Procès bâillon

Tribune de soutien à Valérie Murat, lanceuse d’alerte sur les pesticides dans les vins de Bordeaux

Procès bâillon

par Collectif

Suite à une plainte du conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), Valérie Murat a été condamnée pour avoir démontré, preuves de laboratoires à l’appui, que des vins étiquetés « Haute Valeur Environnementale » contenaient des pesticides. Plusieurs personnalités lui apportent ici leur soutien.

Touche pas à ma viticulture ! On savait déjà la Gironde viticole gourmande en pesticides, peu regardante sur les conséquences sanitaires et environnementales de ses pratiques, mais on n’imaginait pas qu’elle était à ce point prête à tout pour faire taire les critiques !

Menace de mort sociale

Sur plainte du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), qui a la haute main sur la viticulture girondine depuis des décennies, le tribunal judiciaire de Libourne a lourdement condamné le 25 février dernier l’association « Alerte aux toxiques » et sa porte-parole Valérie Murat pour avoir démontré, preuves de laboratoires à l’appui, que des vins étiquetés « Haute valeur environnementale » contenaient des pesticides de synthèse, y compris cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques.

Pour avoir rempli sa fonction de lanceuse d’alerte, qu’elle poursuit inlassablement depuis la mort de son père, viticulteur, à la suite d’un cancer lié aux pesticides, Valérie Murat est aujourd’hui menacée de mort sociale par une profession qui tente de faire taire celles et ceux qui l’accusent de déni. Une profession qui semble vivre dans l’illusion que ne pas voir, c’est ne pas savoir, et que ne pas savoir la soulage de ses responsabilités.

Par la violence et la démesure de la peine, 125 000 euros de dommages et intérêts à acquitter avant de pouvoir interjeter appel, le tribunal de Libourne semble hélas avoir épousé la cause du silence. Fallait-il donc à tout prix éviter le débat de fond soulevé par les analyses d’« Alerte aux toxiques », à savoir : le label Haute valeur environnementale, dont la viticulture girondine est le principal utilisateur, répond-il à de vrais critères environnementaux et à des changements de pratiques, ou n’est-il qu’une habile opération de marketing qui ressemble furieusement à du « greenwashing » ?

Une condamnation invraisemblable

La Confédération paysanne, Agir pour l’environnement, le Synabio, la fédération France Nature Environnement (qui a pourtant été l’un des initiateurs de ce label) ont déjà répondu à cette question le 2 décembre dernier en dénonçant « l’illusion de transition agroécologique » que constitue cette certification. « Alerte aux toxiques » n’est donc pas seule dans ce combat et a rempli sa mission d’informer en démontrant toutes les équivoques d’un label qui bénéficie pourtant d’un soutien massif des pouvoirs publics.

Ainsi, alors que le plan « écophyto » du gouvernement prévoit de réduire de moitié l’utilisation des pesticides, ledit label ne fixe aucune obligation de résultat concernant les produits phytosanitaires !

Derrière cette invraisemblable condamnation se cache une autre réalité : alors que les ventes de vins de Bordeaux s’écroulent, le HVE est apparu comme une solution pour sortir de l’image d’addiction aux pesticides qui colle à la filière. Pour mémoire, la vigne consomme 20 % des pesticides utilisés en France pour 3,7 % de la surface cultivée ! Ce label HVE si bienvenu permet aux institutions locales et à l’interprofession viticole de communiquer à bon compte sur la « réorientation » » du vignoble vers des pratiques « vertueuses ». Autrement dit, une façon de développer un discours plus vert, plus écolo... mais sans changer de pratiques ! On frise l’imposture.

76 millions d’euros de soutiens publics

Comme le souligne l’association Agir pour l’environnement : « Le gouvernement crée volontairement une confusion vis-à-vis des consommateurs. Il s’agit de faire de HVE un concurrent du bio et non une transition vers le bio ». La force de frappe institutionnelle en faveur de HVE est massive : elle représente un budget de 76 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2021... Alors que les aides au maintien de la bio ont été supprimées au début du quinquennat d’Emmanuel Macron !

Aujourd’hui, toute la grande distribution réclame des produits labellisés HVE. C’est en effet un bon moyen pour elle de montrer au consommateur sa préoccupation environnementale... Sachant que son offre en bio n’est pas suffisante ! Toute une filière commerciale s’y retrouve. On est donc fondé à s’interroger sur le sens de HVE qui pourrait bien signifier : Haute Volonté d’Enfumage ? Exactement ce que fut l’invention par la FNSEA du terme « agriculture raisonnée » en son temps.

