Coulisses

Dans le nouveau gouvernement, la relance du nucléaire en embuscade derrière la planification écologique

Coulisses

par Maxime Combes

« Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas », a promis Emmanuel Macron le mois dernier. En confiant la planification écologique à un ingénieur passé par Areva, le président de la République a surtout posé les jalons de la relance du nucléaire.

Lors du discours de Marseille prononcé entre les deux tours de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé vouloir que son prochain Premier ministre soit « directement chargé de la planification écologique », parce que « cela concerne tous les domaines, tous les secteurs, toutes les dépenses, tous les équipements, tous les investissements, bref toutes les politiques ». Alors que l’État français a par deux fois été condamné pour « inaction climatique » lors de son premier quinquennat [1], Macron a promis un « renouvellement complet » de sa politique, afin notamment de réduire « deux fois plus vite » les émissions de gaz à effet de serre du pays.

Les nominations d’Élisabeth Borne comme Première ministre, puis d’Amélie de Montchalin au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, et d’Agnès Pannier-Runacher au ministère de la Transition énergétique ont laissé nombre d’observateurs dubitatifs. Comment celles qui n’ont guère fait la démonstration de leurs convictions écologistes sous le précédent quinquennat, marqué par une stratégie des petits pas et de grands renoncements, pourraient aujourd’hui se montrer à la hauteur de cet immense défi de transformation de l’appareil productif, des transports, des logements et de l’agriculture ?

Quelques heures après l’annonce du nouveau gouvernement, une nomination plus discrète est venue compléter le tableau : celle d’Antoine Pellion, inconnu du grand public et de la majorité des observateurs, chargé de piloter depuis Matignon le tout nouveau « secrétariat général à la Planification écologique ». Un communiqué indique qu’il est désormais en charge « de coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire » et de veiller à « la bonne exécution des engagements pris par tous les ministères en matière d’environnement ».

Ancien conseiller environnement de Macron

À se demander si cet habitué des cabinets ministériels n’est pas ainsi devenu le véritable ministre de la Planification écologique. Les fidèles observateurs se souviennent qu’Antoine Pellion était déjà le conseiller technique énergie de Ségolène Royal, sous la présidence de François Hollande. C’est à lui que « l’on doit la taxe carbone », aime ironiser Emmanuel Macron pour présenter celui qui a été son conseiller environnement, énergie, transports au début du précédent quinquennat (de mai 2017 à avril 2019), avant de devenir directeur général d’En marche puis de revenir en juillet 2020 auprès du Premier ministre comme « chef du pôle environnement, agriculture, transports, logement, énergie, mer ».

Pour le dire autrement, Antoine Pellion était présent en coulisses de nombreux sujets chauds du précédent quinquennat en matière d’écologie et de climat. La loi Hulot sur les hydrocarbures, initialement ambitieuse puis largement édulcorée en 2017 ? Il était là. La promesse d’Emmanuel Macron sur le glyphosate puis le refus de l’interdire ? Il était là. Le reniement des promesses faites à la Convention citoyenne pour le climat puis la préparation, la négociation et le vote d’une loi « Climat et résilience » très adoucie à l’automne 2020 et au printemps 2021 ? Il était à nouveau là. La définition et la mise en œuvre des plans de relance et France2030 favorables aux intérêts des grands groupes français ? Il était encore là. Tout comme pour la relance du nucléaire annoncée par Emmanuel Macron début 2022.

S’il ne s’agit pas de tenir un conseiller de l’Élysée et de Matignon pour responsable de l’ensemble des choix politiques qu’Emmanuel Macron et ses deux Premiers ministres ont pris au cours du premier quinquennat, Antoine Pellion est indissociablement lié au mauvais bilan écologique de l’exécutif : il incarne même une forme de continuité entre les deux mandats d’Emmanuel Macron. Aux côtés d’Élisabeth Borne, qui n’a pas laissé une trace mémorable de son passage au ministère de la Transition écologique, et des libérales ministres nouvellement nommées Amélie de Montchalin et Agnès Pannier-Runacher, le profil d’Antoine Pellion ne dénote pas.

Un homme passé par l’industrie nucléaire

Il partage même avec ses collègues des passages au sein d’entreprises publiques ... et privées. Élisabeth Borne a travaillé pour Eiffage, la SNCF, la RATP ; Agnès Pannier-Runacher pour la Caisse des dépôts et consignations, la Compagnie des Alpes et Faurecia ; Amélie de Montchalin est elle passée par BNP Paribas et Axa. Le nouveau secrétaire général à la Planification écologique a lui [occupé], principalement en début de carrière, des postes au sein d’Areva, Carrefour, Framatome ou encore Enedis, et même un premier stage chez TotalEnergies [2]. Si rien ne permet d’affirmer que cela fait d’Antoine Pellion le représentant privilégié des lobbys au cœur du pouvoir, la nomination de ce quatuor peine à traduire l’orientation écologique qu’Emmanuel Macron dit vouloir donner à ce nouveau quinquennat.

Ces craintes sont d’autant plus renforcées qu’elles s’accompagnent de la décision prise par le Président réélu de sortir l’énergie du giron du ministère de la Transition écologique et d’en faire un ministère de plein exercice, confié à Agnès Pannier-Runacher. Sans doute faut-il y voir un recul historique majeur : depuis le Grenelle de l’Environnement (2007), l’énergie, auparavant proche des ministères de l’Industrie et de l’Économie, était placée sous la tutelle du ministère de l’Écologie, reconnaissant ainsi que la production énergétique devait tenir compte d’objectifs écologiques plus globaux.

L’énergie tourne le dos à l’écologie

La Direction générale de l’énergie et du climat, trustée par des ingénieurs des mines, a toujours bataillé pour ne jamais être dissoute au sein du ministère de la Transition écologique et conserver son autonomie. De leurs côtés, les partisans de l’énergie nucléaire réclamaient encore récemment la constitution d’un ministère de l’Énergie de plein exercice, le justifiant par le besoin de la relance du nucléaire. Les deux ont été entendus par Emmanuel Macron et ont obtenu gain de cause.

Et comme un cadeau au Corps des mines et au lobby nucléaire n’arrive jamais seul, le tout sera donc chapeauté par un secrétariat général à la planification écologique dont les rênes sont confiées à Antoine Pellion, qui n’est autre qu’un ingénieur des mines connu pour être extrêmement favorable au nucléaire. À se demander si la planification écologique n’est finalement pas un nom d’emprunt pour « relance du nucléaire ».

Maxime Combes

Photo : Emmanuel Macron en 2018. CC BY 2.0 Amaury Laporte via flickr.