Face au béton

Grand Paris : un collectif tente de préserver les « terres parmi les plus fertiles d’Europe »

Face au béton

par Maÿlis Dudouet

Des collectifs associatifs et des citoyens militent depuis des années contre le projet de ligne 18 du métro du Grand Paris. Une ZAD installée sur le plateau de Saclay revendique la préservation des terres agricoles de la zone.

D’un côté, un champ de blé bio. De l’autre, un pont en construction autour duquel s’agitent grues et engins de chantier. Au milieu : Zaclay. Cette petite Zad (Zone à défendre) se trouve sur des terres agricoles de Villiers-le-Bâcle, dans l’Essonne. Des soutiens à la lutte contre le projet de la ligne 18 du métro y dorment depuis deux ans.

« On ne savait pas que cela durerait aussi longtemps », s’étonne François, zadiste d’une cinquantaine d’années, une inscription « Sauvons les terres de Saclay » barrant le dos de son gilet fluorescent. Il fait partie du Collectif contre la ligne 18 et l’artificialisation des terres de Saclay (CC18), infusé par le mouvement Extinction Rébellion et ses méthodes de désobéissance civile.

Des ma,ifestants contre al ligne 18 du métro du Grand Paris
Les manifestants ont longé le viaduc en chantier de la ligne 18.
©Maÿlis Dudouet

La nouvelle ligne de métro en question devra relier à l’horizon 2030 l’aéroport d’Orly à la gare de Versailles-Chantiers. Elle franchira les départements de l’Essonne, des Hauts-de-Seine et des Yvelines pour une mise en service complète en 2030. Le projet, conduit par la Société du Grand Paris, est évalué à 4,4 milliards d’euros.

Ce métro automatique s’étirera sur 35 kilomètres, avec une partie au sol, l’autre dans les airs. Deux kilomètres de viaduc ont déjà été construits. Une gare aérienne doit être érigée sur le plateau de Saclay, près de l’École polytechnique, où un pôle scientifique et technologique est en cours d’aménagement sur ce site à vingt kilomètres au sud de Paris.

« Un investissement pour ramener des capitaux »

« Le développement du plateau de Saclay est avant tout un investissement immobilier qui se fait pour ramener des capitaux au nom de la recherche et des étudiants, dénonce Alice* [1] 21 ans, elle-même étudiante sur le Plateau. C’est un cluster d’élites : on y est isolé du monde et les résidences étudiantes y sont chères. » La jeune femme est venue manifester contre le projet ce samedi 13 mai, à la Zad de Zaclay.

Plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées ce week-end là pour protester contre la ligne 18 et l’artificialisation des terres de Saclay. La mobilisation, qui dure depuis des années, a pris un tournant en 2018 quand Cristiana et Emmanuel Vandame, un couple d’agriculteurs, ont prêté un lopin de leurs 35 hectares de terres au collectif pour ériger une Zad.

« C’est une aberration de continuer à bétonner alors qu’on a encore besoin de terres pour nous nourrir, déplore Cristiana Vandame. D’autant que la ligne de métro ne répond pas non plus aux nécessités de transport publics. Des études l’ont montré, il faut déjà s’occuper de la réfection des RER existants. Essayons de remettre les infrastructures de transports en état », dit aussi l’agricultrice.

Une Amap de 20 ans

Sur l’estrade du barnum de Zaclay, Fabienne Merola, ancienne directrice de recherche au CNRS aujourd’hui retraitée, et porte-parole du CC18 regrette que « la seule chose qui se développe sur le plateau de Saclay, c’est le béton et la finance. Tous les projets se sont développés dans un déni de démocratie. »

Elle dénonce aussi la classification du projet comme « opération d’intérêt national », un statut administratif qui permet à l’État de faire prévaloir un intérêt public supérieur sur les règles locales d’urbanisme et de construction. Le député européen vert et paysan agriculteur Benoît Biteau est aussi venu soutenir la mobilisation.

Il existe aujourd’hui 13 exploitations agricoles sur le Plateau de Saclay, qui cultivent quelque 2500 hectares. Une minorité d’entre elles travaillent dans le bio. Mais tous bénéficient de terres « parmi les plus fertiles d’Europe », avance Isabelle Goldringer, ingénieure agronome à l’Institut national de la recherche agronomique et membre du collectif CC18. « Sur ce plateau se sont accumulés des limons [un type de roche, ndlr] amenés par les vents sur des milliers d’années, où ils se sont déposés sur une couche d’argile. Les plantes ont des racines profondes, ce qui permet de s’alimenter en eau pendant plusieurs mois. »

Cristiana Vandame devant une banderole "zone mal protégée" sur la Zad.
Cristiana Vandame, agricultrice. Avec son mari Emmanuel, ils ont prêté une parcelle de leurs terres aux résidents de Zaclay pour lutter contre l’artificialisation des terres et le chantier de la ligne 18.
©Maÿlis Dudouet

À un kilomètre du campement de Zaclay, Cristiana et Emmanuel Vandame organisent dans leur ferme les 20 ans de l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) Les jardins de Cérès. Ils sont les principaux fournisseurs de cette Amap qui met en relation habitants et agriculteurs locaux. « On ne lutte pas pour nous : dans cinq ans, nous sommes à la retraite, explique Emmanuel Vandame. On lutte contre cette idiotie du gouvernement, qui voit un investissement alors que sur le long terme, massacrer le plateau de Saclay n’est pas rentable »

« Utilité sociale immédiate faible »

Des faiblesses ont en effet été relevées par les auteurs du rapport de contre-expertise sur le projet adressé en 2020 au Secrétariat général pour l’investissement.« La ligne 18 a la particularité d’avoir des prévisions de trafic basses pour un métro, de traverser des territoires peu denses », observent les experts. Joint au dossier de déclaration d’utilité publique, le document appelle à préciser certains aspects du projet.

