Gabegie

Vallourec, subventionné par l’Etat, pour supprimer des emplois, délocaliser, et polluer

Gabegie

par Maxime Combes

Largement soutenue par l’argent public, la multinationale française Vallourec ferme encore des usines et supprime des milliers d’emplois, tout en délocalisant ses activités, sans que l’État n’y trouve à redire.

Vallourec était un fleuron de l’industrie française. Le leader mondial des tubes sans soudure, si prisés dans l’industrie pétro-gazière, en particulier au moment du boom des gaz de schiste aux États-Unis. Coté parmi les 40 plus grandes multinationales françaises entre 2006 et 2014 au sein du CAC40, le groupe enchaîne depuis les « restructurations » et les « plans de sauvegarde de l’emploi ». De douces litotes pour tenter de cacher des suppressions d’emplois par milliers. 23 709 salariés travaillaient pour Vallourec au 31 décembre 2014 (dans le monde). Ils n’étaient plus que 16 685 au 31 décembre 2021, dont un peu plus de 2000 en France. Soit 30% de moins en sept ans [1].

Cette saignée n’est pas prête de s’arrêter. A l’occasion de la présentation de ses résultats trimestriels, la direction de la multinationale vient en effet d’annoncer qu’elle allait à nouveau supprimer 2 950 postes dans le monde, dont 320 en France. Plusieurs sites vont définitivement fermer leurs portes, à commencer par des usines allemandes qui n’ont pas trouvé de repreneurs. C’est aussi le cas de celle de Saint-Saulve (Nord), près de Valenciennes, qui comptait 104 salariés. L’usine d’Aulnoye-Aymeries (Nord), le centre de services de Valenciennes et le siège de Meudon (Hauts-de-Seine) devront aussi réduire leurs effectifs.

Grâce au soutien public, Vallourec poursuit ses investissements à l’étranger, y transférant ses activités en France et en Europe

Les pouvoirs publics n’ont pourtant jamais cessé de financer massivement Vallourec avec de l’argent public et des aides à l’exportation. Ainsi, au chômage partiel pour payer les salariés pendant la pandémie, notamment par un accord d’activité partielle de longue durée (APLD), s’est ajouté un Prêt garanti par l’État (PGE) d’un montant de 262 millions d’euros. Sans oublier que la Banque publique d’investissement (Bpifrance), agissant pour le compte de l’État, contrôle encore 2,3 % du capital de Vallourec. Le tout sans que le gouvernement ne juge bon de conditionner ce soutien public au maintien de l’emploi, à de nouveaux investissements ou à de l’activité sur le territoire national.

Résultat, Vallourec poursuit ses investissements à l’étranger pour y implanter des activités jusqu’ici installées en France et en Europe. Interrogé par l’AFP, le délégué CFDT de l’usine de Saint-Saulve, Michaël Tison, déplore que « Vallourec ait eu de l’argent public » et réalise désormais ses « investissements au Brésil ou en Chine ». Depuis des années, et en dépit de toute cohérence avec les objectifs climatiques du pays, l’État soutient donc Vallourec de manière inconditionnelle. Le groupe s’entête d’un côté à refuser d’entreprendre une véritable reconversion industrielle de ses activités, et de l’autre à en fermer ou délocaliser une part toujours plus grande.

A peine l’annonce de Vallourec rendue publique, Bercy entérinait la fermeture de l’usine de Saint-Saulve en se limitant à demander que « les conséquences du plan sur les activités françaises soient minimisées ». Le gouvernement « exige » également « un maintien et un renforcement du pôle de forge, filetage, recherche et développement d’Aulnoye-Aymeries (Nord) » mais sans disposer d’aucun levier pour s’en assurer. Pas plus qu’il ne peut garantir que les aides publiques, versées sans conditionnement, seraient remboursées dans le cas contraire [2].

En plus de la gabegie d’argent public, la perte de contrôle d’un groupe pourtant soutenu à bout de bras

La Bpifrance n’est d’ailleurs plus l’actionnaire de référence qu’elle était avec 14,56 % du capital jusqu’à l’année passée. Très endetté, Vallourec a obtenu en 2021 l’accord de ses créanciers pour transformer une part de ses dettes (1,3 milliard d’euros) en une augmentation de capital. Le contrôle du groupe a ainsi été cédé à deux fonds d’investissement américains, Apollo et SVP global, qui sont devenus les deux plus importants actionnaires. A cette occasion, la Bpifrance et l’État ont perdu 500 millions d’euros. Voilà une véritable gabegie d’argent public en plus d’une perte de contrôle sur un groupe pourtant soutenu à bout de bras.

Le fonds de capital Investissement Apollo Global Management, numéro deux du secteur avec 500 milliards de dollars d’actifs sous gestion, derrière le mastodonte Blackstone, possède désormais 26,9% de Vallourec. Aura-t-il quelques considérations pour les « exigences » de Bercy ? Le fonds est connu en France pour avoir mis la main sur Verralia, filiale spécialisée dans l’emballage en verre, ou sur l’équipementier aéronautique Latécoère, et y encourager des suppressions d’emplois massives (lire notre reportage sur les salariés de Verallia qui tentent de protéger une industrie locale face à « la logique de la finance »).

A l’heure où Vallourec était redevenu bénéficiaire, avec 40 millions d’euros en 2021 pour un chiffre d’affaires de 3,44 milliards euros (en hausse de 6,1%), ces annonces de fermeture d’usines sont emblématiques des errances des pouvoirs publics : augmenter considérablement les aides publiques au secteur privé et refuser systématiquement de conditionner les aides publiques à des objectifs de maintien de l’emploi, de lutte contre le réchauffement climatique ou d’égalité femmes-hommes ont organisé l’impuissance des pouvoirs publics (voir notre dossier Allô Bercy).

De Michelin (1999) à Bridgestone (2020), en passant par Daewoo (2002), Continental (2009), Goodyear (2014), Delphi (2016), Whirlpool (2017), Ford (2019), pour ne citer que les exemple les plus connus, cela fait plus de deux décennies que les scandales de suppressions d’emplois par des entreprises sous perfusion d’argent public se multiplient. « Les aides publiques ne sont conditionnées ni à l’interdiction de licencier ni à l’obligation de rembourser des aides en cas de licenciement », affirmait un rapport parlementaire sur le sujet. Jusqu’à quand ?

Maxime Combes (avec Olivier Petitjean)
En photo : des salariés et syndicalistes de Vallourec devant le siège de la multinationale suite à des centaines de suppressions de postes à Aulnoye-Aymeries et à la tuberie de Saint-Saulve, en 2016 / CC Force ouvrière