Conditions de travail

Sous-effectif, manque de matériel, pressions : le personnel de nettoyage se rebelle à l’hôpital de Rennes

Conditions de travail

par Angéline Desdevises, Lucile Trihan

Non-remplacement, heures supplémentaires non payées, plannings changeants… À l’hôpital de Rennes, le personnel de nettoyage, surtout des femmes, est épuisé par les méthodes de l’entreprise prestataire. Depuis quelques mois, elles se mobilisent.

Ses mains sont blanchies par les produits ménagers après des décennies à travailler en tant qu’agente de propreté. Joséphine* ne s’appelle pas vraiment comme ça. Elle a peur d’être identifiée, mais souhaite tout de même témoigner. Elle est indignée par ses conditions de travail actuelles à l’hôpital de Rennes.

Le nettoyage du CHU Pontchaillou de la capitale bretonne est externalisé depuis dix ans déjà. Un appel d’offres est formulé tous les trois à quatre ans. En février 2021, les tâches de nettoyage de l’hôpital ont été transférées d’une entreprise sous-traitante, Helios Entretien, à une autre, Net Plus. Depuis, Joséphine dit avoir a vu ses tâches se multiplier et la pression de la hiérarchie se renforcer.

« Avant il y avait des secteurs de nettoyage tracés et fixes avec une personne par étage. Il y avait un suivi, c’était organisé, dit l’employée. Net Plus a tout changé et a ajouté du travail. Avec eux, on nettoie certains bureaux seulement deux fois par semaine. La direction utilise cet argument pour dire qu’il y a moins de travail, mais les bureaux sont plus sales et cela prend plus de temps pour les nettoyer. »

Sous-effectif et manque de matériel

Raida, elle aussi employée au nettoyage de l’hôpital Pontchaillou de Rennes, juge aussi que l’arrivée de Net Plus a aggravé ses conditions de travail, au point qu’elle a été contrainte de poser un arrêt maladie après des douleurs chroniques et des vertiges. « Après trois départs de travailleuse dans notre bâtiment, dont un licenciement, on s’est retrouvées à deux pour faire huit étages. C’était impossible. Quand je me suis plainte, j’ai reçu plusieurs courriers d’avertissement puis une mise à pied », dit Raida. Cela fait 20 ans qu’elle exerce au sein de l’hôpital rennais. Depuis 2021, « le travail a été multiplié par trois », juge-t-elle.

Gros plan sur des mains marquées
Joséphine
Les mains de Joséphine, marquée par ses années de travail en tant qu’agente de nettoyage.
©Angéline Desdevises

Les agentes sont unanimes : elles n’ont pas le temps de finir le travail demandé par l’agence, elles ne sont pas assez. Non seulement elles se disent en sous-effectif, déplorent un manque de matériel, comme des chiffons et des aspirateurs, mais dénoncent aussi l’attitude de la hiérarchie qui leur impose une pression constante.

Les horaires ne rendent pas les choses plus faciles. La prise de poste commence à 5 h le matin alors que les transports ne sont pas encore en service à cette heure-ci à Rennes. « Parfois, on nous appelle tard le soir pour changer nos horaires au dernier moment, on doit toujours être disponibles, mais ce n’est pas le cas dans l’autre sens », explique Raida.

Les collègues soignantes constatent elles aussi les mauvaises conditions de travail des agentes de nettoyage. « Il n’y a qu’une seule personne pour faire 42 chambres, c’est catastrophique », témoigne une aide-soignante. « Elles n’ont même pas de salle de pause », déplore une autre.

16 licenciements, 21 démissions en deux ans

Aujourd’hui, Net Plus emploie sur le site de l’hôpital rennais 130 personnes en CDI et 27 en CDD. Sur les CDI, 103 sont en contrats à temps plein, plutôt rares dans le secteur du nettoyage. Et pourtant, les agentes sont unanimes : elles n’ont pas le temps de finir le travail demandé par l’agence, et elles ne sont pas assez pour le faire.

Une agente de nettoyage de l’hôpital
©Angéline Desdevises

Elles dénoncent aussi une pression constante de la part de la hiérarchie. Les employées se disent également épiées, avec des signalements sur le groupe Whatsapp des chefs. Sur une autre conversation Whatsapp où chefs et employées sont inclus, les notes de propreté de chacune sont publiées.

« Avant, les chefs nous aidaient, mais maintenant, ils nous surveillent et ne font plus que vérifier si nous nettoyons bien et nous dénoncent sur Whatsapp si nous ne sommes pas assez sérieuses », se désole Joséphine. « On nous demande de nettoyer un bureau en cinq minutes, mais c’est impossible », s’indigne aussi Raida, qui a déjà mis au défi un responsable de nettoyer un bureau dans ce temps imparti, ce qu’il n’a pas réussi.

Licenciement
Mila a été licenciée en mai dernier. Dans un courrier en retour à destination de la direction, elle déclare avoir annoncé son arrêt maladie causé par son dos bloqué et ne pas avoir eu d’avertissement quant à un possible licenciement.