Dans un autre document datant de 2020, c’est au tour de la commission d’enquête préalable à la modification de déclaration d’utilité publique (DUP) de la ligne 18 de soulever un certain nombre de problèmes au sujet de la partie du chantier traversant le plateau de Saclay.

« Son utilité sociale immédiate paraît assez faible, les trafics attendus, même en 2030 restant limités à 1000 à 2000 voyageurs à l’heure de pointe du matin, notamment parce que la ligne C du RER ne semble pas, d’après les informations reçues du public, saturée », pointait le document. Toutes ces réserves n’ont pas empêché le développement du projet.

Des personnes de dos au miliue des champs lors la marche organisée. En fond : le viaduc de la future ligne 18.
La marche organisée à l’occasion du rassemblement festive traverse le plateau de Saclay. En fond : le viaduc de la ligne 18 surplombe les terres agricoles.
©Maÿlis Dudouet

« Au départ, lorsque le projet de nouvelle ligne avait été annoncé en 2011, il s’agissait d’un tunnelier enterré à quatre gares et qui ne devait pas entamer les terres agricoles », se souvient Emmanuel Vandame. Quelques années plus tard, la ligne 18 comptabilise dix gares et doit enjamber une partie des terres de Saclay.

Entre une demande d’inscription du plateau de Saclay au patrimoine mondial de l’Unesco, une lettre ouverte des agriculteurs paysans, une tribune de soutiens politiques au collectif, un recours auprès du Conseil d’État, les membres de l’Amap des Vandamme et d’autres associations d’opposants œuvrent tous azimuts pour faire entendre leur voix. « Je pense que ce combat pour garder des terres agricoles près des consommateurs est fondamental », défend ainsi Jaques Cadélec, retraité et membre de la première heure de l’Amap.

D’autres agriculteurs paysans tentent de préserver ces « terres inestimables », comme le montre le documentaire Terres précieuses. Ils ont obtenu en 2010 la création par l’État d’une zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) à Paris-Saclay. Cette zone rend non urbanisables les espaces naturels et agricoles qui la composent, et doit préserver les exploitations agricoles qui se trouvent dans le périmètre.

Mais « le tracé du métro n’est pas intégré à la zone », critique Emmanuel Vandame. Et les limites de la zone sont trop floues pour sécuriser vraiment les terres, accuse Cyril Girardin, ingénieur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique et engagé notamment au sein de l’association Terre et Cité sur le plan juridique contre le projet de ligne 18.

« On réclame depuis trois ans d’avoir une délimitation propre de la ZPNAF. Car quand on nous parle d’une parcelle touchée par le projet de la ligne, on est incapable de dire si la ZPNAF est touchée ou pas. Sans qu’on le sache, le chantier peut diminuer sa surface », explique-t-il. « C’est un secteur massacré par les projets d’aménagement, sans discernement pour la qualité des sols », ajoute l’homme qui est aussi vice-président de l’Amap Les jardins de Cérès.

Des cabanes de bois et des tentes à la nuit tombante sur le campement de Zaclay.
Aperçu du campement de Zaclay, situé sur des terres de Villiers-le-Bâcle (Essonne).
©Maÿlis Dudouet

Huit associations [2] et quatre maires du Plateau (des communes de Saclay, Châteaufort, Magny-lès-Hameaux, Villiers-le-Bâcle) ont déposé en 2021 un recours auprès du Conseil d’État, demandant le retrait de la déclaration d’utilité publique. Il a été rejeté. Et le regroupement d’associations doit rembourser à hauteur de 4 000 euros (500 euros chacun) les frais de justice de la Société du Grand Paris.

Quant aux projets alternatifs à ligne 18, de téléphérique ou de bus à haut niveau de service, « tous ont été torpillés, regrette l’ingénieur de recherche. Parce que l’État ne voulait qu’un candidat, le métro de la ligne 18. »

Ordre de quitter les lieux pour le 6 juin

Après une marche de plusieurs heures, le cortège du 13 mai s’arrête au bout du chantier du viaduc. « Qui sème le béton aura bientôt la dalle », annonce la banderole de tête. Certains manifestants secouent les barrières du chantier sous l’œil d’une poignée de policiers.

Puis vient l’heure de rejoindre la Zad Zaclay, où les manifestants élèvent une grange paysanne. Mais les zadistes ont reçu l’ordre de quitter les lieux avant le 6 juin, sous peine d’une amende de 200 000 à un million d’euros, pour les Vandame.

La pelleteuse des CRS est arrivée dès le lundi 15 mai. La grange paysanne n’est déjà plus. Avec la menace de poursuites annoncées par le préfet, les Vandame ont aussi pris leur décision : « La ZAD, on va l’enlever. » Le combat pour les terres d’Île-de-France ne semble pas pour autant abandonné. « La Zad déménage ! » annonçait le collectif dans un tweet fin mai.

Maÿlis Dudouet

Photo de une : ©Maÿlis Dudouet

Notes

[1Le prénom a été changé.

[2Il s’agit de : France Nature Environnement Île-de-France, Union des amis du Parc naturel régional de la Haute vallée de Chevreuse, Union des associations de sauvegarde du plateau de Saclay et des vallées limitrophes, Essonne Nature Environnement, Les Amis du grand parc de Versailles, Les Amis de la vallée de la Bièvre, Union Renaissance de la Bièvre, Les Jardins de Cérès-Amap.