Renouvelables

Artificialisation des sols, spéculation foncière : quelles alternatives aux dérives du solaire industriel ?

Renouvelables

par Sophie Chapelle

2000 hectares de terres agricoles et de forêts bientôt recouverts de panneaux solaires en Lot-et-Garonne, 400 hectares de causses dans l’Hérault... Des citoyens alertent sur les dérives de ces méga-centrales, et appellent à recouvrir en priorité les toits et surfaces déjà artificialisées plutôt que de s’en prendre au vivant. L’utilisation de sites déjà bétonnés comme les parkings ou les entrepôts permettrait déjà de multiplier par cinq la puissance solaire actuelle. Sur le terrain, des habitants et des collectivités multiplient la création de centrales photovoltaïques coopératives. Développer les renouvelables tout en limitant les conflits d’usage, c’est possible !

Dans le sud du Larzac, la colère gronde. 30 000 panneaux photovoltaïques pourraient recouvrir 400 hectares de causses, de maquis, et de prairies arides, soit l’équivalent de 570 stades de foot ! La société française Arkolia Énergies envisage d’implanter cette immense centrale sur un terrain privé, le domaine de Calmels, réservé jusqu’ici à la chasse. « Pour le moment, c’est un lieu hostile à toute écologie, soutient Alain Viala, le maire de la commune du Cros. C’est un secteur de chasse où au moins trois fois par semaine, on tire 2000 cartouches par jour ! »

Ce n’est pas l’avis de Dominique Voillaume, une éleveuse d’ovins. « Ce qui semble à certains un désert de cailloux, représente en réalité une richesse pour le pastoralisme », explique t-elle. Sur les causses, le pâturage constitue en effet l’essentiel de la nourriture des troupeaux. Et façonne un paysage plus ouvert qui favoriserait une plus grande diversité animale et végétale [1].

Les promoteurs du projet assurent, eux, que les clôtures enfermant les panneaux photovoltaïques, autour desquels les moutons pourront pâturer, « protègeront les animaux des loups et prédateurs naturels » et que les panneaux eux-mêmes « feront office d’abris face au soleil et protégerons des grands rapaces ». Troquer l’ombre d’un sous-bois contre des composants en aluminium, en silicium, voire en cadmium, est-ce bien raisonnable ? Une concertation publique autour du projet dit « Solarzac » est en cours jusqu’au 23 juillet.

« Développer les renouvelables est nécessaire, mais le faire n’importe où, n’importe comment, relève de l’aveuglement »

Le développement de méga-centrales solaires de ce type pourrait contribuer à la spéculation foncière en augmentant la valeur des terres agricoles, alerte l’association « Terres de Larzac, terres de biodiversité, terres de paysans ». « On ne peut pas rivaliser, en tant que paysans, avec des promoteurs qui proposent 1500 à 2000 euros l’hectare, », illustre Étienne Le Merre, militant de la Confédération paysanne, dans un contexte où les montants de fermage sont bien inférieurs sur le plateau du Larzac [2]. La crainte que Solarzac gèle l’installation d’éleveurs a notamment conduit la communauté de communes Lodévois et Larzac à voter une motion défavorable au projet, le 21 février dernier.

Troupeau de brebis sur les causses du Larzac (© Terres de Larzac, terres de biodiversité, terres de paysans)

Des associations environnementales comme France Nature Environnement (FNE) montent aussi au front. Elles considèrent que pour être réellement écologiques, les projets d’énergies renouvelables ne doivent en aucun cas aggraver l’artificialisation des espaces naturels et agricoles, d’autant plus lorsqu’ils abritent une biodiversité remarquable. En l’occurrence, le projet Solarzac est en plein cœur des Causses et Cévennes, patrimoine mondial de l’Unesco, et de quatre sites Natura 2000 – des zones de protection des habitats et des oiseaux. « Développer les énergies renouvelables est nécessaire, souligne FNE, mais le faire n’importe où, n’importe comment, avec une vision politique uniquement quantitative, sans précaution par rapport à la biodiversité qui traverse une crise sans précédent, relève de l’aveuglement. »

2000 hectares de terres et forêts artificialisés en Lot-et-Garonne

Plus à l’ouest, un parc photovoltaïque cinq fois plus grand pourrait voir le jour d’ici quatre ans. Au total, 2000 hectares de panneaux couvriraient une partie du Lot-et-Garonne, en vue d’assouvir les besoins en électricité de 650 000 foyers, soit bien plus que ce que le département compte d’habitants. Selon Raymond Girardi, l’instigateur du projet – président la communauté de communes locale, vice-président du conseil départemental et lui-même agriculteur – les panneaux solaires seront répartis dans cinq communes, sur neuf « fermes », et couvriront 1300 hectares de terres agricoles – surtout destinées à la culture de maïs – et 700 hectares de forêts. Pour parer aux critiques, l’élu met en avant les économies d’eau qui servaient à irriguer ces champs. Pour les exploitants dont les terres seront couvertes par ces panneaux photovoltaïques, des dédommagements jusqu’à 3000 euros l’hectare par an sont annoncés. Soit des prix assez élevés.

