat

Pourquoi l’engouement pour l’hydrogène pourrait freiner la transition énergétique

Climat

par Rachel Knaebel

Des milliards sont investis en France et à travers l’Europe pour développer l’hydrogène, qui serait une solution miracle face au changement climatique. Mais aujourd’hui, la quasi-totalité de l’hydrogène produit l’est à partir d’énergie fossiles.

175 millions d’euros. C’est le montant d’un appel à projets lancé par le gouvernement en mai pour la filière de l’hydrogène. Il y a deux ans, le président Macron annonçait au milieu d’une usine « la bataille de l’hydrogène » : « Une bataille pour se déplacer, une bataille pour l’écologie, une bataille pour la souveraineté. »

Développer ce secteur est une des lignes directrices du plan France Relance lancé après la première vague de Covid. En tout, l’État veut investir près de neuf milliards d’euros dans l’hydrogène [1]. La filière ne séduit pas que Macron.

En région Occitanie aussi, le conseil régional (de gauche) mise dessus, avec un plan de 150 millions lancé en 2019 et une usine qui doit produire de l’hydrogène dit « vert » dès 2024. « On a commencé à financer en France des projets hydrogène en 2018. Ils étaient assez petits au début, précise Ines Bouacida, chercheuse à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). C’était beaucoup pour des projets de mobilité dans des communes, comme des bus à hydrogène. Maintenant, on commence à mettre sur pied des projets industriels un peu plus importants. Il y a par exemple un projet en développement autour de Fos-sur-Mer, pour fournir de l’hydrogène aux industries sur place. »

L’hydrogène peut être utilisé comme carburant, et ne rejette alors que de la vapeur d’eau, pas de CO2. À l’heure de la catastrophe climatique en cours et du besoin de réduire drastiquement les émissions de CO2 pour tenter de contenir le réchauffement, l’hydrogène peut sembler une solution miracle. D’autant plus depuis que les prix du gaz ont explosé en 2022.

99 % de l’hydrogène issu des énergies fossiles

Mais il y a plusieurs hydrogènes. Et tous ne sont pas aussi écologiques qu’il n’y paraît. On les a nommés par couleur. L’hydrogène dit vert est produit par électrolyse à partir d’énergie renouvelable (issue du solaire, de l’éolien, de l’hydraulique…). Il existe ensuite l’hydrogène jaune, ou rose, produit à partir d’électricité d’origine nucléaire. On trouve encore l’hydrogène dit blanc, naturellement présent dans la croûte terrestre, mais encore très peu exploité.

Il reste dans la gamme de couleurs l’hydrogène bleu, produit à partir de gaz naturel ou de charbon, en utilisant un processus de gazéification couplé à des dispositifs plus ou moins performants de capture de carbone. « Les technologies de captage de CO2 sont encore incertaines, indisponibles à l’échelle industrielle et ne permettent pas de capter l’ensemble des émissions », alerte à ce sujet WWF France dans une récente note sur l’hydrogène.

Plus de dix larges panneaux solaires surélevés, derrière des grillages, posés sur de la terre.
Champs de panneaux solaires
Il faut de grands volumes d’énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène dit « vert ». Ici, un champ de panneaux solaires dans le nord de l’Espagne.

L’hydrogène le plus exploité à l’heure actuelle est le gris, produit à partir d’énergies fossiles, gaz, pétrole ou charbon, et sans récupération du CO2. « Aujourd’hui, l’hydrogène est principalement utilisé dans les secteurs du raffinage et de la chimie et produit à l’aide de combustibles fossiles tels que le charbon et le gaz naturel, et est donc responsable d’importantes émissions annuelles de CO2 », apprend-on auprès de l’Agence internationale de l’énergie. 99 % de l’hydrogène actuellement produit dans le monde est fabriqué à partir de combustibles fossiles.

De l’hydrogène nucléaire

La production d’hydrogène est donc loin d’être ni verte ni neutre en termes d’émissions de gaz à effet de serre. « En 2022, la production mondiale d’hydrogène a été responsable de plus de 900 millions de tonnes d’émissions de CO2. C’est plus que les émissions de l’industrie aéronautique mondiale et nettement plus que les émissions de CO2 de l’Allemagne l’économie la plus polluante de l’UE », dénonce l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory dans un rapport publié début octobre.

C’est pourquoi le WWF, par exemple, appelle le gouvernement français à développer principalement l’offre d’hydrogène produit par électrolyse à partir d’électricité issue des énergies renouvelables, et à renoncer aux installations basées sur les énergies fossiles. « Il faudra, pour ce faire, accélérer sur le champ l’installation des énergies renouvelables », souligne le WWF.

Or, la France est à la traîne en matière d’énergies renouvelables. Et le programme de développement de la filière hydrogène français ne dit pas explicitement s’il s’agira d’hydrogène d’origine nucléaire ou renouvelable. « On ne fait pas vraiment la différence en France entre hydrogène décarboné nucléaire et hydrogène décarboné issu des énergies renouvelables, confirme Ines Bouacida. La volonté politique en France, c’est d’encourager les deux au même niveau. Après, ce n’est pas la France qui décide toute seule, puisqu’on a un cadre législatif au niveau européen pour les investissements dans la filière hydrogène. »

Une vaste stratégie européenne pour l’hydrogène est lancée depuis plusieurs années. La Commission a impulsé un premier plan en 2020 pour faire de l’hydrogène un « pilier d’un système énergétique climatiquement neutre d’ici 2050 ». Depuis le printemps 2022 et la guerre en Ukraine, avec des prix du gaz qui se sont envolés, l’Union européenne (UE) a même prévu un triplement des besoins en hydrogène. Mais attention, alertent plusieurs organisations : l’industrie des énergies fossiles se trouve souvent en embuscade derrière ces programmes.