Mila, de son côté, a été licenciée, car elle ne respectait pas les seuils de propreté selon son responsable. Pourtant, elle dit avoir fait son maximum : « Je travaillais très bien, tout le monde me le disait ». Elle affirme ne pas avoir compris la décision de la direction, et avoir été licenciée sans avertissement. « J’ai trois enfants et je ne peux pas m’arrêter de travailler », nous dit-elle aussi.

En tout, la direction de Net Plus a prononcé 16 licenciements sur son équipe de nettoyage de l’hôpital rennais depuis 2021, huit pour la seule année 2023, selon les chiffres qu’elle nous elle-même a communiqués. Les démissions se multiplient aussi. Il y en a eu 21 depuis que Net Plus a repris le contrat de nettoyage au CHU de Pontchaillou en 2021. Ces départs ne sont pas toujours remplacés. Les tâches se retrouvent donc redistribuées entre les agentes toujours en poste, leur ajoutant du travail, sans accroissement ni de leurs heures ni de leur paie.

Une association en soutien

L’an dernier, les employées ont commencé à communiquer entre elles et réalisé qu’elles n’étaient pas seules à ressentir une dégradation de leurs conditions de travail. Elles se sont rapprochées en janvier d’une association rennaise, nommée « Si on s’alliait », qui soutenait déjà certaines des salariées sur d’autres sujets. L’organisme propose par exemple des permanences dans les quartiers de Rennes pour accompagner les habitants qui en ont besoin dans les démarches administratives et numériques, ainsi que dans l’apprentissage du français.

Cette association a formé un collectif avec les syndicats CGT et Sud Santé pour défendre les employées du nettoyage du CHU. Ils ont lancé une pétition pour dénoncer « la situation désastreuse que ces travailleuses vivent au quotidien ». « Net Plus veut faire plus avec moins au détriment des salariées, résume Yves Morice, délégué du syndicat Sud à l’hôpital Pontchaillou. Les agentes ont une charge croissante de travail au jour le jour et n’en voient pas la couleur financièrement. » En juin, le collectif a rencontré des responsables de Net Plus, dont le directeur e de l’agence rennaise Pierre-Yves Guichaoua. Une table ronde a également eu lieu fin août entre la direction et les syndicats pour discuter des conditions de travail.

Mais rien de satisfaisant n’est ressorti de ces rencontres pour le collectif. Le 10 octobre, les salariées de Net Plus et leurs soutiens ont investi les locaux de la direction de l’hôpital Pontchaillou, balais et seaux en main. La cinquantaine de personnes ont réclamé un rendez-vous en scandant des slogans « Net Plus, malhonnêtes plus » et « Santé au travail, on ne remercie pas l’hôpital ».

La directrice de l’hôpital Véronique Anatole Touzet n’était pas présente. Après plusieurs appels téléphoniques et l’arrivée des policiers, les manifestants ont fini par obtenir un rendez-vous avec la direction de l’hôpital. Fixé dans un premier temps au 26 octobre, il a été repoussé par la direction au 21 novembre.

Responsabilité de l’hôpital

« Il a fallu envahir la direction de l’hôpital pour obtenir un rendez-vous, se désole Yves Morice. Il dénonce l’inaction de la direction de l’hôpital. « On reproche au CHU de ne pas créer un cadre contraint à l’entreprise sous-traitante. Il faut une pression pour garantir le droit du travail et la transparence. La direction a une responsabilité sociale, c’est elle qui crée le cadre. »

Une femme porte devant son visage une afficheorgange où il est écrit "L'exploitation au travail = Net Plus3
Mila
Mila est venue manifester avec une pancarte qualifiant le management de Net Plus d’exploitation
©Angéline Desdevises

La suite du mouvement dépend maintenant des réponses qu’apportera la direction lors du rendez-vous. Les syndicats demandent une rémunération des heures supplémentaires, ainsi que l’achat de matériel adéquat. Le syndicaliste de Sud exige aussi « la fin de ce management où les responsables, qui ne sont pas tout le temps sur place, viennent mettre des coups de pression. » Le syndicat réclame enfin la réinternalisation du nettoyage à Pontchaillou. « Depuis dix ans, l’externalisation a aggravé les conditions de travail », constate Yves Morice.

De leur côté, les employés de Net Plus veulent au plus vite un temps de travail approprié à la charge de nettoyage, plus de salariées et moins de chefs, le remplacement de chaque départ, un paiement des heures supplémentaires, une pointeuse de début et de fin de journée, la mise en place d’instances d’échanges entre salariées et employeurs, et la réintégration des personnes licenciées qui le souhaitent.

Contactée par mail, Net Plus nous écrit estimer « que cette mobilisation est le fruit d’une généralisation, très souvent trompeuse, où les représentants des collectifs étaient plus nombreux que nos agents ». Elle dit être ouverte « au dialogue et à l’amélioration continue ». Et accuse la CGT de vouloir avant tout réinternaliser la prestation, alors que le marché doit être reconduit en janvier.

Lucile Trihan et Angéline Desdevises

Photo de une : Le 10 octobre, une cinquantaine de personnes ont investi la direction de l’hôpital Pontchaillou de Tennes pour protester contre les conditions de travail des agents et agentes de nettoyage de l’hôpital/©Angéline Desdevises

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat et la sécurité de l’emploi des interrogées

Lutte des agentes d'entretien de l'hôpital from AURELIEN BLONDEAU on Vimeo.