Mouvement étudiant

Pour se remotiver, des étudiants réinvestissent leurs amphis et organisent des cours autogérés

Mouvement étudiant

par Jean de Peña, Sophie Chapelle

Depuis le 25 janvier, des étudiants de Sciences Po à Lyon ont décidé d’occuper leur lieu d’études. Ils organisent leurs propres cours, des ateliers-débats avec d’autres étudiants d’université, et se remotivent ensemble pour le second semestre.

C’est un mail, reçu mi-janvier, qui a provoqué les premiers remous. « Alors qu’on était en plein partiel, on nous a annoncé qu’on ne reprendrait pas les cours », se remémore Sofia, en première année à l’Institut d’études politiques de Lyon. Comme d’autres élèves de sa promotion, Sofia s’accrochait à l’annonce faite par l’administration d’un second semestre en présentiel. « Depuis la rentrée de septembre, on a eu uniquement des TD [travaux dirigés] en présentiel. Il fallait s’inscrire pour les cours magistraux, sauf que les inscriptions ouvraient parfois à minuit et c’était la guerre entre nous pour réserver », abonde Alice. Ne pouvant imaginer un second semestre similaire, les étudiants ont décidé d’occuper leur lieu d’études. Le 25 janvier, ils déployaient des banderoles dans leur bâtiment, pour réclamer la réouverture [1]. Depuis, ces banderoles ont été retirées par l’administration*. Un simple panneau en carton, scotché à l’entrée du bâtiment, témoigne encore de l’occupation.

Ce 8 février 2021, les amphi de Sciences Po Lyon restent encore désespéramment vides. © Jean de Peña

Mis en place lors du premier confinement, les cours en distanciel ont été réinstaurés au mois de novembre 2020. « La seule exception, ça a été pour les partiels qui se sont fait en présentiel, c’est quand même un paradoxe ! » observe Léandre. « On est là pour préparer la suite mais la seule chose qu’on voit, c’est un mur. On ne sait pas ce qui nous attend. » Alice se dit gagnée par un « sentiment d’imposture ». « Les cours magistraux ont été réduits de 2 h 30 à 1 h, on perd deux tiers du programme ! On a l’impression d’avoir signé pour des cours à distance. » Tous redoutent la dévalorisation de leur diplôme. « On n’a pas de visibilité sur l’avenir et l’impression que ce qu’on fait ne sert à rien. On reste chez nous, devant nos ordinateurs, comme si notre vie n’était pas utile. Les tentatives de suicides de plusieurs étudiants nous ont aussi donné un gros coup au moral. » confie Alice. Ces dernières semaines, elle-même se sentait décrocher. « C’était impossible d’envisager un second semestre comme le premier. »

Les étudiants réinvestissent les amphi et font cours... sans les profs

« Il faut vraiment se bouger » a pensé Sofia, sitôt le mail de l’administration reçu, à la mi-janvier. Avec d’autres élèves de sa promotion, elle organise une assemblée générale en distanciel. « Ce qui est ressorti c’est surtout le besoin de cours. Le mot d’ordre immédiat ça a été l’occupation : il faut qu’on se réapproprie notre lieu d’études. Puisque la fac est déjà bloquée [par la crise sanitaire], on va prendre nos amphis et faire comme si on était en cours. »

Alice montre son agenda de la semaine. En raison du distanciel, le nombre d’heures de cours est largement revu à la baisse. © Jean de Peña

Depuis le 25 janvier, les étudiants réinvestissent donc régulièrement les amphi et font cours... sans les profs. « Chaque classe se réunit entre elle pour projeter le cours. On branche un ordi, on discute entre nous. Les profs peuvent nous rejoindre en visio et ils voient la classe » précise Léandre. « Quand on est chez nous, on ouvre notre ordi, on est passifs, on a la flemme de prendre les cours, reprend Alice. Là on voit les autres. Ça permet de se remotiver ! » Jusqu’à cinquante étudiants ont ainsi participé à un cours. « On a établi un protocole sanitaire à partir des mesures de l’Éducation nationale », précise Sofia. « On ne veut pas que ça se transforme en cluster étudiant. »

Une partie des étudiants à l’initiative du mouvement IEP en lutte. © Jean de Peña
Sofia montre le programmation d’occupation de l’IEP en lutte : atelier banderole, atelier débat, intervention, manifestation, concert... © Jean de Peña

