Climat

« Des puits de pétrole à l’endroit où les premiers méga-incendies ont touché la France »

Climat

par Rédaction

Alors que le gouvernement se dit favorable au forage de huit puits de pétrole en Gironde, le climatologue Christophe Cassou alerte : « Les choix d’aujourd’hui déterminent le niveau de réchauffement de demain. Nous sommes dans une décennie cruciale. »

Huit nouveaux puits de pétrole pourraient être exploités dans la forêt de La Teste-de-Buch, en Gironde, dont la forêt a été ravagée par les incendies monstres de l’été 2022. Le groupe canadien Vermilion Energy, titulaire jusqu’au 1er janvier 2035 d’une concession sur la commune, exploite déjà une cinquantaine de puits avec une production estimée à 1500 barils par jour. Ce projet contesté de nouveaux forages pétroliers a reçu le 20 novembre 2023 un avis favorable de la commissaire enquêtrice à l’issue d’une enquête publique. C’est désormais au préfet de Gironde, et donc au gouvernement, qu’il revient d’autoriser ces nouveaux forages ou non.

Or, le gouvernement se dit lui aussi favorable au projet. Début décembre, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a jugé que, tant que la France avait besoin de pétrole, il n’était « pas plus mal qu’il vienne d’ici plutôt que de le faire venir du bout du monde ». « Je suis pour » le feu vert de l’État à ce forage, « pour une simple et bonne raison : c’est qu’on l’a voté », a souligné le ministre délégué à l’Énergie, Roland Lescure, le 11 février sur France 3. Il fait référence à la loi Hulot votée en 2017 qui prévoit « la fin totale de l’extraction de pétrole d’ici 2040 en France ». « Ça veut dire que d’ici 2040, on va continuer à extraire un peu de pétrole en France », mais « pas beaucoup », a défendu le ministre.

Cette loi Hulot comporte de nombreuses failles, puisqu’elle ne permet pas de revenir sur les permis existants. C’est d’ailleurs cette même entreprise Vermilion qui avait fait pression sur le gouvernement français pour édulcorer la loi. Pour des scientifiques comme le climatologue Christophe Cassou, « l’extension du mandat d’exploitation de la société Vermilion, si elle est accordée par l’État via le Préfet de Gironde, serait incohérente avec l’annonce du président Macron de faire de la France la première grande nation à sortir des énergies fossiles. » Voici son discours, prononcé lors d’une manifestation contre ces forages le 11 février à Bordeaux.


Le constat

Christophe Cassou
Prise de parole à Bordeaux lors de la manifestation contre de nouveaux forages pétroliers en Gironde, 11 février 2024.
© Droits réservés

2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée sur le globe. En France, elle se classe au deuxième rang tout juste derrière 2022. Les changements sont généralisés, rapides, affectent toutes les régions du monde, et ils s’intensifient. Et c’est désormais un fait établi : l’intégralité du réchauffement global observé aujourd’hui est attribuable aux activités humaines et plus précisément à l’usage des énergies fossiles, le pétrole, le gaz naturel et le charbon, puis l’usage et l’artificialisation des sols incluant la déforestation. Le changement climatique est un voyage sans retour en territoire inconnu. Nous entrons dans l’inédit pour l’espèce humaine.

Les actions pour le climat montent certes en puissance mais les politiques publiques actuelles sont insuffisantes et nous amènent sur une trajectoire où un été de type 2022 - celui de la sécheresse et des chaleurs extrêmes, celui des incendies, celui des 60 000 morts en Europe - devient normal dès 2050. Un été de type 2022 est un été frais à partir de 2070, dans moins de deux générations sur cette trajectoire. La France connaîtra alors ponctuellement et localement des températures de 50 degrés. Le Haut Conseil pour le Climat rappelle lors de chaque rapport annuel que le rythme de baisse des émissions pour la France est deux fois trop lent et que les actions prises en France sont encore trop souvent palliatives et non transformatives.

Le cadre physique par définition non-négociable

Il ne faut plus qu’aucune molécule de CO2 ne s’accumule dans l’atmosphère si nous voulons limiter le réchauffement climatique et ces risques. Ce n’est pas mon avis, mon opinion, mais une contrainte géophysique avec laquelle on ne peut pas négocier. Chaque tonne de CO2 contribue à un réchauffement additionnel et nous rapproche des limites de l’adaptation à un climat qui change, nous rapproche de l’irréversibilité pour de nombreux écosystèmes terrestres et marins, et pour les sociétés humaines.

Les évaluations du GIEC démontrent que limiter le réchauffement nécessite des transformations majeures du système énergétique mondial et notamment la réduction de la consommation d’énergies fossiles, avec une réduction significative des investissements dans les énergies fossiles. Celles-ci représentent plus de 90 % des émissions de CO2 qui joue un rôle essentiel, car cumulatif, sur le changement climatique futur. Plus on investira dans les énergies fossiles, plus il sera difficile de décarboner le système énergétique et de limiter les risques pour l’économie, la santé et la biodiversité.

