Pesticides

Ces pays européens qui veulent sortir du glyphosate (et le font)

Pesticides

par Sophie Chapelle

L’agriculture peut-elle se passer de glyphosate, substance herbicide la plus utilisée ? Alors qu’un vote sur le renouvellement de son autorisation au niveau européen a lieu le 16 novembre, le Luxembourg a décidé d’en réduire drastiquement l’usage.

Mise à jour le 16 novembre 2023 : Faute de majorité qualifiée des Etats membres, la décision est revenue à la Commission, qui a annoncé qu’elle autoriserait le glyphosate pour les dix prochaines années.


Plusieurs pays en Europe s’opposent au renouvellement de l’autorisation du glyphosate, qui fera l’objet d’un vote des 27 États membres ce 16 novembre. C’est le cas du Luxembourg, premier pays au sein de l’Union européenne (UE) à avoir totalement interdit la commercialisation de cette substance active sur son territoire, et de l’Autriche.

Le Luxembourg a retiré l’autorisation de mise sur le marché aux produits à base de glyphosate le 1er février 2020, tout en tolérant l’écoulement des stocks existants, avant d’interdire complètement leur utilisation sur les sols luxembourgeois onze mois plus tard. C’était sans compter l’opposition du principal fabricant de glyphosate, le géant allemand de la chimie Bayer (et propriétaire de Monsanto). Il dépose un recours devant les juridictions administratives du pays. Le 31 mars dernier, le Luxembourg est finalement contraint de lever l’interdiction sur décision de justice. Selon la Cour administrative du Luxembourg, le gouvernement n’a pas suffisamment expliqué pourquoi le contexte particulier du pays justifie une interdiction malgré l’autorisation à l’échelle de l’UE.

« Les agriculteurs, viticulteurs et maraîchers luxembourgeois ont démontré ces dernières années qu’il était possible de cultiver les champs et vignes sans l’utilisation de produits à base de la substance active glyphosate », réagit dans la foulée le gouvernement luxembourgeois qui « encourage à continuer dans cette voie afin de contribuer à une agriculture plus durable ». Le Luxembourg entend réduire de 30 % d’ici 2025 l’usage des produits phytosanitaires les plus dangereux. Une baisse de 26 % a été constatée dès 2021 en éliminant le glyphosate, relève le ministre de l’Agriculture Claude Haagen.

Subventions aux agriculteurs renonçant au glyphosate

L’interdiction temporaire du glyphosate a conduit les agriculteurs luxembourgeois à apprendre à s’en passer. Cela a notamment nécessité l’acquisition de nouvelles machines pour désherber mécaniquement, avec du temps de travail et des dépenses de carburant accrues. Pour pallier cette hausse des charges, 80 % des exploitations agricoles luxembourgeoises ont conclu avec le gouvernement des contrats de cinq ans selon lesquels ils renoncent au glyphosate en échange de subventions (30 euros par hectare pour les terres arables, 100 euros pour l’arboriculture). 

« Les exploitants voient bien dans la pratique que c’était possible, et même bénéfique pour leur image de marque », a déclaré le ministre de l’Agriculture luxembourgeois auprès de l’AFP, précisant que le gouvernement continuera de durcir sa réglementation encadrant le stockage et l’usage de ces produits. L’épandage de pesticides contenant du glyphosate reste interdit près des sources souterraines d’eau potable. Le gouvernement luxembourgeois étudie également un nouveau retrait de mise sur le marché. Alors que le jugement reprochait au gouvernement de ne pas suffisamment argumenter sur l’interdiction du glyphosate, le ministre de l’Agriculture entend étoffer la liste des reproches faits à cette substance, en s’appuyant sur un institut de recherche.

L’Autriche fait valoir le « principe de précaution »

L’Autriche a également annoncé s’opposer à la reconduction de l’autorisation du glyphosate. Le gouvernement autrichien est légalement obligé de voter contre toute autorisation renouvelée du glyphosate au niveau européen, à la suite d’une décision prise en 2017 par la commission des affaires européennes de son parlement national.

Les députés autrichiens ont même presque réussi à interdire la mise sur le marché de produits à base de glyphosate sur le territoire national, les sociaux-démocrates faisant voter un amendement en ce sens en juillet 2019 au nom du « principe de précaution ». Mais six mois plus tard, le gouvernement annonce finalement qu’il ne mettra pas en œuvre l’interdiction, à cause d’un vice de procédure. La proposition de loi n’a pas été soumise aux instances européennes comme elle aurait dû l’être.