Des « cours étudiants » sont aussi organisés. Adam, en deuxième année, a décidé de se lancer : « J’aime bien la philosophie, alors j’ai préparé un cours sur "philosophie et révolution". Cela faisait écho à la situation qu’on vit aujourd’hui. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant d’étudiants, de questions, d’échanges. ça fait du bien d’avoir des gens en face, des regards. » Et de connaître enfin, six mois après la rentrée, les prénoms des autres élèves de sa classe... « On organise aussi entre élèves des ateliers, des débats, des projections », reprend Alice, enthousiaste. Des professeurs sont aussi venus, hors programme, pour des conférences. « Tout ça c’est de l’expérimentation. Mais de manière générale il n’y a pas assez de débats à Sciences Po. Là, on a créé un modèle sur comment on veut apprendre, comment on échange. On recrée de l’apprentissage par nous-mêmes et de la politisation au sein de l’IEP. »

« La seule façon pour répondre aux besoins d’étudier ce sont des moyens dans l’université »

Plusieurs ateliers-débats, ouverts aux étudiants des autres facultés, ont rythmé les jours d’occupation au cours de ce mois de février. « On a fait des conférences sur l’uberisation, le smartphone et la transition énergétique, l’intersectionnalité avec l’intervention d’un militant de Solidaires Étudiants, ainsi qu’un débat sur l’émancipation des femmes », détaille Alice. Une réflexion est aussi menée sur les attaques contre l’enseignement supérieur et la recherche. « La seule façon pour répondre aux besoins d’étudier ce sont des moyens dans l’université, des embauches, des titularisations. »

Ce manque de moyens est illustré par le faible nombre de psychologues affectés au service de santé universitaire (SSU). « Il y a eu une tentative de suicide dans ma résidence [rattachée au Crous de Lyon], évoque Léandre. On a eu un mail du gestionnaire pour nous inviter à nous rapprocher du SSU. Sauf qu’il y a 26 psychologues sur toute la région Auvergne Rhône-Alpes, avec des délais de dingue pour les rendez-vous. » « J’ai fait le test d’appeler le SSU », reprend Sofia. Il y avait plus de 45 minutes d’attente, je n’avais pas assez de forfait alors qu’ils disent être disponible H24. »

« On a besoin de temps démocratique ! »

Les récentes annonces du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche se heurtent à la réalité que vivent les étudiants. « Le seul truc qu’on a, c’est un repas à un euro. Sauf qu’avec la baisse des APL en janvier, j’ai perdu 50 euros par mois. Je perds plus que ce l’économie des repas va apporter », souligne Alice. Sofia, boursière, vit elle chez sa mère. « Les bourses ne suffisent pas, d’autant que les critères ont été restreints. » Autour d’elle, des étudiants ont perdu leur bourse quand d’autres perçoivent une allocation plus faible chaque mois. « Tout cela se cumule avec la perte de jobs. Je faisais du babysitting via une agence. Avec le confinement depuis mars dernier c’est "les mois blancs" : on gagne zéro euro. » « Cette situation a un impact sur nos parents qui se privent de plein de choses pour nous », observe Alice. « Ça a des conséquences pour tout le monde. La plongée dans la précarité étudiante démultiplie la précarité des personnes autour. Mais ce qu’on veut, c’est une bourse, pas un job : le travail empiète sur les heures de cours. »

Depuis la rentrée, ce 22 février, la direction de Sciences Po Lyon a accéléré le processus de reprise. Il est prévu que l’ensemble des étudiants de 1re, 2e et 4e année reprennent le présentiel une semaine sur deux. « On ne sait pas dans quelle mesure l’occupation a joué dans ces nouvelles mesures assez rapides et inédites par rapport aux autres facs », souligne Sofia. Afin de ne pas empêcher la tenue des cours, les étudiants de l’IEP n’envisagent pas l’occupation des amphis de façon continue. Mais ils veulent garder une salle pour continuer d’organiser des temps d’échanges et de débats. « On a besoin de temps démocratique ! Et l’on veut pousser nos revendications de réouverture totale des facs avec des moyens qui permettent de répondre aux besoins de tous les étudiants. » Inspirés par le mouvement, des étudiants de l’université de Lyon 2 occupent actuellement leur campus à Bron.

texte : Sophie Chapelle / Photos (sauf mention contraire) : Jean de Peña

 Le reportage photos a été réalisé le 8 février 2021 dans les bâtiments de Sciences Po Lyon.

 Photo de une : Des étudiants de Sciences Po Lyon réunis autour du mot d’ordre « Libérez les facs ». © Jean de Peña

 *Ci dessous, la photo du 1er jour d’occupation de Sciences Po Lyon, le 25 janvier 2021. © IEP en lutte

© IEP en lutte