Diplomatie

COP21 : « Les engagements actuels nous conduisent tout droit à un réchauffement climatique d’au moins +3°C »

Diplomatie

par Sylvain Angerand

La première semaine de la COP21, des négociateurs venus de 195 pays se sont accordés sur un projet de texte adopté le 5 décembre. C’est sur cette base que planche une centaine de ministres pour élaborer un accord mondial sur le climat d’ici le 11 décembre. Que faut-il en attendre ? « Si, officiellement, un nombre croissant de pays s’est rallié à l’objectif de stabilisation à +1,5°C, les engagements qui sont sur la table des négociations, eux n’ont pas bougé d’un iota », déplore l’association des Amis de la Terre. Elle préconise plusieurs pistes d’actions pour construire le monde, soutenable, de demain.

+1,5°C ? Chiche ! Après une dizaine de jours de négociations, c’est aujourd’hui que Laurent Fabius doit mettre sur la table le texte quasi-finalisé qui préfigurera l’accord de Paris sur le climat. Depuis le début de la COP 21, et le discours de François Hollande, la France affiche une ambition renouvelée et feint de soutenir une demande clé des pays les plus vulnérables : stabiliser le climat à un maximum de +1,5°C par rapport au début de l’ère pré-industrielle. Du bluff ?

Depuis le milieu du XIXe siècle, la température moyenne du globe a déjà augmenté de +0,85°C. L’objectif fondamental de la Convention des Nations Unies sur le Climat est de ne pas dépasser un réchauffement moyen de +2°C d’ici la fin du siècle : or, un tel réchauffement aurait déjà des impacts majeurs sur la sécurité alimentaire, la stabilité des écosystèmes et entraînerait – de facto – la disparition des zones habitées proches du niveau actuel de la mer. Un risque inacceptable pour les pays exposés d’où l’appel à être plus ambitieux, et à fixer une limite de +1,5°C [1]. Précisons ici, que la science du climat n’est pas une science de l’exactitude mais un complexe jeu d’interactions et de probabilités : l’objectif est d’éviter à tout prix de franchir des seuils au-delà desquels la machine climatique s’emballerait. D’où l’importance d’agir au plus vite.

Écran de fumée

Or justement, c’est là que le bât blesse. La surenchère sur l’objectif de long terme de stabilisation du climat est un écran de fumée pour mieux masquer l’absence de volonté des pays développés à agir à court terme. Si, officiellement, un nombre croissant de pays s’est rallié à l’objectif de stabilisation à +1,5°C, les engagements qui sont sur la table des négociations, eux n’ont pas bougé d’un iota et – même s’ils étaient respectés – ils nous conduiraient tout droit à un réchauffement climatique d’au moins +3°C.

Le décalage est encore plus flagrant si l’on analyse les engagements annoncés par les pays développés à travers le prisme de l’équité c’est à dire en intégrant la responsabilité historique de chaque pays [2] S’ils étaient sérieux et responsables, les pays développés devraient s’engager à une réduction drastique de leurs émissions de l’ordre de 50 % d’ici 2020, 75 % d’ici 2025 et 90 % d’ici 2030 ! Cela impliquerait de bouleverser en profondeur l’ensemble des politiques publiques encadrant l’industrie, le commerce, l’habitat, le transport ou encore l’agriculture.

Contradictions françaises

Mais la France, comme la plupart des pays développés, continue de s’arc-bouter sur des modèles économiques obsolètes et de s’enliser dans ces propres contradictions. Alors que les scientifiques estiment qu’il faudrait laisser un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles du gaz et plus de 80 % de celles de charbon dans le sol [3], le Ministère de l’Écologie a délivré, deux mois avant le début de la COP 21, trois nouveaux permis de recherche pour des hydrocarbures.

Là, où il faudrait mettre un terme aux pires pratiques des entreprises, la France leur déroule le tapis vert et leur ouvre les portes du Grand Palais : la présence d’Engie ou d’EDF comme sponsor de la COP 21, deux entreprises dont l’État français est actionnaire et dont les centrales à charbon représentent l’équivalent de plus de la moitié des émissions françaises de gaz à effet de serre [4] liées au secteur de l’énergie, est un camouflet aux pays les plus vulnérables. Les accords commerciaux conclus, ou en cours de négociation, entre l’Union Européenne, le Canada et les États-Unis constituent un appel d’air pour les bateaux chargés d’hydrocarbures extrêmement polluants, issus des sables bitumineux de l’Alberta. Faut-il en ajouter ?

Comment agir ?

Ce « schisme de réalité » – est pour reprendre l’expression proposée par Stefan Aykut et Amy Dahan [5] – est le principal défi auquel se heurte aujourd’hui la société civile. Alors quand la parole politique se délite au point de ne même plus faire un effort minimum de cohérence, comment agir ?

Partout dans le monde et en France, des alternatives se structurent, des initiatives citoyennes se multiplient, des entreprises s’organisent différemment et l’ensemble de ces actions participent à construire, dès aujourd’hui, le monde dans lequel nous voulons vivre demain. Ce qui est incroyablement porteur d’espoir, c’est que nous avons tout sous la main : nul besoin d’attendre des ruptures technologiques majeures pour s’approvisionner en énergie 100 % renouvelables comme le démontre avec brio le scénario Negawatt. L’enjeu, c’est d’arriver à accélérer au plus vite la diffusion et la normalisation de ces alternatives.

L’inertie des gouvernements n’est plus compatible avec l’urgence d’agir

Il y a encore 5 ans, habiter une maison en paille était une excentricité, aujourd’hui, ce type de construction est normalisé et accessible à tous. Le boom du covoiturage est en train de bousculer le mythe de la voiture individuelle et cela, en quelques années seulement. Au début des années 2000, les premières associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) sont apparues en France : aujourd’hui, il y en a près de 1600 et il n’est plus tabou de privilégier l’achat de produits locaux. Rien n’est impossible : la plupart des réacteurs nucléaires français ont été construits en moins de 10 ans et ont bouleversé la donne énergétique, l’histoire a montré comment des pays sont capables de profondément modifier leur appareil de production en basculant sur une « économie de guerre ». Pourquoi de tels changements ne seraient pas possible pour construire une « économie de paix » ?

Il n’est peut-être pas encore trop tard pour tenter de stabiliser le climat. Ce qui est sûr, c’est que l’inertie des gouvernements n’est plus compatible avec l’urgence d’agir : nous, ne pouvons compter que sur nous et notre capacité à organiser et accélérer les indispensables transitions dans les prochaines années. Le 12 décembre [6], plus nous seront nombreux à nous mobiliser, plus nous pourrons montrer la force de notre mouvement et notre détermination à ne pas leur laisser le dernier mot.

Sylvain Angerand, Coordinateur des campagnes pour les Amis de la Terre

Photo : © Jean de Peña / Collectif à-vif(s)