Santé publique

Comment la fermeture des petites maternités menace la santé des mères et de leurs enfants

Santé publique

par Rozenn Le Carboulec

En quinze ans, un tiers des maternités ont été fermées pour des raisons d’économies budgétaires en France. Avec pour conséquences un risque accru sur le bon déroulement des accouchements. A Die, dans la Drôme, habitants et soignants s’opposent à la fermeture de la maternité locale. Enquête sur une injustice sanitaire.

« Signez la pétition contre la fermeture de la maternité ! » A Die, petite commune de 4500 habitants, dans la Drôme, c’est devenu la routine des mercredis et des samedis matins. Parmi les stands de clairette et de tome de brebis, celui des membres du Collectif de défense de l’hôpital, qui alpaguent les passants tous les jours de marché depuis maintenant quatre mois, pour tenter de sauver, une fois de plus, leur maternité, régulièrement menacée depuis des années. En mai, le collectif a même fêté ses trente ans d’existence.

Jean-Louis Darrière, qui travaille dans le Diois depuis 1976, a fait partie des premiers à se mobiliser. « C’est en 1987 que les politiques ont dit pour la première fois qu’on n’avait plus besoin de la maternité car elle coûtait trop cher », raconte-t-il, tout en interpellant les habitants. Cette fois, ce passionné de photo a eu l’idée d’immortaliser avec son appareil les visages de toutes les personnes nées à la maternité de Die, dans le but de les afficher dans la commune. Il en a déjà photographié près de 900 et espère aller jusqu’à 4000. « Le nombre de pétitions qu’on a fait signer... ! Les élus se sont battus une demi-journée et la ministre a accordé une réouverture de 18 mois en avril 2016. Mais nous, il faut qu’on lutte à chaque fois... et on est obligés de recommencer ! »

Depuis 1996, un tiers des maternités ont fermé

Si la maternité de Die est symbolique – c’est la plus petite de France, avec 117 accouchements en 2016 – elle est cependant loin d’être un cas isolé. « Entre 1996 et 2012, une maternité sur trois a fermé en France », relève Hélène Derrien, vice-présidente de la Coordination nationale du comité de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Principalement des cliniques privées et des petites maternités de type 1, souvent transformées en centres de périnatalité [1] au profit de plus gros établissements, de type 2 ou 3, où se concentrent désormais près de 80% des naissances [2].

Si 142 structures effectuant moins de 1000 accouchements ont disparu entre 2002 et 2012, les établissements dépassant 3000 accouchements par an ont vu leur nombre tripler, constatait la Cour des comptes en 2015. Bilan : la France métropolitaine comptait 1396 établissements en 1975, 814 en 1996, et seulement 518 en 2014, auxquels il faut ajouter ceux qui ont disparu depuis. Ce qui correspond à la fermeture de 63% des établissements ! « Sous le dernier gouvernement, il y a eu des évolutions, mais pas forcément dans le bon sens. Des engagements avaient pourtant été pris par François Hollande, qui ne voulait pas un citoyen à plus de 30 minutes d’une prise en charge, rappelle Hélène Derrien. Or, non seulement rien n’a été fait, mais la loi de modernisation du système de santé n’a fait que poursuivre ce que la loi Bachelot avait initié, en mettant à mal les soins de proximité. »

Jusqu’au 7 mai dernier, Philippe Leeuwenberg, président du collectif de défense de l’hôpital de Die, espérait obtenir une réponse de Marisol Touraine, avant qu’elle ne laisse les clés du ministère de la Santé à Agnès Buzyn. En vain. Les candidats à la présidentielle l’ont également déçu : « On les a tous interpellés, aucun n’a répondu ». Après une manifestation qui a rassemblé près de 700 personnes le 8 avril, « c’est un retour à la case départ, déplore Philippe : Il va falloir en organiser une autre pour la nouvelle ministre ! ». Et interpeller les candidats aux législatives entre-temps.

