Mouvement social

Grève de la jeunesse pour le climat : « Si on perd cette bataille, on aura tout perdu »

Mouvement social

par Eros Sana, Rachel Knaebel, Sophie Chapelle

C’est une nouvelle vague qui monte, pour que leur futur ne soit pas hypothéqué : dans toute l’Europe, des écoliers, des collégiens, des lycéens et des étudiants s’engagent pour le climat. Né en Suède, à l’initiative de Greta Thunberg, âgée de 16 ans, le mouvement des grèves du vendredi a pris de l’ampleur en Allemagne et en Belgique. Et arrive en France où des lycéens et des étudiants commencent à se mobiliser et à descendre dans la rue pour l’avenir de la planète et en finir avec « l’inertie folle » des dirigeants. Reportage à Lyon et à Berlin, où se prépare activement la grande journée de mobilisation mondiale des jeunes pour le climat prévue le 15 mars.

« Vous dites que vous aimez vos enfants, mais vous volez leur futur. » Le message est rude pour les anciennes générations. Mais il porte, alors que le mode de croissance industriel réchauffe inexorablement la planète. Ce type de slogans va fleurir partout en Europe ce 15 mars, sur des banderoles et pancartes brandies par des étudiants, des lycéens, des collégiens et même par des enfants encore à l’école élémentaire - en Allemagne, des manifestations sont parfois composées d’écoliers qui ont à peine 10 ans ! Ils subiront de plein fouet le réchauffement climatique quand une grande partie de ceux et celles qui gouvernent aujourd’hui seront morts et enterrés, laissant à la postérité leur inaction, leur « inertie folle » comme le déplore une étudiante lyonnaise.

A Berlin, cette nouvelle génération d’activistes, davantage capables de penser le futur que les élites européennes vieillissantes et obsédées par la réduction des coûts, ont lancé les grèves du vendredi, les « Vendredis pour le futur » (Fridays for Future) depuis décembre déjà. « Comme le niveau de la mer, nous nous soulevons », « Moins d’asphalte, plus de forêt », énoncent les pancartes fabriquées notamment par Paula et Ada, qui manifestent chaque semaine dans la capitale allemande. Elles ont 16 ans et sont élèves de première. Le matin, à la radio, des politiques interviewés pour commenter ces grèves pour le climat prétendent que ces jeunes sont manipulés. Encore une vieille rengaine de commentateur inerte. Cela fait sourire les deux adolescentes : « Manipulée ? Je ne saurais pas même par qui », rigole Paula. « Le mouvement se diffuse directement dans les écoles, par les élèves, et pas seulement par Internet », décrit Ada.

« Quand je vous vois, je me réjouis du futur »

« Les écoliers qui se retrouvent tous les vendredis n’étaient pas forcément engagés pour l’environnement avant », précise Franzi, également lycéenne à Berlin et membre de la coordination qui organise les rassemblements. « Moi-même, je n’étais pas engagée politiquement. Mes parents ont écrit un livre sur comment vivre de manière écologique en famille. D’ailleurs, nous n’avons plus de voiture », témoigne-t-elle. Si certains politiques les dénigrent, de nombreux adultes les encouragent. « Mes parents me soutiennent, cela ne leur pose pas de problème que je sois ici et pas à l’école », explique Muriel, 14 ans, élève berlinoise en troisième.

« Changez le système, pas le climat », banderole berlinoise lors des « Vendredis pour le futur » qui durent depuis décembre / © Rachel Knaebel

Lors d’un rassemblement qui se tient devant le ministère des Transports, où l’on aperçoit même des élèves de CE1, des enseignants aussi sont venus. « Des gens disent : “Ces jeunes feraient mieux d’aller à l’école”. Sincèrement, moi, je ne veux pas avoir à dire dans 30 ans à mes enfants et petits-enfants que j’ai contribué à détruire cette planète. Quand je vous vois, je me réjouis du futur ! », déclare, au micro, un professeur d’une trentaine d’années. « J’ai rarement été si heureuse de voir autant d’élèves rassemblés au même endroit », lance ensuite une ancienne enseignante, désormais à la retraite.

