Droit à la ville

Ces communes du littoral qui refusent de devenir des « villes fantômes », dédiées aux touristes

Droit à la ville

par Guy Pichard

En Normandie et en Bretagne, les locations de tourisme et les résidences secondaires empêchent les habitants de se loger. Mais les communes réagissent. Entre quotas, taxes, et logement social, elles adoptent des mesures ambitieuses.

« Attal nous promet l’explosion de la crise du logement », a réagi l’association Droit au logement (Dal) après le discours de politique générale de Gabriel Attal début févier [1]. Il faut dire que le Premier ministre a nommé comme ministre du Logement Guillaume Kasbarian, l’homme qui a fait adopter l’an dernier une loi pour durcir les sanctions contre les locataires ayant des dettes de loyers.

Dans le même temps, « la bombe sociale du logement est en train d’exploser sous nos yeux et la crise du logement s’accélère de manière très inquiétante », soulignait le 29e rapport annuel sur l’état du mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre. Cette crise déborde largement la seule région parisienne.

Sous le poids des résidences secondaires, de la spéculation, et du basculement de logements en location uniquement touristique, via Airbnb, la situation s’aggrave dans l’Ouest de la France. Avec près de 70 000 personnes « mal-logées » et 91 000 demandes de logements sociaux pour seulement 17 400 attributions de logement, selon la Fondation Abbé-Pierre, la Bretagne est aujourd’hui dans une situation plus défavorable que la moyenne nationale.

Le journaliste Benjamin Keltz, auteur du livre Bretagne secondaire (Éditions du coin de la rue, 2023), évoque même l’apparition de « villes fantôme », de plus en plus peuplées par des « habitants temporaires » : « Une population qui vient un peu plus que pendant les vacances, comme lors de certains longs week-ends. Malgré cela, ces habitants dits temporaires ne font pas vivre les territoires à l’année. Ils ne consomment pas dans les commerces en semaine et leurs enfants ne sont pas scolarisés sur place », décrit-il pour Basta!

Réguler l’acquisition de résidences secondaires

« La crise du logement ne se réglera pas de Paris, la situation est si particulière en Bretagne que c’est seulement ici qu’on trouvera les réponses », pense Fañch Tildeg [2], porte-parole de Dispac’h, collectif indépendantiste breton créé en 2018 sur la question du logement. Le groupe s’est notamment fait remarquer en collant des affiches sur des volets fermés et via ses opérations « plages mortes » à Carnac et Quiberon (Morbihan), au cours desquelles il a planté des croix sur le littoral avec le nom des villes et leur pourcentage de résidences secondaires.

Dans la ville de Carnac (plus de 4000 habitants), près de 72 % des habitations sont des résidences secondaires, celle d’Arzon (2 000 habitants), sur le golfe du Morbihan, c’est plus de 77 % ! Pour la nouvelle année, Dispac’h a diffusé une vidéo appelant à « désarmer les spéculateurs » en arrachant des boîtes à clef des logements touristiques, d’Airbnb ou Abritel.

« Les zones tendues [classification qui permet aux municipalités d’encadrer les loyers, de réguler les meublés touristiques ou de surtaxer les résidences secondaires, ndlr] devraient être étendues à toute la région et plus seulement au littoral, afin de surtaxer les résidences secondaires et de financer un organisme de contrôle pour appliquer scrupuleusement la réglementation », estime Fañch Tildeg. Sur le sujet du logement, le collectif tient une position assez proche du parti de l’Union démocratique bretonne (UDB).

À gauche et autonomiste, l’UDB avait déjà proposé de créer en 2021 un statut de résident dans sa région, qui réserverait l’acquisition de biens aux personnes habitant depuis plus d’un an sur place. L’idée ne s’est pas imposée. Mais le parti politique a récemment commandé un sondage à l’Ifop pour tester la popularité d’autres pistes, comme celle de transformer la moitié des résidences secondaires en logements sociaux dans les dix prochaines années ! Selon les résultats de ce sondage, 47 % des Bretons interrogés sont pour cette proposition, 41 % contre.

