Élections allemandes

« Sans la pression de la gauche, nous n’aurons pas de changements décisifs en matière sociale et climatique »

Élections allemandes

par Rachel Knaebel

L’Allemagne vote ce 26 septembre. À l’issue de l’élection, une coalition alliant sociaux-démocrates, Verts et le parti de gauche Die Linke n’est pas impossible. À quelles conditions ? Réponse avec Ates Gürpinar, membre de la direction de Die Linke.

Basta! : Aujourd’hui, un gouvernement de coalition qui allierait le parti social-démocrate, les Verts et le parti de gauche est envisageable après les élections législatives du 26 septembre. Quelle est la position de Die Linke à ce sujet ?

Ates Gürpinar [1] : La question revient évidemment souvent ces dernières semaines. Mais il s’agit d’abord d’avoir un bon résultat le 26 septembre. Puis de déterminer les conditions pour participer à un gouvernement. Plus le parti de gauche sera fort, plus on pourra exercer une pression sur le parti social-démocrate (SPD) et les Verts pour aboutir réellement à une autre politique sociale. Le SPD s’imagine aujourd’hui pourvoir gouverner avec le parti libéral, le FDP, mais avec eux, rien ne peut se faire pour plus de justice sociale, et d’ailleurs rien non plus pour plus de justice climatique.

Quelle seraient les points décisifs pour vous pour participer à un gouvernement ?

Il doit s’agir d’un projet de gouvernement de gauche, du point de vue de la politique sociale et de la redistribution des richesses. Depuis que Merkel est au pouvoir, la pauvreté et la richesse ont toutes deux beaucoup augmenté en Allemagne. Nous devons arriver à un changement là-dessus, à augmenter les impôts des plus riches pour aider ceux qui sont le plus dans le besoin. Sur le salaire minimum [qui est aujourd’hui de 9,50 euros bruts de l’heure en Allemagne], le SPD veut le relever à 12 euros, nous à 13 euros, parce que c’est le minimum pour ne pas se retrouver sous le seuil de pauvreté une fois à la retraite. Il faut aussi ne pas oublier les travailleurs dans la lutte nécessaire contre le changement climatique. Le dernier point décisif comme condition pour participer à un gouvernement fédéral, c’est la politique extérieure. Il faut repenser notre politique de sécurité vers une autre qui soit fondée sur la paix, pas sur la guerre, pas sur l’exportation de matériel militaire.

©DR

Sur la politique sociale, c’est sous le précédent gouvernement de coalition entre SPD et Verts, entre 1998 et 2005, avec Gerhard Schröder pour chancelier, qu’a été adopté l’Agenda 2010, avec un affaiblissement de la protection sociale, de l’indemnisation chômage, une déréglementation du marché du travail. Le SPD a-t-il vraiment changé à vos yeux depuis ?

On oublie en effet souvent aujourd’hui qu’il y a eu l’agenda 2010. Nous avons besoin de cette pression de la gauche, sinon, partout ou le SPD et les Verts gouvernent au niveau des Länder, on voit qu’on n’arrive pas à des changements décisifs dans le domaine du social, ni du climat. En Bade-Wurtemberg par exemple, le ministre-président vert Winfried Kretschmann [qui est à la tête du gouvernement régional depuis 2011, d’abord en coalition avec les sociaux-démocrates puis avec le parti de droite CDU depuis 2016] n’a pas réussi grand-chose du point de vue de la politique climatique. Il faut plus que le SPD et les Verts pour arriver à un changement.

Sur la politique extérieure, on parle beaucoup de la revendication portée par Die Linke d’une dissolution de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). Est-ce toujours une condition dans les discussions avec le SPD et les Verts ?

La question de la dissolution de l’Otan est toujours un aspect central pour nous attaquer. Ce qui est essentiel pour nous, c’est que nous devons repenser la politique extérieure. L’Afghanistan l’a montré une fois de plus de manière effrayante : il est illusoire de croire que nous pouvons y créer la paix par une intervention militaire. Die Linke veut interdire les exportations de matériel militaire, renoncer aux interventions militaires à l’étranger, et repenser la politique de sécurité internationale. Je sais bien que nous ne pouvons pas sortir tout de suite de l’Otan, mais il faut s’extraire de cette vieille image de la guerre froide, avec l’Otan d’un côté et de l’autre la Russie, car cela ne contribue pas à la paix mondiale. Les alliés de l’Otan, comme par exemple l’Arabie saoudite, ne sont pas forcément connus pour agir pour la paix ou pour défendre les droits humains dans leur pays. Nous devons penser la sécurité mondiale autrement et dépenser moins pour la Défense. Pour nous, envoyer des soldats dans d’autres pays ne contribuent pas à la paix. Il y a des personnes chez le SPD et les Verts que nous pouvons convaincre de viser à une politique extérieure tournée vers la paix.

Die Linke fait déjà partie de coalitions de gouvernement avec le SPD et les Verts au niveau des Länder, à Berlin depuis 2016 [qui est une ville-État] et en Thuringe depuis 2014, avec Die Linke à la tête de la coalition. Ces alliances rouge-verte fonctionnent-elles au niveau régional ?