« On ne comprend pas que l’État ne bouge pas, qu’il fasse la sourde oreille »

En France, le mouvement est beaucoup plus récent et n’en est pas encore là, mais semble prendre de l’ampleur. L’enthousiasme est palpable chez les jeunes organisateurs de la grève du 15 mars à Lyon. Ils se sont donnés rendez-vous quelques jours plus tôt, après les cours, sur une place du centre-ville, pour se répartir les 450 affiches à coller dans les lycées, les campus, et les rues proches des établissements. Un signe les distingue : un brassard vert noué au bras ou accroché au sac à dos. « C’est le signe de soutien aux grèves lycéennes et étudiantes. Cela permet de donner de la visibilité au mouvement », explique Lucile. « On en distribue dans les campus, pour amorcer la discussion. La plupart des étudiants ont entendu parler des grèves du vendredi. Sinon, il suffit de prononcer le nom de "Greta Thunberg" pour que cela fasse déclic chez tout le monde. »

Le 22 février, Greta Thunberg, la jeune activiste suédoise à l’origine des grèves du vendredi, a défilé aux côtés des élèves français à Paris. Le 1er mars, elle était à Hambourg pour manifester aux côtés de plusieurs milliers d’élèves allemands, également précurseurs de cette mobilisation qui se répand lentement mais sûrement. Les paroles choc de Greta Thunberg, abondamment médiatisées et diffusées sur les réseaux sociaux, notamment lors du forum de Davos en janvier, ne constituent pas le seul levier de prise de conscience.

« On se forme à être une génération d’activistes »

A Lyon, Marin Bisson, 15 ans, élève de seconde, fait partie des dix jeunes qui ont lancé l’appel national à des grèves pour le climat en France. L’annonce du départ de Nicolas Hulot du gouvernement, le 28 août dernier, a agi chez lui comme un électrochoc. Marin participe à une première marche pour le climat en septembre. Puis rejoint dans la foulée le collectif Lyon Climat. « On ne comprend pas que l’État ne bouge pas, qu’il fasse la sourde oreille », dit-il. « Vous imaginez : il a fallu des années pour faire interdire les pailles en plastique, s’agace l’une de ses camarades, Lucile. Comment peut-on avoir une politique à la hauteur des enjeux quand un gouvernement est si lent à agir ? Il y a une inertie folle. En tant que jeunes, nous sommes plein d’énergie, nous ne sommes pas désabusés. Et encore, je suis l’une des plus vieilles dans le mouvement ! », sourit celle qui a tout juste 20 ans.

A Lyon, des étudiants et lycéens préparent la grève du 15 mars / © Sophie Chapelle

Comme leurs camarades berlinois, les jeunes lyonnais évacuent toute accusation de récupération ou de « manipulation ». « C’est un mouvement fait et porté par des lycéens et étudiants, sans étiquette. On tient à cette auto-organisation » explique Marin. Ils ont certes bénéficié de modestes soutiens financiers de la part de youtubeurs ou d’associations pour imprimer les affiches. Et misent principalement sur les réseaux sociaux, le bouche à oreille, leur espace de discussion sur la plateforme Discord et la débrouille. « J’ai l’impression que le mouvement part bien », se réjouit le lycéen lanceur de grève, en consultant leur compte Instagram – davantage utilisé par les jeunes générations que Facebook – qui, avec 1000 abonnés, a doublé d’audience en deux jours seulement. « On sent que les gens de ma génération sont très sensibilisés à ces questions. » « On se forme à être une génération d’activistes », confirme Lucile. « Cela donne plein d’énergie mais en prend beaucoup aussi ! »

« La grève n’est pas une fin en soi. On pense aussi à des actions de désobéissance civile »