« Je ne sais jamais si je vais travailler le lendemain »

Pointée du doigt en 2015 dans un rapport de la Cour des comptes, la maternité de Die fait partie des 13 établissements qui réalisaient moins de 300 accouchements par an en 2013, seuil minimal établi en 1998, en deçà duquel l’autorisation d’exercer doit normalement être retirée. Elle l’a été pour trois d’entre eux depuis. Quant aux autres, ils doivent leur survie à des autorisations obtenues « à titre dérogatoire lorsque l’éloignement des établissements pratiquant l’obstétrique impose des temps de trajet excessifs à une partie significative de la population », détaille la Cour des comptes. Dans le Diois, dominé par les falaises du Vercors, la disparition de la maternité allongerait considérablement les temps de trajet. « De Charens, où j’habite, il me faudrait presque deux heures pour aller à l’hôpital de Valence. On est en train de nous enterrer vivants ! », alerte Tania, dont l’accouchement est prévu fin juin. Avec une dizaine d’autres femmes enceintes, elle est allée porter plainte à la gendarmerie pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

Compte tenu de son isolement, la maternité de Die bénéficie actuellement d’une dérogation – une de plus – jusqu’au mois de décembre. Et après ? Alors que le chef du service de gynécologie-obstétrique vient de partir à la retraite, recruter s’avère compliqué, explique Philippe Leeuwenberg : « Nous avons trouvé des praticiens intéressés, mais à condition que la maternité obtienne une dérogation de cinq ans, or le ministère de la Santé a promis cette dérogation uniquement si les postes vacants sont pourvus. C’est le serpent qui se mord la queue ! »

Du côté des personnels de l’établissement, cette indécision permanente est également source d’angoisse. Joseph Lenormand, anesthésiste, a le statut de remplaçant depuis vingt ans et cumule les CDD depuis pas moins de dix ans : « Je ne sais jamais si je vais travailler le lendemain. Mon contrat le plus long était de six mois, mais aujourd’hui par exemple, j’ai un CDD de douze jours ! » Amélie, sage-femme, renchérit : « On travaille en permanence avec le couperet de la fermeture au-dessus de la tête. La pression est telle, cela n’aide pas à travailler en confiance. » Tous deux le savent : la moindre erreur peut leur coûter cher.

Un risque en deçà de 300 accouchements par an ?

Un des principaux arguments employés pour justifier la fermeture des petits établissements réside dans une potentielle mise en danger des patients, en deçà de 300 accouchements par an. « Ce seuil a été établi sur le principe selon lequel une activité trop faible ne permet pas aux équipes la pratique nécessaire à la sécurité des soins pour faire face à un incident au cours de l’accouchement », détaille le rapport de la Cour des comptes – tout en précisant en bas de page que ce seuil « ne paraît avoir fait l’objet d’aucune étude spécifique lors de sa fixation ». Pour Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof), cela ne fait aucun doute : « Il y a un vrai risque à 300 accouchements par an, et même avant ».

Dans l’Aveyron, la maternité de Decazeville, qui a réalisé 296 accouchements en 2013, en a fait les frais. Suite au décès d’une femme et de son nourrisson lors d’un accouchement, l’Agence régionale de santé (ARS) a suspendu l’activité de l’établissement en octobre 2016. Dans un communiqué, l’agence concluait à « l’existence de dysfonctionnements dans l’organisation des soins et au non-respect d’exigences réglementaires, qui engendrent des risques graves pour la sécurité des activités obstétricales ». Mais pour Maxime Gaillac, aide-soignant à l’hôpital de Decazeville et porte-parole du collectif Tous ensemble, la responsabilité des personnels n’a jamais été établie : « L’enquête a révélé des dysfonctionnement, mais qui n’ont pas directement joué dans le le décès de la maman et de son bébé », souligne-t-il, tout en mettant en avant les répercussions de cette fermeture : « Nous sommes dans un bassin très précaire, à 45 minutes voire une heure des autres maternités les plus proches, puisque celle de Figeac a déjà fermé en 2009. » [3]