Le projet est estimé à un milliard d’euros, et financé par cinq opérateurs privés [3]. Les retombées fiscales annoncées pour les collectivités seraient d’environ 8 millions d’euros par an, principalement grâce à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux. Ici, peu de voix discordantes se font entendre. « C’est une manne financière tentante pour les territoires qui ont de moins en moins de ressources publiques, note Christian Crouzet, de la Confédération paysanne du Lot-et-Garonne. On doit cependant s’interroger d’abord sur les conséquences directes d’un projet qui s’installerait au détriment d’une dynamique agricole et forestière. »

« Une course à l’échalote des grandes entreprises, et un État qui laisse faire n’importe quoi »

Ce projet gigantesque va ainsi engendrer une pression foncière dans le reste du département et un fort impact sur la forêt, « parent pauvre à la chambre d’agriculture » dirigée par la Coordination rurale. En novembre dernier, Guillaume Rielland, juriste au sein du Syndicat des sylviculteurs local, constatait déjà « une course à l’échalote des grandes entreprises qui s’engouffrent dans un vide juridique et un État qui ne régule pas et laisse faire n’importe quoi ». « Le massif des Landes de Gascogne a une vraie économie forestière et plus de 34 000 emplois sur la région. Si on continue comme ça, ça va créer du chômage et des fermetures d’entreprises », confirme le vice-président du syndicat, Julien Navals.

Raymond Girardi balaie, lui, la question de l’abattage des arbres : « La loi est claire sur le sujet, pour chaque hectare de forêt abattue, au moins deux autres devront être plantés » (nos articles sur la compensation, sujet très controversé).

Un potentiel considérable pour installer des panneaux solaires sans recouvrir des terres

N’existe-t-il pas d’autres solution pour produire de l’énergie solaire ? « Il nous semble important de couvrir en priorité les bâtiments plutôt que les terres agricoles ou les forêts », souligne Christian Crouzet, évoquant l’exemple de la ville de Toulouse qui vient d’installer des panneaux solaires sur le toit de son marché de gros, alimentant 800 foyers en électricité. Une position partagée par les opposants à Solarzac qui se disent favorables à l’implantation de panneaux photovoltaïques, mais pas n’importe où et en cohérence avec le territoire, comme sur des toitures, des parkings ou des surfaces déjà artificialisées. Une étude publiée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) le 24 mai, confirme que la France dispose d’un potentiel considérable pour installer des panneaux solaires, sur des emplacements peu susceptibles de susciter des contestations.

Inauguration de la centrale photovoltaïque villageoise des Haies / © RAEE

L’agence a recensé en France métropolitaine et en Corse les « zones délaissées » – friches industrielles, tertiaires, commerciales, à l’exception des friches agricoles – et les parkings. Sur plus de 300 000 sites détectés, elle a écarté ceux soumis à des contraintes empêchant ou rendant trop difficile l’aménagement d’une installation photovoltaïque, comme le classement en aire naturelle protégée, le risque d’inondation, ou encore la proximité d’un monument historique ou d’un aérodrome. Au final, plus de 17 000 sites sont propices à l’installation d’une centrale photovoltaïque. Des anciens dépôts d’hydrocarbures ou sites de stockage de déchets pourraient donc retrouver une seconde vie.

De quoi multiplier par cinq la puissance solaire actuelle sans nuire aux territoires

Qu’en est-il de leur potentiel ? En utilisant ces sites bétonnés mais délaissés (entrepôts, parkings...) et déjà identifiés par l’Ademe, il serait possible de multiplier par cinq ou six la puissance solaire actuelle [4] ! L’objectif fixé à l’horizon 2028 dans le cadre du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie serait même dépassé [5]. Alors que quatre régions (Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes) concentrent à elles seules 70 % de la puissance photovoltaïque raccordée sur le territoire, il ressort de cette étude que quasiment tous les départements disposent de sites pour déployer du photovoltaïque [6].