L’argument du dealer de drogue

Nous sommes dans une décennie cruciale car les choix et les actions d’aujourd’hui déterminent le niveau de réchauffement de demain, le niveau de risques de demain. Aujourd’hui, les émissions cumulées de CO2 prévues pour la durée de vie des infrastructures fossiles existantes et actuellement planifiées, sans réduction supplémentaire, dépassent déjà les émissions cumulées nettes de CO2 compatibles pour limiter le réchauffement climatique sous les seuils inscrits dans l’Accord de Paris.

S’il faut fermer les infrastructures existantes, il ne faut bien évidemment pas en ouvrir de nouvelles, considérant le rythme de baisse des émissions nécessaires pour respecter les objectifs climatiques. Il faut éliminer les énergies fossiles du mix énergétique.

Les discours pour justifier ces nouvelles extractions en Gironde s’appuient souvent sur les sophismes du « faux dilemme ». « Si nous ne puisons pas le pétrole ici, d’autres le feront ailleurs et plus salement ». Cela revient à dire que quitte à se suicider autant le faire avec la drogue qu’on s’est fabriquée. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise drogue, pas de bonne ou mauvaise addiction mais une addiction qui nous tue à petit feu et désormais à grandes flammes. Car le symbole est puissant : des puits de pétrole précisément à l’endroit où les premiers méga-incendies, rendus plus probable par le changement climatique, ont touché la France métropolitaine.

Les entreprises pétrolières disqualifient les feuilles de route pour la transition énergétique basées sur la réduction de la demande en énergie, alors que le rapport du GIEC, sur la base de milliers d’articles scientifiques évalués de manière plurielle, objective, transparente et traçable, le GIEC insiste sur le rôle primordial de la réduction de la demande, pour réussir combinée à plus d’efficacité à limiter les risques liés au changement climatique. Les émissions mondiales de GES pourraient être réduites de 40 % à 70 % dans 30 ans si les feuilles de route pour la transition énergétique partaient des besoins des populations en services et non pas de l’offre en énergie.

Science, lois, décisions politiques

L’extension du mandat d’exploitation de la société Vermilion, si elle est accordée par l’État via le Préfet de Gironde, serait incohérente avec l’annonce du président Macron de faire de la France la première grande nation à sortir des énergies fossiles. Mais plus grave, elle serait incohérente avec l’objectif de neutralité carbone de la France inscrit dans la loi climat et résilience.

Si la science ne peut en aucune façon, dicter la décision publique, décider en ignorant sciemment les connaissances scientifiques clairement établies, est problématique dans une démocratie.

Le citoyen scientifique

Et je quitte ici mon habit de scientifique pour celui de citoyen. Je vois ici des gens de tout âge, unis dans un combat non violent pour un futur climatique viable.

1. L’indignation n’est pas un crime : c’est le signe de la conscience qui fait de nous des êtres humains.
2. L’engagement n’est pas un crime. C’est ce qui fait l’honneur du citoyen.
3. La résistance à l’absurdité d’un projet climaticide et emblématique d’une bifurcation impossible, n’est pas un crime.

Au contraire, le GIEC dans son évaluation de la littérature scientifique, montre que les mouvements citoyens aident à la prise de conscience et à faire évoluer le droit, aujourd’hui obsolète par bien des aspects, face aux enjeux du moment.

Ceux et celles qui insultent Greta Thunberg [présente à la mobilisation du 11 février à Bordeaux], en moquant sa jeunesse, son physique, démontrent simplement leur lâcheté, leur bêtise, le vide abyssal de l’argumentaire. Quand on ne peut attaquer le message, on s’en prend aux messagers. Nous devrions plutôt être fiers que la jeunesse se lève pour rappeler aux adultes leurs responsabilités et tende la main à nos générations pour qu’on construise ensemble un futur crédible, un futur désirable, un futur plus juste et plus humain.

Merci à vous toutes et tous.

Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS, climatologue, un des auteurs principaux du 6e rapport du GIEC

Photo : A l’appel du collectif Stop pétrole bassin d’Arcachon, composé de Écocitoyens du bassin d’Arcachon, Greenpeace Bordeaux, STOP Total Bordeaux, XR Bordeaux, Soulèvements de la Terre Pessac, environ 3000 personnes ont défilé dans les rues de Bordeaux, le 11 février 2024, pour réclamer l’arrêt d’un projet de huit nouveaux forages pétroliers du groupe Vermilion Energy, à La Teste-de-Buch. © Benjamin Guillot-Moueix / Greenpeace