Dans les grosses maternités, le problème des cadences

Du côté des personnels de Die, l’argument du manque de pratique dû à un faible taux de naissances ne tient pas non plus. « Pour la bonne raison qu’on travaille tous aussi dans d’autres établissements, et c’est une bonne chose ! », estime Joseph Lenormand. Depuis janvier 2014, l’hôpital de Die fait partie d’une Communauté hospitalière de territoire (CHT), visant à mutualiser les moyens, logistiques comme humains, entre neuf établissements publics. Anaïs, sage-femme titulaire à Valence, fait également plusieurs gardes par mois à Die, comme quatre autres de ses collègues. Elle sent clairement la différence : « Il y aurait des travaux à faire, et des médecins d’astreinte ne dorment pas sur place. De plus, il n’y a pas de pédiatre tout le temps, et je n’ai pas la même masse de travail à gérer. Mais j’avais aussi besoin d’un peu de recul, pour compléter mon expérience. »

Dans la petite maternité de Die, nichée près des remparts, Amélie a quant à elle le sentiment d’avoir enfin trouvé un lieu correspondant à sa vision du métier de sage-femme : « Ici, on va davantage communiquer et anticiper. L’écoute des patientes est aussi un gage de sécurité important. Or, dans les grosses maternités, ce temps-là n’existe plus. » « L’avantage de cette petite structure, c’est que c’est personnalisé. On connaît les sages-femmes. Ce n’est pas une usine de poules pondeuses », confirme Véronique, une habitante de Recoubeau qui a accouché à Die. Joseph Lenormand, qui a travaillé dans plusieurs établissements, ajoute : « Dans les grosses maternités, le fait qu’il y ait beaucoup d’accouchements peut aussi être dangereux. A la Roseraie, à Aubervilliers, on en faisait 1600 par an. Ce n’est pas facile à gérer ».

La raison financière contre la santé publique

Pour l’anesthésiste, qui déplore depuis toujours le manque d’ambition pour l’établissement diois, « la vraie question, et la seule à se poser est : "Cet hôpital est-il utile ?" Si oui, il faut lui donner des moyens et des objectifs ». Dans une région où les demandes d’accouchements à domicile sont en hausse et représentent un manque à gagner pour la maternité, Amélie trouverait pertinent de développer un pôle physiologique au sein de l’établissement. Mais de tels projets sont difficiles à défendre, alors que la Cour des comptes met en avant des maternités déficitaires « de façon presque systématique », « dans une situation financière très précaire causée par des coûts élevés et en augmentation ».

Alors qu’elle réalise 800 accouchements par an, la maternité de Remiremont, dans les Vosges, pourrait ainsi disparaître, au profit d’un « projet médical commun » avec le centre hospitalier d’Épinal. En cause, notamment, « la situation financière dégradée des deux établissements (déficit cumulé de près de 20 millions d’euros) », détaille un communiqué de l’ARS. Une décision incompréhensible pour le docteur Jean Tisserand, gynécologue-obstétricien à Remiremont : « Nous sommes face à des enjeux financiers, qui ne sont pas des enjeux de santé publique locale. Si on ferme, plus de 500 patientes se retrouveront à plus de 30 minutes d’un service de maternité. Dans une région qui connaît une forte activité touristique l’hiver, avec des routes parfois bloquées, je pense qu’il y aura des accidents d’accouchements à domicile ou dans des moyens de transport », prévient-il.

L’éloignement des maternités, un danger avéré

Participer à la création de nouveaux déserts médicaux ne peut-il pas être aussi, voire plus risqué, que de maintenir des petites structures ? « Jusqu’à présent, on ne trouve pas de relation entre le nombre d’actes et la mise en danger. Par contre, il y a une vraie mise en danger à cause de la distance », estime Hélène Derrien, de la Coordination nationale. En 2013, une étude réalisée en Bourgogne analysait « l’impact du temps de trajet du domicile à la maternité la plus proche sur les indicateurs de périnatalité » [4]. Ses conclusions : « Pour des temps supérieurs à 45 minutes, les taux bruts de mortinatalité passent de 0,46% à 0,86% et ceux de la mortalité périnatale de 0,64% à 1,07% (…). Nos résultats montrent qu’en Bourgogne, la durée du trajet à la maternité la plus proche a un impact sur la santé périnatale. D’autres études sont nécessaires car s’ils se confirmaient, ces effets négatifs seraient à prendre en compte lors de toute évaluation des bénéfices, tant médicaux qu’économiques, attendus des restructurations et des fermetures des maternités. »

