« La répression contre le cannabis est un échec complet depuis au moins un demi-siècle »

par Charles Hambourg

Le cannabis récréatif est partiellement légal en Allemagne depuis le 1er avril. Le médecin et paysan Charles Hambourg plaide pour la fin de la politique répressive en France et pour reconnaître le potentiel thérapeutique de la substance.

En France, l’exploitation industrielle du chanvre s’était développée au XVIIe siècle avec, notamment, le développement de corderies destinées à la production de cordages, de câbles, de haubans et de voiles pour les navires. Après un pic à 176 148 hectares en 1841, la superficie des surfaces cultivées redescend aux alentours des 100 000 hectares sous le Second Empire, puis chutera aux alentours des 15 000 hectares avant 1914.

En 1941, le chanvre médicinal est retiré de la pharmacopée des États-Unis (il y était rentré en 1850 comme antalgique, antispasmodique, antiémétique, sédatif). Sous la pression et les menaces de poursuites du Bureau Fédéral des Narcotiques, l’Association Médicale Américaine a baissé les bras.

En 1953, il est retiré de la pharmacopée française. En 1961, puis en 1971, sous la pression des États-Unis, l’OMS classe le cannabis comme stupéfiant et pose les bases internationales de législations qui seront ensuite déclinées dans les pays. C’est ainsi qu’en 1970, avec une loi qui continue de souffler le chaud et le froid sur le cannabis en France, la France pénalise l’usage du cannabis en le punissant d’un an d’emprisonnement et de l’équivalent de 3 750 euros d’amende.

Les usagers pris pour cible

Selon un rapport parlementaire français de juin 2021 cette politique répressive est un échec : « Malgré une réglementation française caractérisée par son caractère prohibitif et la sévérité des sanctions pénales attachées à la détention et la consommation de cannabis, l’échec des politiques publiques en la matière fait aujourd’hui l’objet d’un constat unanime. »

La répression cible quasi exclusivement les usagers et non les trafiquants. « L’année 2020 confirme, une fois de plus, l’importance des interpellations pour usage simple (131 385 personnes), qui représentaient 81 % du total des interpellations pour Infraction à la Législation sur les Stupéfiants avec plus de 90 % pour cannabis…. Au-delà de l’inefficacité d’une telle politique, c’est la crédibilité de la parole publique qui est, ici, remise en question (avec) une politique répressive qui nourrit des inégalités sociales et territoriales », pointe le rapport.

Enfin, au vue de l’historique de la mise en place de la prohibition nord-américaine visant particulièrement les populations noires et hispaniques, il semble qu’une situation similaire se retrouve en France : « Ces inégalités territoriales dans l’application de la loi pénale se doublent d’inégalités sociales, mais aussi ethniques. »

Une étude citée dans le rapport parlementaire « pourrait nous amener à conclure que l’implémentation de la loi de 1970 est loin de déboucher sur une distribution statistique conforme aux prévalences de l’usage de cannabis retrouvées en population générale non seulement entre consommateurs mais peut-être aussi en fonction de caractéristiques ethniques. Alors que la loi de 1970 s’applique à tous les Français, seules certaines catégories d’individus seraient concernées par son implémentation. Son application pourrait se révéler être inéquitable, injuste, en quelque sorte régressive. »

Discriminations

Ces conclusions semblent aussi celles de la Commission nationale consultative des droits humains (CNDH) qui a publié un avis consacré à « l’usage des drogues et droits de l’homme » qui, souligne les discriminations ethno-raciales qui ont cours à la fois dans le cadre des contrôles de police et dans la sévérité des sanctions pénales prononcées : « Généralement, une décriminalisation de fait (déclin des poursuites ou des condamnations) précède la décriminalisation en droit (abrogation de l’incrimination légale). Un tel processus de décriminalisation de fait est actuellement remarquable en matière d’usage de cannabis pour une masse d’usagers, mais pas tous. Il en résulte une inégalité devant la loi pénale que la CNCDH ne peut accepter. »

En 2016, une enquête menée en France par le Défenseur des droits confirmait ces conclusions. Si 84 % de personnes interrogées déclarent ne jamais avoir subi de contrôle d’identité au cours des cinq dernières années (90 % des femmes et 77 % des hommes), près de 40 % des jeunes (18-24 ans) indiquent avoir été contrôlés sur la même période. Parmi cette population, ce sont 80 % des jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes/maghrébins qui rapportent avoir été contrôlés au moins une fois. La prohibition du cannabis cible donc les consommateurs, mais permet aux cartels, leurs violences et leurs produits modifiés de prospérer grâce à la clandestinité.

