Entretien

À cause des résidences secondaires, « les difficultés à se loger deviennent une bombe sociale »

Entretien

par Guy Pichard

Benjamin Keltz a sillonné la Bretagne pour raconter sa région en basse saison, celle des volets fermés et des difficultés que pose l’envolée des prix de l’immobilier. Son livre alerte sur le risque que toute une région ne puisse plus se loger.

Basta! : Pourquoi avoir écrit ce livre sur les résidences secondaires et plus généralement la crise du logement en Bretagne ?

Benjamin Keltz assis en tailleur sur in ponton devant la mer
Benjamin Keltz
est journaliste, correspondant pour Le Monde en Bretagne et auteur du livre Bretagne secondaire.
©Emmanuel Pain

Benjamin Keltz : C’est le fruit de trois ans de travail. J’ai grandi dans une station balnéaire aux volets fermés dans laquelle je n’ai pas réussi à revenir, car les prix de l’immobilier y sont aujourd’hui trop élevés. Le livre Bretagne secondaire découle donc de mon expérience personnelle. J’ai investi le littoral en me faisant prêter ou en louant des maisons secondaires au fil de l’année pour le livre, mais aussi via différents articles à ce sujet pour le quotidien Le Monde.

Quel constat dressez-vous après ces trois années d’enquête ?

Près de 20 % du littoral abrite plus de logements secondaires que de logements classiques. Et j’entends par logements secondaires les Airbnb, mais aussi les maisons familiales héritées ou encore les logements acquis après le Covid qui sont finalement occupés trois semaines par an... La Bretagne est constituée d’environ 12 % de résidences secondaires. Et sur le littoral, le nombre de maisons de vacances a été multiplié par trois en quelques décennies. Mais il est encore temps de faire quelque chose, car sinon, c’est la loi du marché qui triomphera.

Le consensus actuel est qu’Airbnb siphonne la location longue durée. Presque tous les bords politiques font le même constat, mais c’est dans les solutions que les avis divergent. Il y a notamment des désaccords avec certains élus de communes que j’appelle parfois « villes fantômes ». Cependant, ces élus n’ont pas tort quand ils me disent que leur commune vit malgré tout et a des résidents temporaires en plus des résidents permanents.

Les habitants temporaires sont à leurs yeux une population qui vient un peu plus que pendant les vacances, comme lors de certains longs week-ends. Malgré cela, ces habitants dits temporaires ne font pas vivre les territoires à l’année. Ils ne consomment pas dans les commerces en semaine et leurs enfants ne sont pas scolarisés sur place. Pour sillonner la Bretagne régulièrement, je maintiens ce terme de « villes fantômes ». 

Avez-vous un exemple concret à nous donner d’une commune ainsi désertée ?

Récemment, j’étais par exemple à Saint-Lunaire (une commune d’Ille-et-Vilaine de 2 500 habitants, sur la côte, près de Saint-Malo, ndlr) un week-end avec mes enfants. Un samedi de janvier, il a été impossible de trouver où boire un café dans la rue principale. C’est ça, la réalité.

Quel est le profil des propriétaires de logements secondaires dans votre région ?

Les profils de résidents secondaires sont très variés. On rencontre des amoureux du territoire qui héritent de biens de génération en génération. D’autres investissent dans un logement pour y passer quelques jours par an. Mais beaucoup sont des spéculateurs. Ils acquièrent des logements pour les louer à la nuitée. On rencontre aussi nombre de personnes qui préparent leur retraite. Des réfugiés climatiques aussi qui ne supportent plus le climat du Sud.

Les propriétaires sont en revanche une population plutôt vieillissante. À Carnac (Morbihan) par exemple, la part totale des plus de 60 ans dans la commune a augmenté de dix points en une dizaine d’années. Cette nouvelle population vient donc passer sa retraite en Bretagne et concrètement, la vie sociale et l’économie se contractent autour du tourisme de villégiature de cette « population aux cheveux blancs ». 

Que faire pour que le parc immobilier breton et plus généralement celui de toutes les stations balnéaires françaises se rééquilibre à nouveau entre locations saisonnières et résidences principales ?

Il n’y a pas une solution miracle pour réussir à trouver le bon équilibre entre vie à l’année, tourisme et villégiature. Il existe différents leviers : développement du logement social, mise en place de quotas, préemption du foncier par la collectivité, taxes, régulation du phénomène de location à la nuitée... D’autres leviers sont à inventer comme le développement d’un viager public.