Aux yeux du président du Syngof, Bertrand de Rochambeau, ces risques ne seraient pourtant pas comparables : « Si vous savez que la maternité est à 1h30 de route, vous allez prendre des précautions et vous en approcher. On n’accouche rarement très vite. » Mais pour Tania, qui a finalement eu confirmation qu’elle pourrait accoucher à Die d’ici quelques semaines, après des mois d’angoisse, la question du coût pour les patients est éludée : « Aller à Valence représente un budget. Dans ce cas, l’État devrait nous rembourser les allers-retours et le logement ! »

Déménager pour accoucher

Sibylle, sage-femme libérale dans la Drôme depuis 1989, risque de perdre une partie de son activité si Die vient à fermer, puisqu’un accouchement à domicile nécessite la présence d’une maternité à moins de trente minutes en cas de complications. Mais elle a surtout peur pour les femmes : « Il y a beaucoup de Dioises qui n’accepteront pas d’aller à Valence. Je pense qu’il y aura des tentatives d’accoucher seules. » « Et parfois, les femmes ont simplement besoin de se rassurer. Or si la structure est trop loin, elles ne s’y rendront pas. Là, pour le coup, il y a un vrai danger », fait également remarquer Anaïs.

Sur le marché de Die, Tatiana, à cinq mois de grossesse, raconte son premier accouchement. Enceinte de jumeaux, elle ne pouvait être admise dans une maternité de type 1 : « Ils m’ont envoyée à Valence, où je suis restée alitée deux jours, ça a été l’horreur. J’ai finalement pu accoucher par césarienne à Chambéry, à vingt minutes de la maison de famille de mon compagnon. » Pour sa deuxième grossesse, elle a quitté son petit village de Saint-Nazaire-le-Désert pour le centre-ville de Die : « On est une petite troupe à être tombées enceintes pendant les fêtes de fin d’année et à vraiment compter sur la maternité de Die. Or, j’ai peur qu’ils m’envoient ailleurs car je fais partie des femmes à risques. Mais je ne veux pas aller à Valence, je veux attendre jusqu’au dernier moment pour accoucher à Die ». En cas de fermeture, elle envisage de déménager : « On est quand même venus habiter ici pour la maternité ! »

Ce samedi matin, un groupe de touristes s’arrête au stand du Collectif de défense de l’hôpital. Jessica, Sophie et Sylvaine souhaitent signer la pétition, déjà soutenue par 13 500 personnes. Elles aussi ont perdu leur maternité, celle de Fleurs, dans la Loire, et se préparent désormais à 45 minutes de trajet pour accoucher.

Rozenn Le Carboulec

Photo de une : CC sunny_w
Photos à Die : Rozenn Le Carboulec

Notes

[1Les décrets de 1998 prévoyaient que les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an et ne pouvant justifier d’une exception géographique pouvaient être reconverties en centre périnatal de proximité. Ces derniers assurent des consultations pré et post-natales, des cours de préparation à la naissance, de l’enseignement des soins aux nouveau-nés et des consultations de planification familiale, mais ne réalisent plus d’accouchements (source : Plan Périnatalité 2005-2007).

[2Les décrets Périnatalité de 1998 ont défini trois types de maternités, afin de garantir une meilleure adéquation entre le niveau de risque de la patiente et du nouveau-né, et le niveau de spécialisation des établissements d’accueil. Un établissement est dit de « type 1 » s’il possède un service d’obstétrique, de « type 2 » s’il a un service de néonatologie sur le même site que le service d’obstétrique, de « type 3 » s’il dispose, sur le même site que le service d’obstétrique, d’un service de réanimation néonatale et d’un service de néonatologie (source : Les établissements de santé, édition 2016, Dress).

[3Sur la fermeture de Figeac, lire ici.

[4Combier Evelyne (et al.), « Temps d’accès aux maternités Bourguignonnes et indicateurs de santé périnatale », Journal de gestion et d’économie médicales, vol. 31, n°6, 2013, pp. 348-368.