Écologie

Pourquoi le gouvernement vise-t-il les Soulèvements de la Terre ?

Écologie

par Nicolas Haeringer

Il y a un « refus viscéral de l’État de remettre en question le modèle productiviste », estime Nicolas Haeringer du mouvement pour la justice climatique, à l’heure où le ministre de l’Intérieur menace de dissoudre les Soulèvements de la Terre.

Nicolas Haeringer, militant pour la justice climatique à Attac et 350.org
Nicolas Haeringer
Militant pour la justice climatique à Attac et 350.org

Le gouvernement a fait de la bassine de Sainte-Soline une ligne rouge, alors que ce n’est objectivement pas un objectif très stratégique. En Allemagne, quand des militantes vont occuper des mines de charbon, les choses se passent de manière très différente. Alors qu’ils utilisent à peu près le même mode opérationnel et que l’objectif est bien plus stratégique : ces mines alimentent les centrales électriques alentour qui produisaient en 2022 encore près d’un tiers de l’électricité allemande.

Il faut donc se poser la question de manière plus vaste : pourquoi les bassines sont-elles protégées à ce point ? Pourquoi Rémi Fraisse [Militant écologiste tué par l’explosion d’une grenade en marge de la mobilisation contre le projet de barrage de Sivens en 2013, ndlr] est-il mort lors d’une mobilisation similaire contre un barrage ?

De l’écologie des petits gestes aux questionnements systémiques

Le gouvernement actuel, comme à peu près tous les gouvernements français successifs, a fait le choix de soutenir la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Et comme il n’y a aucun ministre de l’Agriculture qui ose se confronter à la FNSEA, celle-ci peut faire à peu près tout ce qu’elle veut.

Et ce qui est intolérable pour ces personnes-là, c’est une mobilisation dont le but est de s’attaquer à la question alimentaire, de remettre en question les choix qui président à notre alimentation. Et de le faire non pas comme on peut le faire en intégrant une Amap, en mangeant plus ou moins local, c’est-à-dire du côté de la consommation, mais de le faire du côté de la production. Derrière les bassines, c’est l’agriculture industrielle qui est remise en cause, comme le choix de certaines cultures, en l’occurrence le maïs qui est destiné à l’alimentation du bétail pour la production de viande et à l’export.

Et ces choix sont remis en cause par des mobilisations qui ciblent la production. C’est complètement contradictoire avec le choix des gouvernements de s’allier coûte que coûte avec la FNSEA.

Ce refus viscéral de l’État de remettre en question le modèle productiviste explique pour partie le déploiement de 3000 policiers à Sainte-Soline le 25 mars. Cette remise en cause fait peur surtout parce qu’elle se fait depuis des territoires précis. Quand on remet en cause notre modèle alimentaire actuel en tant que consommateur, on ne le fait pas collectivement depuis un territoire.

Peur des territoires autonomes

À Sainte-Soline, l’État et Gérald Darmanin expriment une peur panique de la Zad, alors même qu’il n’a jamais été question de créer une Zad à cet endroit. Le lieu ne s’y prête pas du tout, ce sont de vastes trous dans la terre, sans ombre, sans rien. Mais derrière la peur panique de la Zad, on reconnaît la crainte que leur modèle soit questionné à partir d’un territoire précis et concret et pas uniquement par des choix individuels isolés.

Il s’agit aussi d’avancer vers un rapport complètement différent au vivant, qui implique notamment une rupture avec l’extractivisme, c’est-à-dire avec une vision de la nature comme gisement de ressources à la disposition des êtres humains pour en faire ce qu’iels veulent.

On aurait pu penser à une époque que l’une des portes de sortie du conflit de Notre-Dame-des-Landes, a fortiori une fois que l’État avait décidé d’abandonner le projet d’aéroport, aurait été de dire « on va en faire un territoire d’expérimentation, et pour ça on laisse un peu les personnes qui vivent là-bas s’organiser comme elles le souhaitent ». Mais aujourd’hui, on voit bien que ce genre de territoire où l’on n’a pas besoin de l’État pour se nourrir, pour décider, pour s’organiser, pour régler ses conflits, fait peur aux autorités. Il devient intolérable pour l’État de laisser ces territoires se multiplier.

C’est pour ça que, de Manuel Valls à Gérald Darmanin, la rhétorique utilisée par les ministres de l’Intérieur pour désigner ces territoires emprunte au champ lexical du « virus » qu’il faut éradiquer. Il y a vraiment une peur, selon leurs propres mots, de la « contagion », alors qu’on pourrait le voir comme une chance. Ce n’est pas de contagion qu’il faudrait parler mais d’inspiration.

Répression et criminalisation des activistes

On retrouve une répression similaire de la contestation de la politique énergétique, en particulier sur la question du nucléaire. À Bure notamment, le déploiement des forces de l’ordre et l’arsenal juridique utilisé pour réprimer les militantes s’inscrivent dans le champ de l’antiterrorisme.

Jusque récemment, de tels niveaux de répression restaient plutôt rares quand il s’agit d’actions militantes, au contraire de ce qui est mis en œuvre quand il s’agit de réprimer les corps et les vies des personnes racisées, immigrées ou descendantes d’immigrées en particulier dans les quartiers populaires. C’est là qu’ont été testées, expérimentées et déployées toutes ces techniques qui sont désormais utilisées contre les militantes. Ce n’est donc absolument pas anodin que la répression s’amplifie et se multiplie au cours des dernières années. C’est quelque chose auquel il faut être très attentif.

Nous ne sommes pas encore dans des situations aussi dramatiques qu’ailleurs dans le monde, où des défenseurs de l’environnement sont tués en masse chaque année. Mais deux personnes se sont retrouvées dans le coma suite aux mobilisations de Sainte-Soline. On reste dans une situation extrêmement inquiétante.

Gérald Darmanin franchit une étape supplémentaire, en parlant de terrorisme à propos des Soulèvements de la Terre et en s’attaquant à la Ligue des droits de l’Homme. Il légitime ainsi l’idée d’un état d’exception. Le message est clair : on peut donc se faire justice soi-même. Les membres de la FNSEA, de la Coordination rurale ou d’autres groupes peuvent ainsi croire qu’ils sont autorisés à faire ce qu’ils veulent : frapper, attaquer des journalistes, des militantes qui s’opposent au modèle agro-industriel, avec la bénédiction de l’État.

Nicolas Haeringer, militant du mouvement pour la justice climatique depuis une quinzaine d’années, est membre d’Attac et travaille pour 350.org.

Propos recueillis par Nils Hollenstein