Lobbying des grands groupes pétroliers

« Conscients que l’hydrogène continuera d’être essentiellement d’origine fossile dans les années à venir, les grands groupes pétroliers et gaziers tels que Shell, Total, ExxonMobil et leurs groupes de pression présentent l’hydrogène comme une solution miracle à la crise climatique, dénonce Corporate Europe Observatory. Grâce à leur lobbying, l’hydrogène est devenu une pierre angulaire des politiques de l’UE et l’Union a fixé des objectifs irréalisables pour l’utilisation de l’hydrogène, y compris dans des secteurs comme le transport routier où des alternatives moins chères et plus propres sont disponibles. Les objectifs en matière d’hydrogène vert étant susceptibles de dépasser l’offre, il existe un risque que l’hydrogène gris et bleu issu des combustibles fossiles soit autorisé à combler l’écart. »

Un schéma qui montre les logos de grandes entreprises : RWE, Bosch, Exxon Mobil, Shell, EDF, BP, BASF… classés en producteurs d'hydrogène fossile, fournisseurs de technologies, et usagers d'hydrogène.
Lobby de l’hydrogène
Le lobby européen de l’hydrogène selon Corporate Europe Observatory.

L’ONG vient de publier une analyse basée sur les données de LobbyFacts, le site qui traque les dépenses de lobbying à Bruxelles. Le résultat : parmi les 100 premiers groupes de pression de l’UE, il y a 25 acteurs de l’hydrogène - entreprises, associations commerciales et think tank.

« Dans le registre des groupes de pression de l’UE, ces 25 groupes mentionnent l’hydrogène comme l’un des principaux sujets sur lesquels ils font pression, ont tenu des réunions sur le sujet avec la Commission européenne, ont participé à des consultations publiques sur le sujet, sont membres de groupes de pression spécialisés dans l’hydrogène tels que Hydrogen Europe ou, souvent, tout cela à la fois », précise l’ONG.

« Une bouée de sauvetage » pour les multinationales gazières

« Les multinationales pétrolières et gazières voient dans l’hydrogène une bouée de sauvetage pour leur activité et pour leur principal produit : le gaz fossile, dénonçait déjà en 2021 le Réseau européen d’observatoires des multinationales ENCO dans un rapport en 2021. L’industrie considère l’hydrogène renouvelable vert comme un cheval de Troie pour l’hydrogène bleu d’origine fossile. »

Le danger que l’hydrogène ne passe d’espoir à nouvel habit de l’industrie fossile inquiète aussi le Réseau action climat européen CAN : « Étant donné qu’aujourd’hui la quasi-totalité de l’hydrogène provient de combustibles fossiles, le risque est grand que le secteur européen de l’hydrogène ne parvienne pas à passer complètement à l’hydrogène renouvelable et devienne au contraire un moyen de justifier la poursuite des investissements dans les combustibles fossiles », s’alarme l’organisation.

En Espagne, en Italie, en Allemagne aussi, des milliards d’euros sont injectés dans ce secteur. L’Allemagne avait par exemple adopté un premier plan en 2020, actualisé cet été. Et là aussi, le diable se cache dans les détails. « Nous trouvons cela positif d’accélérer le développement de l’hydrogène. Le problème est que la production de l’hydrogène bleu reste une partie intégrante de cette stratégie, critique Lukas Schreiner, de l’organisation écologiste Klima Allianz. Il est écrit dans la stratégie que l’hydrogène vert a la priorité, mais que l’hydrogène bleu est nécessaire pour la phase de transition, jusqu’à ce qu’on ait assez d’hydrogène vert disponible. On voit ici le danger : que l’hydrogène bleu soit utilisé plus longtemps que cela ne serait nécessaire. »

Importer de l’hydrogène, exporter les impacts négatifs

Autre point noir pour l’activiste climatique : l’Allemagne prévoit d’importer deux tiers de son hydrogène vert, et d’en produire localement seulement un tiers. « Les pays d’import en discussion sont le Maroc, l’Australie, la Namibie. L’Allemagne a noué avec ces États des partenariats énergétiques », précise Lukas Schreiner. C’est donc loin de chez elle que l’Allemagne veut construire de grandes surfaces de production d’énergies renouvelables, pour y produire de l’hydrogène par électrolyse, puis l’importer.

Les possibles effets nocifs, comme les concurrences d’usages de ces surfaces, les effets sur la biodiversité et sur les ressources en eau sont ainsi externalisés sur d’autres continents. « Dans la stratégie nationale pour l’hydrogène, il est écrit que cela doit se passer de manière durable. Mais pour nous, il faut des standards concrets, que la population locale prenne part à la valeur produite et aux décisions. Et que les ressources en eau aussi soient gérées de manière durable. »

Pour le militant écologiste, l’hydrogène va de toute façon rester un bien limité. « On ne va pas en produire de manière illimitée ni en importer de manière illimitée. C’est pour cette raison qu’il ne doit être utilisé que dans les secteurs sans alternative, surtout dans l’industrie. On peut aussi utiliser l’hydrogène pour le stockage de l’énergie, mais les volumes ne vont pas suffire pour le chauffage ou les voitures. »

Devenir « champion de l’hydrogène », comme y aspire Macron, ne réglera pas tous les problèmes. Ni n’empêchera de devoir réduire notre consommation énergétique.

Rachel Knaebel

Photo de une : CC BY-NC-ND 2.0 Sandia Labs via Wikimedia Commons.