La chancelière autrichienne, Brigitte Bierlein, a expliqué dans son courrier au Parlement qu’une promulgation de la loi exposerait l’Autriche à « des risques juridiques », compte tenu de l’absence de notification préalable à la Commission européenne. « Je tiens à souligner qu’il ne s’agit que d’une décision juridique formelle et non d’une appréciation du contenu de la loi », a-t-elle ajouté. Cette imbroglio juridique n’empêchera pas l’Autriche de s’opposer au glyphosate au niveau européen.

Une sortie du glyphosate fin 2023 en Allemagne

L’Allemagne, pays le plus peuplé de l’UE, qui pèse donc lourd dans le vote sur le renouvellement du glyphosate, a elle aussi indiqué « ne pas accepter » la prolongation de l’autorisation [1]. Le pays prévoit de retirer le glyphosate du marché d’ici fin 2023 à la suite du contrat de gouvernement décidé par la coalition qui réunit sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux (FDP). « Tant que l’on ne peut pas exclure que le glyphosate soit nuisible à la biodiversité, son autorisation à l’intérieur de l’UE devrait être suspendue », déclare en septembre dernier le ministre allemand de l’Agriculture, Cem Özdemir (Verts). Le gouvernement allemand plaide ainsi pour une sortie européenne du glyphosate.

Des premières limitations sont entrées en vigueur en Allemagne en 2020 avec une interdiction du glyphosate dans les espaces publics (parcs, terrains de sports, cours d’école, etc.) et dans les jardins des particuliers. En février dernier, une initiative citoyenne européenne a rassemblé 1,75 million d’électeurs bavarois pour « sauver les abeilles » et imposer 20 % de surface agricole en agriculture biologique, donc sans recours aux pesticides. Dans l’éventualité où l’autorisation du glyphosate soit renouvelée, d’intenses batailles juridiques ne sont pas à exclure si l’Allemagne décide malgré tout d’en maintenir l’interdiction.

Interdictions partielles

D’autres pays de l’Union européenne ont adopté des interdictions partielles. Depuis fin 2015, les Pays-Bas interdisent la vente d’herbicides à base de glyphosate à toutes les entités autres que les entreprises. En août 2016, le ministère italien de la Santé a interdit l’utilisation du glyphosate dans les lieux publics. En Belgique, la vente est interdite aux utilisateurs non professionnels depuis octobre 2018. Son usage est limité en République tchèque depuis 2019.

En France, la loi Labbé – du nom de l’ancien sénateur écologiste du Morbihan – interdit les pesticides de synthèse, et donc le glyphosate, dans les espaces publics depuis 2017 et chez les particuliers depuis 2019. Un amendement visant à interdire le glyphosate a été rejeté de justesse à l’Assemblée nationale en 2018, seule la gauche et une petite partie des députés de la majorité ayant voté pour.

Selon un sondage réalisé en août par l’institut Ipsos [2] dans six pays européens, plus des deux tiers des Allemandes et des Françaises interrogées sont favorables à une interdiction du glyphosate en Europe. La France, elle, s’est abstenue lors du précédent vote début octobre (voir l’encadré en début d’article). Plusieurs organisations dont l’UFC Que Choisir, appellent la France à s’opposer clairement au renouvellement de l’autorisation du glyphosate, lors du vote qui se tient ce jeudi 16 novembre.

Sophie Chapelle

Photo : Des citoyens européens sont soumis à un test de dépistage du glyphosate lors d’une action organisée par le mouvement citoyen mondial Avaaz, devant le bâtiment de la Commission européenne, à la veille d’un vote clé en novembre 2017 sur l’avenir de l’herbicide probablement cancérigène. CC0 1.0 Michael Chia, Avaaz.

Suivi

Mise à jour le 16 novembre 2023 : Faute de majorité qualifiée des Etats membres, la décision est revenue à la Commission, qui a annoncé qu’elle autoriserait le glyphosate pour les dix prochaines années.

Notes

[1L’Allemagne s’est néanmoins abstenue lors du vote sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate au niveau européen mi-octobre, en raison des divisions internes de la coalition au pouvoir - les écologistes y sont opposés, alors que les libéraux y sont favorables.

[2L’enquête a été menée par l’équipe « Affaires publiques européennes » de l’agence d’études de marché Ipsos et publiée par le Pesticide Action Network (PAN) Europe avec la collaboration de Générations futures pour la France.