Le CIVB et ses obligés ne devraient pas trop se réjouir de cette victoire judiciaire car ils ont déjà perdu sur le terrain de l’opinion et des consommateurs. Chaque jour plus grande est l’exigence d’une agriculture respectueuse de l’environnement, des agriculteurs et de la santé de tous. Or, il n’est pas besoin d’habiter près des vignes pour courir des risques sanitaires, comme l’a montré la campagne de mesures des pesticides dans l’air conduite par l’organisme de surveillance « Atmo Nouvelle-Aquitaine », en juillet 2019, « illustrant le transfert aérien des molécules depuis les surfaces agricoles vers les zones urbaines » telle Bordeaux.

L’heure est à la transition pour la santé de tous et toutes

Ce procès et ses suites sont donc notre affaire à tous. Plutôt que d’accuser Alerte aux toxiques d’« escroquerie intellectuelle », de diaboliser Valérie Murat et ceux qui la soutiennent en tentant de la faire taire par des moyens indignes, le CIVB ferait mieux de remettre les pieds sur terre avant qu’il ne soit trop tard. Toute une profession, qu’il défend si mal en campant dans le déni, est en danger.

Face au réchauffement climatique et à la nécessité d’une transition écologique, la viticulture bordelaise devra s’adapter. Le temps du Bordeaux for ever est terminé. L’heure est à la transition. C’est le rôle du CIVB de l’accompagner, comme d’accepter le débat avec ceux qui n’ont pour seul intérêt que la santé des travailleurs viticoles, des riverains des vignobles et de leurs enfants. C’est une question de santé au travail comme de santé publique.

Voilà pourquoi Valérie Murat mérite mieux que cette condamnation aussi aveugle qu’injuste.

Nous la soutenons dans son juste combat !

Premiers signataires :

Noël Mamère – Écologiste
Marie-Lys Bibeyran - Collectif Info Médoc Pesticides
Professeur Rustin – INSERM / pesticides SDHIS
Paule Benit – INSERM / pesticides SDHIS
Dominique Bourg - Professeur honoraire, Université de Lausanne
Laurence Jonard - Pharmacienne et généticienne moléculaire
Pierre-Michel Périnaud, Président de l’Association des Médecins contre les pesticides.
Martin Pigeon - Chercheur et militant à Corporate Europe Observatory (CEO)
Marie Monique Robin - Journaliste, réalisatrice et écrivaine
Fabrice Nicolino - Président du Mouvement des Coquelicots
Franck Dubourdieu, Agronome, Oenologue, Médecin membre de l’Association contre les Pesticides de Synthèse.
Sylvie Dulong - Viticultrice - Présidente déléguée de Bio Nouvelle Aquitaine 
Patrick Lespagnol, Président du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique
Jacques Carroget - Président du Syndicat des Vins naturels
Olivier Paul-Morandini, Domaine Fuori Mondo en Toscane et Fondateur de Transparency for Organic Word Association
Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis
Benoît Biteau - Agronome, paysan et député écologiste au Parlement européen
Loïc Prud’homme - Député de la Gironde
Pascal Doquet, Président de l’Association des Champagnes Biologiques
Antoine Deltour - Lanceur d’alerte Luxleaks
Philippe Candelon, co-fondateur et président de alerte.me l’association qui aide les lanceurs d’alerte
Rodolphe Urbs - Dessinateur libraire
Adrien Tréchot - BBD éditions / Dans ma bouteille.com
Geoffrey Livolsi - Co-fondateur de Disclose.ngo
Inès Léraud - Journaliste, documentariste et auteure de "Algues vertes, l’histoire interdite"
Marion Laine - Réalisatrice et scénariste
Jérôme Douzelet - Auteur du livre Le goût des pesticides dans le vin
Guillaume Pire - Vigneron Bio Château de Fosse-Sèche
Guillaume Bodin - Vigneron-Cinéaste
Pierre Gilbert, caviste Bordeaux
Annick Le Mentec - Collectif des victimes des pesticides de l’ouest
Georges Arnaudeau, Président et fondateur de l’association allo amiante
François Veillerette, Porte-parole Générations Futures
Serge Lequéau Union syndicale Solidaires de Bretagne
Sylvie Nony, Alerte Pesticides Haute Gironde
Sandrine Malet - Militante antiraciste et citoyenne écologiste
Le Collectif des Faucheurs Volontaires d’OGM
Sandra Regol - Secrétaire nationale adjointe d’EELV
Jean Noël Jouzel - Sociologue
Giovani Prete - Sociologue
Cyril Dion - Écrivain, auteur-réalisateur, poète, activiste