En matière de santé comme de sécurité publique ou de justice sociale, la répression contre le cannabis est donc un échec complet depuis au moins un demi-siècle en France. En 1998, le rapport du professeur Bernard Roques, commandé par le ministère de le Santé, fait l’effet d’une bombe.

Il effectue un travail méthodique sur plus de 400 publications scientifiques pour définir la dangerosité des différentes substances. Le résultat est sans appel : alcool et tabac sont les deux produits les plus dangereux juste après l’héroïne alors que le cannabis est le produit le moins dangereux. Moins dangereux que les médicaments de prescription aussi (benzodiazépines).

Données objectives

Ce rapport aurait du servir de base à l’élaboration d’une nouvelle définition des drogues et donc de nouvelles actions. Mais lors de la présentation du travail de Bernard Roques à l’Assemblée Nationale, le rapporteur évoque que l’industrie viticole est déjà aux manœuvres :

« Les milieux viticoles ont dénoncé un amalgame qui selon eux n’aurait aucun sens. (…) je ne traiterai pas, dans le cadre de ce travail, de l’alcool et de ses effets sur la santé, si ce n’est à travers le prisme des mélanges entre la consommation de drogue et celle d’alcool. De même les analyses sur le tabac seront limitées car les dangers principaux du tabac portent sur les cancers et non sur la santé mentale, cette dernière position ne signifie bien sur en aucun cas que votre Rapporteur mésestime le danger du tabagisme », plaide le député Christian Cabal, rapporteur auprès de l’Assemblée nationale, en 2002.

Malgré ces données objectives, le monde médical n’a pas su être à côté des patients qui en avaient besoin. C’est peut être une histoire de normes sur la façon de mener sa vie qui est, inconsciemment, défendue par les professionnels de santé. Alors que l’on n’intervient pas dans le choix personnel de gens qui vont faire du parapente ou de l’escalade, sports pouvant entrainer accidents graves voir mortels, on se permet de censurer une consommation privée de cannabis et lui attribuer une dangerosité bien supérieure à celle que l’on trouve dans les faits.

Il s’agit donc d’une construction sociale qui a pris le pas sur la rigueur d’analyse que l’on attend d’une démarche scientifique. Ce conformisme est lié à un style de vie qui trouve normal de prendre des risques pour des activités de loisir mais n’imagine pas que l’on puisse en prendre en consommant une substance de son choix, pourtant sans effet sur l’entourage, contrairement à l’alcool.

Les professionnels de santé français accusent un retard majeur dans l’acquisition de savoirs et pratiques innovantes en pliant devant des injonctions légales plutôt que des impératifs de santé. Une expérience menée au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) tente timidement depuis deux ans d’évaluer l’efficacité du cannabis dans différentes maladies. Le cannabis peut être vaporisé pour éviter les effets nocifs de la combustion dans un joint ou de l’association au tabac.

On pourrait voir cela comme une opportunité de rattraper ce retard autour de cette plante médicinale. Mais la lourdeur administrative de cette expérience démarrée en pleine pandémie Covid et le nombre d’ inclusions modérées risquent d’empêcher de rattraper l’avance prise par les patients qui utilisent et connaissent le produit depuis bien longtemps.

Comme dans le domaine de la réduction des risques ou de l’accès à l’avortement, ce sont les personnes concernées qui ont ouvert la voie et imaginé des solutions à des questions majeures de santé publique. Une expertise de la base, issue de l’expérience de terrain, qui mériterait d’être au moins aussi reconnue que les expertises théoriques.

Charles Hambourg, médecin, co-fondateur du centre de santé La Case santé à Toulouse et actuellement du projet « Fermacie » en Cévennes.

 Une version longue de ce texte est à lire ici.

Photo de une : CC0Public Domain