Espagne

Le Pacte pour l’euro, nouvelle cible des Indignés

Espagne

par Maxime Combes, Sophie Chapelle

Des dizaines de milliers d’Espagnols sont redescendus dans la rue le 19 juin. En ligne de mire : le Pacte pour l’euro, soumis au vote du Parlement européen le 23 juin. Pour les « Indignés », l’adoption de ce Pacte, initié par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, est une attaque contre les droits sociaux et contre les salaires. Un « hold-up démocratique » qui vise uniquement à rassurer les marchés financiers. Dans les rues de Madrid, la révolte gronde. Reportage.

Jose Manuel Barroso, président de la Commission européenne, avait promis « une révolution silencieuse » en parlant du « Pacte pour l’euro ». Les Indignés espagnols ont répondu par une mobilisation massive le 19 juin à quelques jours de son adoption. Ce Pacte « va appauvrir la société européenne au profit des banques et des grandes entreprises, avec l’augmentation de l’âge de la retraite, la privatisation du secteur public et des coupes nettes dans les droits des travailleurs », explique Tom Kucharz de l’organisation Ecologistas en Acción.

Dès 9h, un des six cortèges est parti de Leganés, à 13 km du centre de Madrid, pour converger vers la Plaza de Neptuno, à quelques centaines de mètres du Parlement. Dans la rue, plus de 50.000 personnes – salariés, chômeurs, étudiants, retraités, familles avec poussettes – ont répondu à l’appel de la plateforme Democracia Real Ya. Un appel soutenu par près de 90% des assemblées populaires issues du mouvement du 15 mai.

« Ce Pacte est celui des grandes banques contre les citoyens »

Sous un soleil de plomb, les Madrilènes sont venus dénoncer « l’Europe des marchés », et une faillite qui n’est pas la leur mais « celle du système ». Tous viennent témoigner d’une même lassitude face à la crise qui étrangle la société espagnole, et leur indignation face aux mesures néolibérales en Europe, qui visent à « faire payer la crise aux citoyens plutôt qu’à ceux qui l’ont provoquée ». « Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie » affichent de nombreuses pancartes.

La manifestation s’est déroulée sans violence, rythmée par le slogan « non, non, non, ils ne nous représentent pas ». L’une des principales exigences de la mobilisation : le rejet du Pacte pour l’euro que le Conseil européen doit adopter le 24 juin. « C’est une attaque socio-économique contre les droits sociaux dénonce Rosa, une militante sexagénaire de Democracia Real Ya. Ce Pacte, c’est celui des grandes banques européennes et internationales contre les citoyens de l’Union européenne, en particulier contre les pays les plus pauvres comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande et bien sûr l’Espagne. »

Première cible : les salaires

Qu’implique exactement ce Pacte ? Présenté comme « un plan de sauvetage de l’euro », il prévoit que les 17 pays de la zone euro – ainsi que les autres États de l’UE qui souhaiteraient s’y joindre – présenteront chaque année des engagements pour stimuler la compétitivité et l’emploi, garantir l’équilibre des finances publiques et renforcer la stabilité financière. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, à l’initiative de ce Pacte, l’ont d’abord intitulé « Pacte de compétitivité » avant de le renommer « Pacte de l’euro ». Un changement de forme qui ne change rien à « l’agressivité » du texte, souligne Attac France. « Les salaires sont d’emblée et très clairement la cible du chapitre compétitivité, » poursuit l’organisation altermondialiste.

Pour garantir aux entreprises une « modération salariale » en Europe, ce Pacte prévoit de passer en revue les mécanismes de « fixation des salaires et, si nécessaire, le degré de centralisation du processus de négociation collective et les mécanismes d’indexation ». Déjà bien malmenés en Espagne, en Grèce ou au Portugal, les salaires dans le secteur public devront « soutenir les efforts de compétitivité consentis dans le secteur privé ». Pour le mouvement des Indignés espagnols, avec ce pacte, les salaires deviennent la seule variable d’ajustement.

Flexibiliser le marché du travail

Autre proposition, la flexibilisation du marché du travail. Ce dernier est en effet présenté par le Pacte comme « un élément déterminant de la compétitivité ».

Le Parlement espagnol n’a pas attendu ce Pacte pour lancer des réformes. En septembre 2010, les licenciements économiques ont été facilités. Un contrat à durée indéterminée, donnant droit à moins d’indemnités de licenciement et introduisant plus de flexibilité horaire dans les entreprises, a été généralisé. Avec l’adoption de ce Pacte, la pression sur les demandeurs d’emplois et les salariés sera encore accrue.

Reculer l’âge de départ à la retraite

Pour « soulager » les finances publiques, aucun acquis social n’est épargné. Et surtout pas les retraites.

Le Pacte préconise de reculer de façon effective l’âge de départ à la retraite. Et un développement de la retraite par capitalisation, « permettant aux marchés financiers de rentabiliser la richesse qui jusque là socialisée leur échappait », analyse Attac France. « Nous refusons le recul de l’âge de la retraite à 69 ans, » assènent de leur côté les membres de Democracia Real Ya. Notre régime des retraites est excédentaire depuis 2000. La santé et la vieillesse ne doivent pas devenir des marchandises avec lesquelles s’engraissent les structures privées. »

Rassurer les marchés financiers

Le Pacte appelle également les États de la zone euro à traduire dans leur législation nationale les règles budgétaires de l’UE. L’inscription de ces règles dans la Constitution pourrait constituer la prochaine étape. Le tout pour « rassurer » les marchés financiers. Dans les rues madrilènes, les manifestants s’insurgent contre ce « hold-up de la démocratie », et appellent à multiplier les référendums citoyens. « Étrangement, souligne Democracia real Ya, ce texte n’évoque ni la lutte contre les paradis fiscaux où se reposent les grandes fortunes, ni contre l’évasion fiscale, pas même les taxes sur les transactions financières ou la régulation des agences de notation sur les dettes souveraines. »

C’est au son de « hace falta ya una huelga general » (« il manque maintenant la grève générale »), que s’est ponctuée la manifestation du 19 juin. Avant de s’ouvrir sur une assemblée populaire sur la place Puerta del Sol. La date du 15 octobre a été fixée, pour une convergence internationale des Indignés et un possible référendum auto-convoqué par le mouvement.

Sophie Chapelle et Maxime Combes

Pour aller plus loin :

 La Confédération européenne des syndicats organise une journée d’action le 21 juin pour s’opposer aux politiques d’austérité, avec une manifestation au Luxembourg : plus d’informations
 Débat public d’Attac le 23 juin à Paris : plus d’informations
 Pétitions du réseau des Attac d’Europe : http://www.oureurope.org/

Crédits photos : Alter-Echos