« Nous arrivons à des temps obscurs où les gens de couleurs, différents, sont considérés comme une menace »
Carlos Marentes, paysan mexicain membre de Border Agricultural Workers Project :
« On ne peut pas parler du changement climatique sans évoquer les millions de personnes qui sont déplacées, expulsées de leurs communautés, à cause des effets de cette crise climatique. On ne peut pas comprendre la crise qui existe dans les campagnes sans tenir compte de ces millions de femmes et d’hommes qui perdent subitement leur capacité de produire leur alimentation. Ces personnes migrent principalement dans leur pays, mais aussi du Sud vers le Nord au cours d’un voyage de plus en plus compliqué. Ils préfèreraient rester auprès de leurs familles, mais ils ne parviennent plus à survivre et doivent traverser les frontières ou les mers, risquer leurs vies.
« J’aimerais partager mes semences avec d’autres paysans de mon pays, mais je ne peux pas »
Elizabeth Mpofu, paysanne du Zimbabwe, coordinatrice générale de la Via Campesina :
« Le mot "migration" est douloureux, tellement douloureux. Nos populations meurent en migrant, parfois en essayant de traverser les océans. Pourquoi les Africains devraient-ils traiter d’autres Africains comme des migrants ? Pourquoi la loi met-elle en place des mesures qui ne protègent pas les paysans ? Au Zimbabwe, beaucoup de nos concitoyens sont obligés de partir en Afrique du Sud à cause du chômage. Mais s’ils vont là-bas, ils risquent d’être tués. Devrions-nous juste être des témoins ? Il nous faut trouver des solutions, mais ce n’est pas si simple. Moi j’aimerais partager mes semences avec d’autres paysans de mon pays, mais je ne peux pas. Il nous faut soutenir avec force la déclaration des Nations Unies concernant les droits des paysans. »
« Les grandes entreprises et les investisseurs ont beaucoup profité »
Lashhab Abdelhafid, paysan marocain membre de la Fédération nationale du secteur agricole :
« Un verset du Coran dit que Dieu a créé des peuples différents qui doivent cohabiter et se connaître entre eux. Aujourd’hui, les migrations sont de deux types, internes au pays et vers l’étranger. Les migrations sont positives lorsqu’ils s’agit d’étudier ou d’améliorer sa vie, mais ce n’est pas acceptable si l’on doit changer de zone parce que l’on est forcé de le faire. Si nous devons migrer d’un endroit vers un autre c’est parce que les gouvernements ne nous ont pas donné les moyens nécessaires pour bien vivre. Ce sont eux les responsables.
« Les oiseaux, les fourmis, les abeilles ont leurs nids, leurs maisons... Pas les migrants palestiniens ! »
Radwan Ismail, paysan palestinien membre de The Union of Agricultural Work Committees (UAWC) :
« La Palestine et son peuple ont énormément souffert des migrations. Cela a commencé en 1917 avec la première guerre mondiale et ça n’a jamais pris fin. En 1967, une deuxième guerre entre Israël et la Palestine a éclaté, ce qui a provoqué une autre vague de migrations. Trois guerres ont été lancées en très peu de temps dans Gaza, un secteur très réduit : 1,7 million de Palestiniens vivent dans cette bande de terre longue de 41 kilomètres et large de 6 à 12 kilomètres. 14 millions de Palestiniens sont des migrants. Dix millions d’entre eux sont partis vers le Liban. Avec la guerre du Liban (1975-1990, ndlr), nombre d’entre eux sont partis vers la Tunisie, ceux qui étaient en Iran vers la Syrie puis la Turquie et la Libye. Ils suivent aujourd’hui les voies maritimes et passent vers l’Italie. La moitié d’entre eux meurent noyés en mer. Des trafiquants prennent leurs valises, leurs biens et les abandonnent au fond de la Méditerranée.
« Nous pouvons nous aussi devenir demain des migrants »
Nicolas Duntze, paysan français membre de la Confédération paysanne :
« Pourquoi un syndicat français de paysans se préoccupe-t-il du statut social des migrants ? De la situation des travailleurs migrants saisonniers en agriculture ? Nous voulons faire entendre la parole des petits paysans meurtris chaque jour par les politiques coloniales et libérales qui détruisent l’environnement et font monter le niveau des eaux. Pour produire moins cher et vendre à l’exportation, l’agriculture industrielle pratique une politique de concentration des territoires qui contribue à la désertification des zones traditionnelles de production, ainsi qu’une concurrence déloyale. Des firmes comme Monsanto, Cargill ou Nestlé, organisent la « déportation » en Europe. Certaines entreprises de prestations de services vont chercher les petits paysans et paysannes en Roumanie pour les emmener ramasser des fraises en Andalousie à n’importe quel prix ! Le petit paysan roumain, français ou italien ne peut pas lutter contre les bassins de production du Sud de l’Espagne.
« Il ne faut jamais laisser tomber nos rêves, sinon nous mourrons »
Mohammad Faraj, paysan égyptien membre de General Union of egyptian farmers :
« En Égypte, le secteur de l’agriculture compte 8 millions de travailleurs agricoles qui n’ont pas de terres. Lorsque l’on a pu modifier la constitution en Égypte, nous avons essayé d’inclure une clause protégeant ceux qui n’ont pas de biens. La clause 9.99 de la Constitution dit que l’agriculture est un facteur important pour l’économie égyptienne. On peut ainsi garantir un salaire fixe pour ces travailleurs, qui ont été marginalisés pendant 40 ans sans aucune augmentation salariale ni assurance sociale.
Recueillis par Sophie Chapelle, à l’occasion du Forum social mondial à Tunis 2015.
Photos : CC Bastamag à l’exception de :
Photo de Une : paysannes en Éthiopie / CC Planète à vendre
Membres de l’UAWC : source