Santé

Un brin d’utopie médicale dans un monde malade

Santé

par Nolwenn Weiler

Depuis 30 ans, la revue « Pratiques, les cahiers de la médecine utopique » propose à ses lecteurs informations et réflexions sur l’univers de la médecine. Indépendante de l’industrie du médicament, elle interroge les soignants sur leurs pratiques et les politiques sur leurs choix de société en matière de santé. Rencontre avec Sylvie Cognard, médecin généraliste.

© Philippe Noisette / Basta!

« On peut connaître l’origine sociale d’un gamin en regardant ses dents, et son poids », rappelle Sylvie Cognard, médecin généraliste, et membre du comité de rédaction de la revue Pratiques, Les cahiers de la médecine utopique. « Les plus démunis ont tendance à avoir de mauvaises dents et à être en surpoids », précise-t-elle. Plus qu’une maladie génétique à soigner à coups de pilules, l’obésité serait donc le résultat d’une situation sociale. « La réflexion sur les origines d’une maladie, qu’elles soient sociales, environnementales ou psychologiques, c’est l’un des thèmes de travail de l’équipe de Pratiques », poursuit Sylvie Cognard.

Venus de différents horizons, les membres de l’équipe sont généralistes, infirmières, médecins de PMI, psychiatres, philosophe ou encore, kinés. Répartis un peu partout en France, ils sont tous bénévoles et assurent, chaque semaine, une conférence téléphonique pour mettre au point les sommaires de leur revue trimestrielle, créée en 1975. « Pratiques se veut être un lieu de débat sur les enjeux de la médecine dans la société. Elle explore les articulations et les paradoxes qui relient les notions de soin, de santé, de social et de politique  », expliquent ses fondateurs.

Laisser crever les pauvres ?

Fidèle depuis 30 ans à sa vocation de défense des plus démunis, la revue déplore que ceux-ci soient devenus « la cible d’attaques de plus en plus frontales  ». C’est d’ailleurs l’une des raisons de la colère de Sylvie Cognard : « On pourrait dire carrément qu’on choisit de les laisser crever, ce serait plus honnête que de faire passer, peu à peu, des lois qui les excluent du système de soins. » Laboratoire d’alternatives, la revue a publié en mai 2005 un « guide pratique contre les méfaits de la réforme de l’assurance maladie ». Dans son dernier numéro, le trimestriel s’interroge sur la notion d’enfermement qui sied tellement à notre époque. Sur son site Internet, on trouve, notamment, un dossier très instructif sur le coût de la vaccination contre la grippe A, assorti d’un édito qui frappe fort : « L’impéritie, l’incompétence, les voisinages dangereux avec certains acteurs privés du système de santé auront conduit ce gouvernement à dissiper, dans cette affaire, un montant égal à plusieurs fois le déficit annuel de l’ensemble des hôpitaux publics ».

Pratiques s’interroge aussi sur le paiement de ceux et celles qui délivrent des soins aux autres, préférant les alternatives au paiement à l’acte, « ce système qui fait que plus on travaille vite et mal, plus on gagne d’argent, ce qui est quand même tout à fait immoral !  », critique Sylvie Cognard. « Nous défendons plutôt le salariat au sein de maison de santé et de proximité. Ou le salariat d’État, comme en Angleterre. Ou bien le modèle de paie par capitation, c’est-à-dire en fonction du nombre de patient inscrits chez un médecin.  »

Une petite poche de résistance

« Dénouer les enjeux de pouvoir entre les différents métiers de la santé et en finir avec l’infantilisation des patients », est un autre enjeu soulevé par les Cahiers de la médecine utopique. « Nous tenons à rappeler qu’une personne malade est avant tout un sujet », souligne Sylvie Cognard. « Et qu’une consultation est, ou devrait être, un temps de partage.  » Dans le manifeste de la revue, écrit en décembre 2007 par Patrice Muller, membre fondateur décédé depuis, il est dit que « l’espace du soin est l’un des derniers lieux possibles de liberté et de subversion ».

Libérer et subvertir, les animateurs de Pratiques s’y appliquent. « Il y a des transgressions quotidiennes. Quand un soignant décide, par exemple, de ne pas faire de toilette forcée à un malade, en disant qu’on l’a faîte, pour contenter l’administration. » Ce qui pêche, selon elle, « c’est la dimension collective. Le collectif n’est pas écouté, il a donc un mal de chien à se constituer ! Les Cahiers, c’est comme une petite poche de résistance. On réfléchit, on propose, on se fait plaisir, on avance ».

Nolwenn Weiler