Accessibilité

La SNCF et Air France infligent un procès aux défenseurs des droits des personnes en situation de handicap

Accessibilité

par Rachel Knaebel

Seize activistes toulousains sont poursuivis en justice par la SNCF et Air France pour des actions visant à dénoncer le manque d’accessibilité des transports et des logements. La compagnie aérienne réclame plus de 40 000 euros de dédommagements.

Elles sont seize. Seize personnes en situation de handicap et leurs soutiens, actives au sein de l’association toulousaine Handi-Social. Ce mardi 23 mars, elles seront jugées au tribunal de Toulouse pour trois actions militantes qui visaient à dénoncer le manque d’accessibilité des transports et des logements aux personnes en situation de handicap.

Les faits reprochés remontent à 2018. Handi-Social organise alors une première action en septembre. Le collectif bloque l’entrée de la cimenterie Lafarge de Toulouse. Les militants réclament le retrait d’un article de la loi Elan (loi « sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », votée sous le gouvernement d’Édouard Philippe) qui affaiblit les normes en matière d’accessibilité des logements. Le texte diminue la proportion de logements devant être accessibles aux personnes en situation de handicap, en particulier pour celles en fauteuil roulant. Le groupe de BTP Lafarge est visé car la cimenterie approvisionne des entreprises membres de la Fédération française du bâtiment, et partie prenante du lobbying pour assouplir les normes d’accessibilité.

La deuxième action dénonce le manque d’accessibilités des transports. Le collectif bloque alors un TGV Toulouse-Paris, en octobre 2018. « C’était pour mettre en lumière les engagements non tenus de la SNCF pour faire des aménagement d’accessibilité dans la gare. Des engagements qui dataient de huit ans, explique Odile Maurin, présidente d’Handi-Social, par ailleurs conseillère municipale d’opposition à Toulouse. Elle est l’une des prévenues dans ce procès. Après cette action, la SNCF s’est engagée à faire des travaux, elle les a faits à moitié. » En décembre 2018, des membres d’Handi-Social pénètrent sur les pistes de l’aéroport Toulouse-Blagnac, « pour dénoncer la loi Elan et le manque de ressources » des personnes en situation de handicap, précise Odile Maurin.

Elles risquent jusqu’à cinq ans de prison et 18 000 euros d’amendes

Aujourd’hui, les seize personnes sont poursuivies pour « entrave à la circulation ». « C’est savoureux pour des personnes dont la circulation est entravée en permanence », pointe l’activiste, puisque la loi de 2005 sur l’accessibilité des transports et des bâtiments publics n’est toujours pas respectée. La SNCF a obtenu un délai supplémentaire pour rendre ses trains accessibles, jusqu’en 2024. À Paris, par exemple, seule la ligne 14 du métro est accessible. Rien n’est envisagé pour le reste du réseau.

« L’entrepreneur de la cimenterie qui a été bloquée n’a pas souhaité porté plainte. Il a compris que c’était un moyen d’expression. Ce n’est pas le cas d’Air France, de la SNCF, d’Airbus, ainsi que de l’aéroport, qui n’ont pas eu cette élégance », signale David Nabet-Martin, l’un des avocats des personnes jugées demain. Les prévenu.es risquent jusqu’à cinq ans ans de prison et 18 000 euros d’amendes. Par ailleurs, ces entreprises demandent des dédommagements : 2500 euros pour la SNCF, plus de 40 000 euros pour Air France. « C’est énorme, pointe l’avocat. Ce chiffre n’est pas justifié, il est gonflé. L’entreprise dit que des vols ont été annulés à cause de l’action, et demandent donc le dédommagement de tous les billets. » Déjà, les prévenus ont dû payer rune amende de 750 euros chacune pour cette action à l’aéroport, soit presque le montant de l’allocation adulte handicap (900 euros).

Le comble pour le procès à venir : l’accessibilité de l’audience n’est pas garantie pour les prévenu.es, selon leur avocat. « Le tribunal n’a fait aucune demande sur les aménagements nécessaires pour les personnes jugées qui sont en situation de handicap, pour les recevoir au tribunal de manière accessible, alors qu’ils sont très bien informés de la situation », dit-il. L’une des personnes poursuivies a par exemple des difficultés d’élocution, elle a besoin d’un interprète pour l’audience. En revanche, le tribunal « a été plus attentif à réaliser une enquête pour savoir comment condamner les personnes en situation du handicap, il a demandé une enquête du service pénitentiaire d’insertion et de probation », ajoute l’avocat.

« C’est vraiment le procès de l’accessibilité »

« Les activistes de la lutte en faveur des personnes en situation de handicap considèrent que ces poursuites constituent des “procédures baillons” destinées à les faire taire et à les empêcher d’exercer leur liberté d’expression, pourtant reconnue par la Constitution, garantie par la Cour de cassation et consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme », dénonce le collectif Handi-Social dans un communiqué. Pour David Nabet-Martin, « c’est vraiment le procès de l’accessibilité et des moyens nécessaires pour que cette cause soit entendue ».

Et c’est un procès de plus pour Odile Maurin, qui est déjà dans le viseur du procureur de Toulouse. Gilet jaune, l’élue locale a déjà été jugée en décembre 2019 pour des accusations de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique avec arme par destination », en l’occurrence son fauteuil roulant, lors d’une manifestation des Gilets jaunes toulousains en mars 2019. Elle s’était placée face au camion de police, dont le canon à eau aspergeait les manifestants, pour l’empêcher d’avancer. Un policier s’était emparé de la commande du fauteuil pour la faire partir, le fauteuil s’était retrouvé propulsé sur le véhicule de police (voir notre article). Odile Maurin a alors été condamnée à deux mois de prison avec sursis, un an d’interdiction de manifester et 2000 euros de dommages au policier. Elle a fait appel. En novembre 2020, l’infatigable activiste retourne à une manifestation en soutien au personnel hospitalier, et est de nouveau jugée en février dernier pour avoir enfreint son interdiction de manifester. Elle écope alors de 1500 euros d’amende, dont 1000 euros avec sursis.

Rachel Knaebel

 Le site d’Handi-Social.

Photos : © Handi-Social