Eléctro-sensibilité

Téléphones mobiles : vers une nouvelle crise sanitaire ?

Eléctro-sensibilité

par Ivan du Roy

Etienne Cendrier, fondateur de l’association Robin des toits, ne se bat pas contre les téléphones portables mais en faveur d’une règlementation plus sévère pour limiter les effets néfastes sur l’organisme de leurs champs électromagnétiques. Histoire d’un peintre devenu expert citoyen.

Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

Tout a commencé en 2000. Etienne Cendrier indique de la fenêtre de son atelier de peinture le toit de l’immeuble en vis-à-vis. « Ils ont installé ça. Je n’avais aucune idée de ce que c’était. » Le regard quitte le chevalet pour se fixer sur deux longs rectangles blancs, posés verticalement à une cinquantaine de mètres. « Ça », ce sont deux relais de téléphonie mobile au profil caractéristique, plantés au dessus de la maternelle qui accueillait ses enfants. Une « station » parmi les 2149 antennes que compte aujourd’hui la capitale. Le peintre se renseigne, lit des articles sur le danger potentiel d’un surcroît d’ondes, demande à son père, qui a suivi une formation d’ingénieur, de lui expliquer les aspects techniques. Les champs électromagnétiques et leur mesure, les rayonnements non ionisants et ionisants, leurs effets dits « thermiques » (comme dans les fours à micro-ondes), le « débit d’absorption spécifique » (le niveau d’énergie que diffuse chaque téléphone), n’ont presque plus de secrets pour cet artiste longtemps imperméable aux matières scientifiques. L’association Robin des toits est née.

Etienne Cendrier est entré bien malgré lui dans cette caste très particulière que sont les lanceurs d’alerte, ces scientifiques et citoyens qui se mobilisent pour faire connaître un risque sanitaire potentiel, et qui en échange, mettent en danger leur carrière ou sont traînés en justice. Parfois les deux. « Lanceur d’alerte, ça ne se programme pas. Nous sommes une génération spontanée. » Sa « vraie vie », dit-il, n’est pas l’activisme, mais son atelier, dont il sortait peu avant de devenir hyper-sensible à cette nouvelle cause.

« Un scénario comme l’amiante se profile »

« Un scénario comme l’amiante se profile », assène le porte-parole de Robin des toits. Paranoïa ? Pour les sceptiques, l’appel de vingt scientifiques, cancérologues, médecins ou ingénieurs, lancé le 15 juin à l’initiative de David Servan-Shreiber démontre que non. « Les études disponibles mettent en évidence une pénétration significative des champs électromagnétiques des téléphones portables dans le corps humain, particulièrement au niveau du cerveau, et plus encore chez les enfants du fait de leur plus petite taille », alertent les scientifiques. Ces champs provoquent, écrivent-ils, « divers effets biologiques (...) sur les tissus vivants ». Une thèse réalisée par un professeur de l’Université catholique de Louvin vient de montrer un accroissement du taux de mortalité chez les rats exposés pendant 18 mois aux champs électromagnétiques de la téléphonie mobile.

Dans les années 70, des chercheurs observaient déjà les effets potentiels des ondes en haute et basse fréquence sur le corps humain. Le développement et la commercialisation massive de la technologie sans fil (GSM, wifi, relais...) ont encore multiplié les rayonnements qui pénètrent ou traversent notre crâne. « Nous baignons dans un électro-smog, d’origine naturel et artificiel. La technologie sans fil est comme une mitrailleuse d’ondes. Les corps ne le supportent pas », simplifie Etienne Cendrier. Le fait d’avoir été un néophyte l’a grandement aidé pour vulgariser les données techniques à l’attention du grand public, tout en ayant les moyens de contrer le discours des opérateurs.

« Normes ultra-laxistes »

Etienne Cendrier ne veut pas la fin des téléphones portables. Il souhaite juste que l’indépendance des mesures soient garanties et que des normes plus contraignantes soient fixées pour éviter les éventuels problèmes sanitaires liés à une sur-exposition aux ondes. Côté normes, la réglementation française et européenne a repris les recommandations de la Commission internationale de protection contre les rayonnements non-ionisants (ICNIRP), soit 41 v/m (volt par mètre) pour les fréquences GSM. « Ce sont des normes ultra-laxistes. C’est comme si on interdisait à une voiture de rouler à plus de 600 km/h sur autoroute », critique-t-il. « Quand on dépasse 1v/m, on connaît des problèmes de confort : insomnie, maux de têtes. Quand on dépasse 2v/m, on peut rencontrer des problèmes lourds : électrosensibilité, troubles cérébraux et tumeurs à long terme. »

Les scientifiques du groupe de travail Bioinitiative, qui rassemblent des chercheurs chinois, états-uniens et suédois, recommande une valeur de 0.6v/m là où « des gens vivent, travaillent et vont à l’école. » Très en dessous des normes officielles ! Leur rapport, publié il y a un an, compile plus d’un millier d’études. « Les normes actuelles pour fixer les limites d’exposition du public et des professionnels aux champs basses fréquences et aux radiofréquences ne suffisent pas à protéger la santé publique », avertissaient les chercheurs. C’est ce rapport qui a décidé Etienne Cendrier de passer de la peinture à l’écriture et de raconter son combat (1).