Car de l’énergie, il en faut face à la sclérose qui pèse sur certains établissements scolaires. « Des CPE [conseiller principal d’éducation, ndlr] nous avaient autorisé à mettre des affiches dans l’enceinte du lycée, mais un autre les a enlevées en disant qu’on n’avait pas le droit d’appeler à faire grève », raconte Antoine, en terminale technologie. Qu’importe, il a collé l’affiche juste à l’entrée du lycée. Le proviseur a quand même autorisés les élèves à tenir un stand le vendredi matin, sans pour autant préciser s’il sanctionnera ou non les absences pour grève l’après midi. L’accueil a été beaucoup plus chaleureux à l’université de Lyon 3. « Plusieurs profs ont apporté leur soutien. Ils s’engagent soit à déplacer leur cours, soit à ne pas compter les absents. Ils nous autorisent à passer dans les amphis et un prof m’a même demandé des brassards pour en distribuer », décrit Nolwenn, l’une des étudiantes du groupe.

Lors de la manifestation pour le climat du 22 février à Paris / © Eros Sana

S’ils s’impliquent tous pour mobiliser un maximum de monde le 15 mars, beaucoup pensent déjà à la suite. « Si on perd cette bataille, on aura tout perdu, confie Thomas, 22 ans, étudiant à Sciences-po Lyon. Ma crainte, c’est que le mouvement s’essouffle au fil des vendredis de grève. Je m’étais beaucoup engagé contre la loi travail et cela m’a traumatisé. » Les modalités de la poursuite du mouvement n’ont pas encore été décidées. « La grève n’est pas une fin en soi. On pense aussi à des actions de désobéissance civile », anticipe Marin. Pour l’heure, les jeunes organisateurs s’attellent à finaliser un site internet avec l’ensemble des revendications nationales et locales. Ils tiennent notamment à proposer des alternatives efficaces à la voiture. Pesant plus d’une tonne pour déplacer en général une seule personne, la voiture demeure le symbole du gaspillage absurde de la société industrielle.

« Les entreprises ont bien eu le temps de réagir plus tôt. Et elles ne l’ont pas fait ! »

S’il n’y avait que la voiture… « Tout ce que je veux pour Noël, c’est une sortie du charbon », proclame une pancarte berlinoise. En Allemagne, la question du charbon est très présente dans le mouvement pour le climat. Les très polluantes centrales à charbon y fournissent encore 36 % de l’électricité consommée. Les lycéens mobilisés n’avaient pas encore dix ans quand l’Allemagne a décidé sa sortie définitive de l’énergie nucléaire, en 2011. Ils approcheront la quarantaine quand leur pays en terminera avec le charbon : en 2038 si le calendrier ne bouge pas (lire notre article). « Pour nous, 2038, c’est bien trop tard. Tous les experts le disent. Il faut sortir du charbon entre 2020 et 2030, pas plus tard », dit Franzi, membre de la coordination berlinoise.

« L’argent pour la sortie du charbon n’est pas mis au bon endroit », estime Paula. La commission charbon prévoit des dizaines de milliards d’argent public pour la reconversion des régions où se trouvent les mines de charbon et les centrales qui le brûlent, ceux qui y travaillent, et dédommager les groupes énergétiques. « L’argent devrait en priorité être utilisé pour créer de nouveaux emplois pour les gens qui travaillent dans le charbon, pas pour indemniser les entreprises. Cela fait 40 ans qu’on connaît le changement climatique, les entreprises ont bien eu le temps de réagir plus tôt. Et elles ne l’ont pas fait ! »

En France, si la place du charbon est désormais très marginale, les sujets ne manquent pas : faiblesse des énergies renouvelables, meurtrière pollution de l’air, inertie face aux pesticides… « Nous sommes la dernière génération à pouvoir agir, à avoir dans nos mains les leviers pour changer les choses. Nous sommes la génération climat, et notre tâche est sans doute la plus importante de l’histoire de l’humanité », rappelait une participante au mouvement Alternatiba, qui vise à promouvoir et développer les alternatives écologiques et sociales pour que les écoliers d’aujourd’hui soient enfin certains d’avoir un futur demain.

Texte : Rachel Knaebel et Sophie Chapelle, avec Ivan du Roy
Photo de une : Marche pour le climat avec Greta Thunberg, le 22 février à Paris / © Eros Sana