Saint-Malo contre les multipropriétaires

Sans aller jusque-là, une ville bretonne a mis en place ces dernières années des mesures ambitieuses pour lutter contre les locations de courte durée. Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), ville-phare d’une zone (entre le Cap Fréhel et la baie du Mont-Saint-Michel) qui peut recevoir plus de 100 000 touristes par jour en été, est réputée comme la ville la plus stricte de France vis-à-vis de ce type de locations : elle a instauré en 2021 des quotas de meublés touristiques dans chaque quartier. La commune a aussi limité les possibilités de locations touristiques à un seul logement par propriétaire. Fini les multipropriétaires aux dizaines de logements loués sur Airbnb.

« À Saint-Malo, il y avait 300 locations de courte durée en 2012, et 3000 en 2022, estime Franck Rolland, porte-parole du collectif des habitants permanents de Saint-Malo. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 1 500 officiellement déclarés et, selon nous, environ 500 non déclarés. Suite aux prises de position de la mairie, la commune va récupérer 500 autres locations de courte durée dans les deux prochaines années. » La politique volontariste malouine, menée par un maire de droite, Gilles Lurton (Les Républicains), semble donc porter ses fruits dans une ville où deux logements sur trois seraient inoccupés dans la partie historique de la cité.

Mais ces règles suscitent aussi des contestations. « Des multipropriétaires et des conciergeries ont attaqué la ville de Saint-Malo, car selon eux, les mesures nuisent à l’activité économique, explique Franck Rolland. La procédure judiciaire est encore en cours. Mais en cas de victoire de la commune, cela validerait les quotas, et aussi le fait qu’une mairie puisse interdire à un foyer fiscal de posséder plus d’une location de courte durée. Il y a un décalage entre les élus nationaux, sous l’influence du tourisme et de Airbnb, et les élus locaux qui font face aux réalités du terrain. » Contactée par Basta!, la municipalité de Saint-Malo n’a pas donné suite à nos demandes.

En Normandie, surtaxer les résidences secondaires

Dans la région voisine, en Normandie, des communes ont décidé de majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires en réponse à la crise du logement. C’est par exemple ce qu’ont décidé de faire Ouistreham (Calvados) ou Granville (Manche), votant des taux de taxation de 60% pour les résidences secondaires. D’autres villes s’opposent à ce type de mesures. « Dans ma commune, il y a environ 60 % de résidences secondaires. Nous devons notre croissance démographique non pas à la natalité, mais à l’arrivée de retraités et de futurs retraités », explique Florence Grandet, adjointe au maire de Jullouville (Manche), et chargée du tourisme dans cette petite station balnéaire donnant sur la baie du Mont-Saint-Michel.

« Certains diront que Airbnb est un problème, car ils ne parviennent pas à se loger, mais, chez nous, c’est un fonds de commerce. C’est ce qui nous fait vivre », défend l’élue. Dans cette ville balnéaire de moins de 3 000 habitants l’hiver, le nombre de résidents passe à 13 000 l’été...

Plus au nord dans la Manche, Cherbourg a vu le nombre de résidences secondaires et de locations de courte durée doubler en une dizaine d’années. « Nous nous devons de réagir le plus vite possible afin que cela ne devienne pas problématique, réagit Ralph Lejamtel, maire adjoint à l’urbanisme de Cherbourg. À l’image de ce qu’a fait Paris, l’idée est de trouver des outils pour repositionner le locatif en longue durée. »

Dans cette commune ouvrière qui compte déjà un tiers de logements sociaux (15 000 sur 45 000 logements), l’élu veut réglementer et surtout poursuivre une politique de logements accessibles. Dans ce sens, l’agglomération du Cotentin a décidé en novembre 2023 de créer un office foncier solidaire. Cet organisme pourra acheter et gérer des terrains pour y réaliser des logements accessibles à des prix abordables.

Face à ces politiques locales, Airbnb met en avant les 187 millions d’euros de taxe de séjour payés à l’ensemble des communes françaises. À Cherbourg, cela représente… 100 000 euros. « Cette taxe de séjour versée par Airbnb est un outil de communication, dénonce le maire adjoint cherbourgeois Ralph Lejamtel. Avec Airbnb qui, de fait, siphonne la location longue durée, la mobilité résidentielle chute. Ce point est beaucoup plus sérieux que les pièces jaunes que nous redistribue la plate-forme. »

Guy Pichard

Photo de une : À Jullouville, dans la Manche, environ 60 % des logements sont des résidences secondaires/©Guy Pichard

Suivi

Mise à jour du 12 mars à 11h30 : Nous avons ajouté les résultats du sondage de l’UDB.

Notes

[1Voir leur communiqué.

[2C’est un pseudonyme.