En tant que journaliste, je suis surtout là pour dresser un constat : les difficultés à se loger sont un problème en puissance, une véritable bombe sociale en perspective. Même pour ceux qui viennent passer leur retraite sur la côte, comment vont-ils vieillir sans les infirmiers ou le personnel d’aide à domicile ? Aujourd’hui, des médecins renoncent même à s’installer à cause des prix de l’immobilier. C’est aussi un problème pour les entreprises qui peinent à recruter des cadres notamment. Il ne s’agit pas d’une lutte des classes, mais de place.

Certes le territoire va s’embourgeoiser, mais comment peut-il fonctionner sans les petites mains pour faire la plonge ou la cuisine ? Un territoire ne peut pas vivre du seul tourisme. Cela semble évident, dis comme ça, mais ça ne l’est pas encore pour tout le monde. Mon travail est donc de poser ce constat dans le débat public et le questionner sous tous ses aspects. Doit-on par exemple orienter les littoraux vers que du tourisme ou tenter de les faire évoluer différemment ? Comment permettre davantage de mixité sociale nécessaire pour ces territoires ?

Au-delà du constat, nous devons aussi nous questionner individuellement et les politiques doivent cesser de prendre ce sujet comme une fatalité. En l’absence de freins, la loi du marché va continuer de transformer les résidences principales en résidences secondaires.

Quand vous parlez de loi du marché, vous faites allusion aux plateformes de location de courte durée ?

Couverture du livre Bretagne secondaire
Bretagne secondaire - Une année au pays des volets fermés, Benjamin Keltz, illustré par Joëlle Bocel, Éditions du coin de la rue, 2023.

Le meilleur exemple du moment et le plus violent, c’est le phénomène Airbnb. Les institutions ont trop tardé à le canaliser. Des solutions commencent à émerger, mais pour l’instant, il n’y a pas de réponse politique à la mesure du problème que l’on affronte et que l’on va affronter de plus en plus. La résidence secondaire est un sujet éminemment politique, car il touche à la rente, à l’héritage personnel et à notre conception de la propriété individuelle.

Quelles réactions a suscitée la parution de votre livre en Bretagne ?

S’il était sorti il y a deux ans, on m’aurait sans doute qualifié d’alarmiste. Mais aujourd’hui, nous sommes dans un moment où le sujet des résidences secondaires fait plutôt consensus. En 2021, l’Union démocratique bretonne (UDB) avait proposé d’instaurer un statut de résident et ce fut un tollé, car jugé anticonstitutionnel. Cela a eu le mérite de poser le problème sur la table. Je n’ai pas vécu un tel rejet de l’opinion à la sortie de mon livre, car tout le monde a pris conscience du problème aujourd’hui. Ce n’est pas anodin que la députée Annaïg Le Meur, qui est du parti présidentiel, parle de certains villages de Bretagne comme de « centres de vacances en devenir ».

Cette députée est co-auteure de la proposition de loi pour « rééquilibrer l’offre de logement locatif » adoptée à l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier. Quel est votre regard sur cette proposition ?

Le problème a enfin été mis sur la table de manière transpartisane à l’Assemblée, cela allait de la majorité présidentielle à La France insoumise. Ce texte de loi a le mérite d’exister, il était nécessaire, même s’il ne fait que proposer des solutions et n’impose rien. Ce n’est qu’une boîte à outils à disposition des élus, sans pénalité en cas de non-respect.

Actuellement, il est fiscalement plus intéressant de louer à la nuitée qu’à l’année... Cette loi rééquilibre la donne. Elle donne aussi aux élus locaux plus d’outils pour intervenir grâce à la mise en place de quotas ou la possibilité de faire évoluer les règles d’urbanisme afin de favoriser le logement à l’année. Mais, rien ne leur est imposé.

Les élus locaux, parfois frileux à intervenir, useront-ils de ces outils ? Il y a urgence. Une fois qu’une maison passe en résidence secondaire, elle n’est généralement pas récupérée sur le marché résidentiel avant 50 à 80 ans. Ce n’est pas une taxe supplémentaire qui va aller convaincre de la revendre ou la mettre en location. Si l’on ne force pas le débat public, il n’aura pas lieu et nous serons obligés de faire le deuil du littoral pour la plupart d’entre nous. 

Propos recueilli par Guy Pichard

Photo de une : Benjamin Keltz/©Emmanuel Pain