Procès en diffamation

La mairie de Paris a pris au sérieux ces cassandres. Une charte « antennes-relais » a été conclue avec les opérateurs (Orange, SFR, Bouygues) en 2003 et renforcée en 2005. Elle est censée garantir un niveau d’exposition inférieur à 2v/m. Si le champs électromagnétique dépasse cette limite, l’opérateur responsable de l’antenne est invité à revoir son installation. 600 mesures sont effectuées chaque année pour vérifier le respect de la charte. « Tout le problème est de tomber sur des bureaux d’études indépendants », prévient Etienne Cendrier. « A Paris, ce sont les opérateurs qui mandatent des bureaux de contrôle. Imaginez cela pour le contrôle de l’hygiène des restaurants, si c’était le restaurateur qui mandatait la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. »

Ces critiques lui ont valu d’être attaqué en diffamation par chacun des trois opérateurs. « Nous pensons en effet que les opérateurs sont prévenus en amont, ce qui leur permet de tricher en baissant les puissances. (...) La téléphonie mobile doit être compatible avec la santé publique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les opérateurs dissimulent les vraies expositions de la population pour des histoires de gros sous », avait-il déclaré dans une interview au Journal du Dimanche en 2006. France-Télécom et SFR ont perdu leur procès en pénal, mais Bouygues l’a gagné en civil début 2008, pour l’emploi du terme tricherie. « Face à Orange et SFR, je peux dire qu’il y a de la triche. Face à Bouygues, je peux seulement parler de manipulations », sourit Etienne Cendrier qui s’amuse de cette « condamnation grammaticale ». Lui demande une chose, relativement simple : « que des sondes de mesures en continu soit installées et contrôlées par les collectivités locales et les associations. »

Prudence

Face aux alertes lancées par Robin des toits et quelques autres (lire ci-dessous), le gouvernement semble estimer qu’il est urgent d’attendre. « Conseillez à vos enfants un usage modéré du téléphone mobile », suggérait une brochure du ministère de la Santé en 2001, archivée par le militant. En ce début d’année, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot conseillait elle aussi aux parents « de ne pas acheter ce genre d’appareils » aux jeunes enfants. Inquiète en tant que « mère de famille », elle se disait cependant « prudente » en tant que ministre : « Ce que nous savons des études n’est pas concluant dans le signe de la dangerosité. » D’éventuels liens entre téléphonie mobile et tumeurs ne pourront être sérieusement prouvés que dans vingt ou trente ans. « Cette sensibilité et ces effets ne sont pas démontrés à l’heure actuelle mais des travaux scientifiques récemment publiés invitent à la prudence en suggérant de possibles conséquences sanitaires après utilisation prolongée et intensive », explique le Conseil scientifique de la Fondation Santé et Radiofréquences, financée par l’Etat et les industriels. Il en appelle « à la responsabilité, parents, distributeurs et industriels. » Les assureurs, eux, sont bien moins timorés que la ministre et les chercheurs institutionnels. Etienne Cendrier a dégoté la liste des exclusions d’AXA sur laquelle figure « les dommages de toute nature causés par les champs et ondes électromagnétiques » (au même titre d’ailleurs que les OGM).

Sur le terrain, la liste des bibliothèques renonçant à la connexion Internet par Wifi (une borne qui émet un champs électromagnétique) au profit du bon vieux fil s’allonge : la Bibliothèque nationale de France en avril, la bibliothèque Sainte-Geneviève (près de la Sorbonne) en mai... De plus en plus de riverains se mobilisent quand pousse une forêt d’antennes au dessus de leurs têtes. Face à l’inquiétude qui grandit, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) vient d’initier une « mise à jour de l’expertise relative aux radiofréquences ». Ce travail sera suivi par les associations, dont Robin des toits, via leur représentant, Pierre Le Ruz, directeur scientifique du Criirem (Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électro-magnétiques) et expert en physique et en physiologie. En attendant, le commerce continue. Etienne cendrier exhibe une publicité, envoyée par SFR : « Si vous équipiez vos enfants avec des offres intéressantes », propose-t-elle.

Ivan du Roy

(1) Etienne Cendrier : Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire ?, Editions du Rocher, 119 p, 9.9€


Quelques conseils pour limiter les risques sanitaires

Comment réduire les risques possibles sans renoncer à cet outil bien pratique qu’est le téléphone portable ? Cela nécessite une certaine discipline, pour soi et pour les autres - comme pour la fumée de cigarette, vos voisins (de table, de bureau, de siège dans les transports...) sont exposés passivement au champs électromagnétique quand vous téléphonez. Evitez donc l’utilisation dans les lieux publics. Plus vous éloignez le téléphone de votre corps, plus les rayonnements diminuent (même à 10 ou 20 cm). Le recours à un « kit main libre » ou au haut parleur est donc recommandé. Raccourcissez le plus possible vos conversations à moins de 5 mn. Pour les longues discussions, préférez le téléphone à fil classique (vous ferez des économies sur le forfait). Evitez de laisser votre téléphone allumé sur votre table de chevet la nuit et essayez de ne pas le porter en permanence près de votre corps le jour. Plus le signal de couverture est faible, plus votre téléphone émet des rayonnements importants pour acccrocher un relais. Evitez donc de l’utiliser dans des zones peu couvertes, en voiture - ce qui limite également le risque d’accidents de la route - ou dans le train (le téléphone ne cesse de changer de relais), dans l’ascenseur (les parois métalliques reflètent les émissions) et attendez que votre correspondant ait décroché pour approcher l’appareil de votre oreille. Enfin, chaque modèle de GSM dispose d’un « débit d’absorbtion spécifique » (DAS), sa puissance électromagnétique en quelque sorte (de 0.12 à 1.7). Choisissez les plus bas.

P.-S.

Robin des toits :
01 43 55 96 08

Priartem - Pour une réglementation des implantations d’antennes relais de téléphonie mobile : 01 42 47 81 54

Criirem - Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électro-magnétiques : 02 43 21 18 69