En Thuringe, nous étions le parti le plus fort de la coalition, ce qui ne vas pas arriver au niveau fédéral, en tous cas pas pour l’instant. À Berlin aussi, la participation de Die Linke à la majorité municipale a permis de faire avancer des choses dans la politique sociale, par exemple pour rendre le jardin d’enfants gratuit, relever le salaire minimum à 12,50 euros pour les salariés directs et indirects de la ville. Cela n’aurait pas été possible sans une gauche forte. À Berlin et en Thuringe, les autres partis doivent faire avec nous.

Le parti de gauche est surtout fort dans les grandes villes et dans les régions d’ex-Allemagne de l’Est ?

Je suis pour ma part en Bavière, un land conservateur. C’est plus difficile pour nous ici. Mais malgré tout, ici aussi, nous avons aussi des possibilités de faire bouger les lignes. Nuremberg par exemple, a mis en place les transports publics pour 1 euro par jour. C’était suite à une initiative citoyenne lancée par Die Linke. Même sans être très fort dans les urnes, on peut trouver des partenaires pour mettre en œuvre des mesures de gauche. Dans l’ensemble, c’est sûr que Die Linke est plus fort à l’Est et dans les villes, mais nous réussissons aussi à faire avancer les choses là où nous sommes moins puissants. Ce n’est pas facile, c’est du travail, mais c’est possible, alors nous continuons. Pendant cette campagne pour les législatives, nous percevons beaucoup de soutien de la population pour des revendications que nous défendons depuis des années. Nous voyons aujourd’hui par exemple un large appui à la construction de logements sociaux, au gel des loyers, même à la socialisation des logements des grandes entreprises immobilières, ce qui était un débat impossible il y a encore dix ans. Et aujourd’hui, le SPD et les Verts ont eux-même reconnu que l’Agenda 2010 était une erreur.

Die Linke peut donc aussi agir au niveau de la politique fédérale tout en étant dans l’opposition ?

On peut faire passer des choses d’une manière ou d’une autre. Prenons l’exemple du salaire minimum national. C’était un travail de longue haleine, mais qu’il ait été introduit en 2015 [sous un gouvernement de coalition entre le parti de Merkel et le SPD] est aussi le fait du travail de Die Linke, des syndicats et des organismes sociaux. Aujourd’hui, ce salaire minimum est encore trop bas, il faut le relever, mais il est là. Et nous n’étions pas au gouvernement quand cette mesure a enfin été adoptée. Au cours de la prochaine législature, un gros débat va avoir lieu sur le domaine de la santé, du soin et de la dépendance. Nous avons aujourd’hui un système absurde de mesure des besoins en personnel dans les établissements de santé, ce qui a conduit à une sous-estimation du nombre de postes nécessaires. Le résultat est que les travailleurs du soin subissent une énorme surcharge de travail tout en gagnant très peu. Il faut changer les choses là-dessus, on doit se battre pour ça. La plupart des partis ont aujourd’hui constaté que le système de santé ne pouvait pas seulement être orienté vers le profit, que cela ne fonctionne pas, qu’on ne peut pas faire du profit si on veut vraiment soigner les gens. Ce combat, on ne le mène pas qu’au gouvernement, il part d’organisations de terrain. Plus le parti de gauche est fort, plus cela contribuera à ce que ces thèmes soient discutés, qu’on soit, peut-être, au gouvernement, ou qu’on soit dans l’opposition.

Selon les sondages, votre parti est crédité de 6 à 8 % des voix. Il faut 5 % pour avoir un groupe politique au Bundestag. Le parti de gauche risque-t-il de ne plus être présent au Parlement ?

De nouveaux sondages arrivent tous les jours en cette période pré-électorale. Les campagnes électorales sont toujours beaucoup plus axées sur les personnes, sur les erreurs individuels des candidats, qui n’ont aucune influence sur les programmes politiques eux-mêmes. Mais je crois qu’on a réussi des dernières semaines à ramener les discussions au niveau des contenus. Ce qui est le plus important pour nous.

Die Linke échange avec les autres partis de gauche en Europe, dont en France, en Espagne, en Grèce… ?

Nous avons des échanges constants, au sein du Parlement européen et au-delà, et aussi grâce à notre fondation politique Rosa-Luxembourg. En Grèce, il y a toujours une gauche forte. On regarde aussi évidemment vers la France, où l’année prochaine sera décisive. Dans d’autres pays, comme en Italie, et en Europe de l’Est surtout, les alternatives politiques de gauche ont la vie dure. Il y a évidemment des raisons historiques à cela. Et sur certaines questions, par exemple sur la politique extérieure, il existe évidemment des différences entre les gauches selon les pays. Cela tient aussi au fait que que nous, en Allemagne, avec notre passé, nous sommes particulièrement prudents en ce qui concerne les dépenses militaires et la présence de soldats allemands en intervention à l’étranger. Ces différences entre les positions des gauches européennes sont intéressantes à exposer et à discuter.

Recueilli par Rachel Knaebel

Photo de une : CC BY-NC-SA 2.0 DIE LINKE. Thüringen via flickr.

Notes

[1Ates Gürpinar, 37 ans, est membre de la direction du parti de gauche allemand Die Linke, porte-parole du parti en Bavière, candidat aux élections législatives du 26 septembre.