Médecine de proximité

Chronique épuisée d’un médecin déconsidéré

Médecine de proximité

par Dr C.

Diplômé de médecine générale depuis trois ans, le Dr C., 32 ans, a choisi d’être médecin remplaçant. Comprenez : corvéable presque à merci mais moins bien payé qu’un plombier. La vie qu’il mène les trois semaines par mois quand il remplace des confrères installés ne fait pas vraiment rêver. Récit.

Beaucoup des toubibs de 60 ans que je remplace sont sur les rotules. Ils pensaient pouvoir ralentir leur rythme en approchant de la retraite. Finalement, ils sont esclaves de leur boulot et de leurs patients. Ceux qui choisissent de lever le pied en passant de 60h à 45h par semaine, ou en voyant les patients 20 minutes plutôt que 10 mn, gagnent entre 3000 et 3500 euros par mois. Avec 10 ans d’études, les responsabilités et les contraintes, je trouve ça un peu limite.

Nous sommes en effet obligés d’être tout le temps disponibles. Si on nous appelle à 20h45, il est difficile de dire non. On se laisse peu à peu grignoter notre vie privée. Hier, par exemple, des patients ont fait le forcing pour être vus en urgence. Je saute donc mon déjeuner et reviens au cabinet pour voir le patient. En fait, ils n’avaient aucune urgence, mais un match de tennis l’après-midi qui les empêchait de venir plus tard...

Moins cher que le plombier

Je suis prêt à faire quelques sacrifices si la reconnaissance suit. Mais je ne suis pas prêt à continuer à faire des visites pour 32 euros : la durée moyenne d’une visite est de 30 minutes, soit le double de la durée moyenne d’une consultation, sans parler de l’inconfort matériel de la visite ou de la difficulté à l’intégrer dans l’emploi du temps. 32 euros, c’est exactement ce que demande un plombier, rien que pour le déplacement... Quels autres médecins spécialistes voient leurs patients à domicile ?

Je ne suis pas prêt à continuer à passer deux heures dans une maison de retraite pour voir quatre patients. Il faut 15 minutes pour trouver une infirmière, 10 minutes pour trouver le patient qui n’est pas dans sa chambre, 10 minutes pour le déshabiller et l’installer sur son lit avant de pouvoir l’examiner correctement, 5 minutes pour retrouver le dernier courrier du spécialiste qui n’est pas le dossier rose mais dans le dossier violet, et qui est rangé dans l’autre bâtiment parce que - vous comprenez - le dossier rose, normalement, c’est pour les infirmières.

De la maison de retraite à la garde à vue

Je répète le même jeu de piste pour le patient suivant mais n’ai pas le droit de compter une visite mais juste un consultation parce que - vous comprenez - vous êtes déjà dans la maison de retraite alors ce n’est pas vraiment une autre visite. Puis - vous comprenez - vous êtes généraliste donc c’est normal que vous vous déplaciez, et c’est normal aussi que vous ne soyez pas trop cher parce que - vous comprenez - nous avons souvent besoin de vous. Résultat des courses : 98 euros (la visite est comptée une fois, puis trois consultations, soit 32+22+22+22 euros). Je ne suis pas prêt à continuer à être le « bon » à tout faire, et compréhensif en plus, parce que le spécialiste m’a dit qu’il n’a pas le droit de faire le bon de transport ou de signer l’arrêt de travail.

Je ne suis pas prêt à continuer à me lever durant la nuit pour aller voir des gaillards en garde à vue afin de donner un avis d’expert judiciaire que je ne suis pas, et pour être éventuellement payé - si le RIB ne se perd pas entre le commissariat et le tribunal - la somme que vaut le larbin que je suis : 50 euros la garde en vue en pleine nuit ! Je n’ai pas pu résister à l’envie d’écrire au procureur pour lui faire part de mon indignation. Sa réponse ? Un formulaire type pré-rempli, avec une case cochée en face de la ligne « tarif réglementaire ». Il ne manquait que ces quelques mots : « tarif réglementaire pour les bonnes poires de généralistes qui se déplacent à n’importe quelle heure pour pas cher du tout. »

Téléopérateur de 6h à 20h

Je ne suis pas prêt à continuer à assurer la permanence téléphonique de 8h à 20h avec ce satané transfert d’appel qui ne me laisse aucun répit, ni sur la route, ni sur mes toilettes. Je n’ai plus envie d’être obligé de couper mon téléphone la nuit parce que le médecin que je remplace ne veut pas investir dans un répondeur. Je ne veux plus attendre 8h00 pour rallumer mon téléphone parce que les patients appellent déjà à 6h00 du mat pour prendre un RDV.

Je ne peux m’empêcher de comparer mes conditions à celles de mes confrères spécialistes ? Pour quoi suis-je le seul à bosser autant ? Pourquoi suis-je le seul à assurer une telle disponibilité auprès des patients ? Pourquoi suis-je le seul à faire autant de paperasses ? Pourquoi suis-je le seul à gagner si peu ?

Voilà, je souffre d’un manque de considération chronique.

Dr C.