Conflits

En Ukraine, le climat, l’écologie et l’environnement victimes collatérales de la guerre

Conflits

par Rachel Knaebel

Les activistes environnementaux ukrainiens tentent d’évaluer les conséquences environnementales du conflit. Que ce soit sur la ligne de front ou dans le reste du pays, les dommages sur la nature sont multiples.

« Une grande partie de la journée, ici à Kyiv, nous n’avons pas d’électricité. » Depuis février 2022 et le début de l’attaque russe contre l’Ukraine, il est devenu très compliqué pour la militante écologiste Natalia Gozak de travailler. Entre les combats, les bombardements, les morts, les infrastructures détruites, les jours sans chauffage ni électricité, l’écologie ne semble pas la priorité. Pourtant, l’environnement est une victime collatérale du conflit.

« Depuis le tout début de la guerre, nous collectons les données disponibles sur l’impact du conflit sur l’environnement. Les bombardements qui touchent des infrastructures industrielles et énergétiques peuvent par exemple conduire à des pollutions, de l’air et de l’eau et des sols, explique la directrice de l’organisation ukrainienne Ecoaction. Ensuite, il y a aussi les impacts sur les écosystèmes et les forêts », ajoute-t-elle.

Avant la guerre, le pays comptait 9,7 millions d’hectares de forêts. « Nous n’avons pas de données précises sur l’impact de la guerre sur les espaces naturels, car les combats sont toujours en cours. Il est difficile pour les scientifiques de se rendre sur ces zones et d’évaluer les dégâts », précise Yehor Hrynyk, membre du Groupe ukrainien de conservation de la nature. La même chose vaut pour les territoires qui ont été occupés par la Russie, puis libérés par l’armée ukrainienne. Sur ces zones, il y a encore des mines. Il est donc encore impossible d’y aller et d’établir précisément les dommages. »

L’organisation dispose toutefois de quelques chiffres. « Sur la ligne de front, au moins 200 000 hectares de forêts ont été touchés par des incendies, même si cela ne veut pas dire qu’ils ont été entièrement détruits », détaille l’expert en conservation des forêts.

« Toute l’attention est portée sur la guerre », l’environnement est oublié

Les deux militants environnementaux alertent aussi sur un autre phénomène : l’exploitation accrue des ressources naturelles. « Le gouvernement ukrainien veut aujourd’hui augmenter le volume de coupe de bois de 50 % par rapport à l’année dernière. Dès mars, il a simplifié la législation pour faciliter les coupes, en supprimant par exemple la saison d’interdiction des abattages d’arbres au printemps et en été, lors de la reproduction des animaux, regrette Yehor Hrynyk. Ça aussi, c’est une conséquence de l’invasion russe. Nous sommes en contact avec des douzaines d’ONG dans les pays voisins de l’Ukraine et elles nous soutiennent, mais c’est notre gouvernement qui prend les décisions. En ce moment, ce n’est pas facile d’avoir une influence sur ces décisions. Toute l’attention est portée sur la guerre. »

Natalia Gozak témoigne des mêmes difficultés. « Nous avons en Ukraine des organisations de défense de l’environnement dynamiques. Mais aujourd’hui, les gens sont dans l’armée, ont quitté le pays, ou se sont engagés dans le travail d’aide humanitaire. Les ONG ont perdu leurs financements, puisque les dons vont plutôt à l’aide militaire et humanitaire. Depuis février, nous avons de plus en plus de mal à avoir accès aux informations. Auparavant, nous pouvions consulter facilement des bases de données ouvertes, comme celle du cadastre pour connaître la propriété de tel ou tel terrain industriel, ou sur les coupes de bois. Aujourd’hui, ces bases de données sont fermées, et leur accès nous est refusé. La guerre a aussi stoppé le processus de renforcement de la protection de l’environnement qui avait suivi l’accord d’association de l’Ukraine avec l’Union européenne après 2014. Le focus est aujourd’hui sur la seule survie. »

Début décembre, une délégation d’activistes environnementaux ukrainiens, dont Natalia Gozak et Yehor Hrynyk, s’est rendue à Paris et Bruxelles pour défendre la prise en compte de l’environnement dans les discussions sur l’après-guerre, la reconstruction de l’Ukraine et le processus d’intégration à l’Union européenne (UE). « Il y a beaucoup de discussions sur le fait que la reconstruction devra être verte, mais il faut que cela se traduise dans les faits, insiste Yehor Hrynyk. Il faut des conditions environnementales associées au soutien financier apporté dans le cadre du programme "Rebuilt Ukraine" (Reconstruire l’Ukraine). »

« Des centrales solaires sur les toits apporteraient plus de résilience au système énergétique ukrainien »

Ce programme a été lancé en mai par la Commission européenne et le gouvernement ukrainien dans le but de financer la reconstruction du pays. Le processus de candidature à l’Union européenne, ouvert en juin, pourrait aussi apporter des améliorations, espère l’expert en protection des forêts. « Comme l’Ukraine est maintenant candidate à l’entrée dans l’UE, le pays devra adopter les législations européennes, notamment sur la biodiversité. L’une des obligations sur ce point est d’avoir 30 % du territoire classé en aires naturelles protégées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une extension des zones protégées permettrait de préserver les plus précieuses forêts d’Ukraine de l’exploitation. »

En termes énergétiques, le pays se concentre pour l’instant sur la fourniture d’un minimum d’électricité et de chauffage à la population en dépit des attaques sur les installations. « On parle surtout de réparer les infrastructures endommagées, mais la discussion de la transition énergétique aura lieu quand on discutera du futur, rapporte Natalie Gozak. Nous sommes le pays qui a survécu à l’accident nucléaire de Tchernobyl. Aujourd’hui, la zone de Tchernobyl a été occupée, la centrale nucléaire de Zaporijia l’est toujours. Le risque nucléaire est grand à nos yeux. Des sources d’énergie décentralisées, des centrales solaires sur les toits par exemple, apporteraient plus de résilience au système énergétique ukrainien. Pas seulement face au risque d’occupation, mais également en termes d’indépendance vis-à-vis des énergies fossiles. »

Rachel Knaebel

Photo : En Ukraine, en mars 2022. ©Louis Witter.