Cependant, du point de vue des investisseurs, il s’agit souvent de sites de bien plus petite taille que Solarzac ou le massif des Landes de Gascogne. Plus des deux tiers des sites retenus par l’Ademe présentent un potentiel compris entre 0,5 et 2,5 MW, quand les promoteurs de Solarzac projettent au minimum 180 MW de puissance électrique... Les entreprises tendent donc à préférer le sacrifice de terres « vivantes » plutôt que la multiplication de petites centrales solaires sur des lieux déjà bétonnés. Et si l’alternative pour l’installation des panneaux solaires n’était pas du côté des sols mais plutôt des toitures ? Dans ses travaux pour estimer la possibilité d’un mix énergétique 100 % renouvelable d’ici à 2050, l’Ademe place les toitures largement en tête des gisements de puissance disponible sur le territoire français, avec 364 GW [7]. C’est sept fois plus que le potentiel gisement des sites déjà bétonnés.

Le pari réussi des centrales photovoltaïques villageoises

Miser sur l’équipement des toitures en panneaux solaires, c’est le pari des centrales villageoises qui essaiment dans l’Est de la France. Elles associent des habitants, collectivités et entreprises locales pour produire de l’énergie renouvelable de façon coopérative. Guy Rivoire fait partie du groupe à l’initiative de la centrale photovoltaïque villageoise en pays mornantais, dans le Rhône. « L’idée est de monter des panneaux photovoltaïques sur des habitations ou établissements publics pour se réapproprier l’énergie », explique t-il. Un premier appel à l’épargne citoyenne a rassemblé 142 000 euros. Créée en 2016, la structure compte aujourd’hui 283 sociétaires et a d’ores et déjà équipé 26 toits.

« Quasiment toutes les communes ont mis un voire deux bâtiments publics à disposition. L’électricité produite, même si elle est injectée sur le réseau, va au plus près. Cela réduit les pertes ». Les coopérateurs fourmillent d’idées et incitent notamment les particuliers à s’équiper d’un kit de deux panneaux. De quoi réaliser 20 % d’économie sur leur note d’électricité.« C’est une vitrine pour aller vers les énergies renouvelables et réfléchir à la façon de consommer le moins possible », plaide Guy Rivoire.

« Occupons nous d’abord des toitures plutôt que d’artificialiser les terres agricoles »

La « coopérative solaire » projette de lancer un nouvel appel citoyen et recherche des toits industriels ou agricoles d’une surface de 200 ou 600 m2. Fermement opposé au photovoltaïque en plein champ, Guy Rivoire aspire à ce qu’un maximum de toits soient équipés. « Si on équipe en photovoltaïque tous ceux qui sont bien orientés et que l’on multiplie les petites installations, on sera en énergie positive. Occupons nous d’abord des toitures plutôt que d’artificialiser les terres agricoles, et diminuons notre consommation ! »

L’appel sera t-il entendu par le ministre de la Transition écologique et solidaire ? « Le 6 avril, j’ai alerté François de Rugy sur les logiques purement financières à l’œuvre chez les producteurs d’énergies renouvelables, de plus en plus gros et hors sol, qui vont à l’encontre de l’objectif de stopper l’artificialisation et l’érosion de la biodiversité, alors que nous avons déjà toutes les surfaces nécessaires », souligne Simon Popy, président de la FNE en Languedoc Roussillon. « Le ministre m’a répondu – devant l’assemblée générale du mouvement – que ces projets géants ne sont pas à ce jour autorisés et que la doctrine du ministère est claire : pas de photovoltaïque en milieux naturels et agricoles. » Sollicité par Basta! à ce sujet, le ministère n’a pour l’heure pas donné suite à nos interrogations.

Sophie Chapelle

Photo de Une : Centrale solaire en Gironde / CC JoFdrone

Notes

[1Lire à ce sujet le dossier de Campagnes solidaires, « Énergies et climat : de fausses solutions dans nos campagnes », juin 2019. Voir également le communiqué de la Confédération paysanne de l’Hérault concernant Solarzac. Et cette note sur l’agropastoralisme

[2Le fermage est un type de bail rural dans lequel un propriétaire, le bailleur, confie à un preneur, le fermier, le soin de cultiver une terre sous contrat. Les montants des fermages sont encadrés.

[3Valeco, Green Lighthouse, Neoen, Reden Solar et Amarenco Construction

[4L’Ademe l’estime à 53 GW (gigawatt), dont 49 GW sur les zones dites « délaissées » et 4 GW sur les parkings. Fin 2018, la puissance photovoltaïque installée en France était de 9 GW.

[5Le gouvernement prévoit de porter entre 35,6 et 44,5 GW la puissance photovoltaïque installée en France, à l’horizon 2028.

[674 départements disposeraient d’un gisement supérieur à 100 MW, en particulier près de grandes zones urbaines comme l’Ile-de-France ou la Gironde, et dans les anciennes régions industrielles du Nord et de l’Est.

[7Source : Mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations, Ademe, 2016