Indignés africains

Jour d’émeutes à Dakar

Indignés africains

par Dorothée Thiénot

À la veille du 1er tour de l’élection présidentielle au Sénégal, la tension continue de monter. Si les leaders de l’opposition ont manifesté main dans la main le 21 février, ses candidats se présentent en ordre dispersé face au président sortant, Abdoulaye Wade. Les jeunes, eux, continuent de tomber sous les coups de la répression. Récit d’une journée de mobilisation.

Un après-midi désormais banal à Dakar. Les embouteillages dans toute la ville, jusqu’aux quartiers barricadés. La raison : une manifestation du « M23 », le mouvement du 23 juin, qui rassemble des opposants au Président Abdoulaye Wade. Les gens déplacent leur voiture et quittent les bureaux plus tôt. Routine. Debout sur une camionnette, Youssou N’Dour, accompagné de candidats à la présidentielle, se donnent l’accolade, répondent aux milliers de sourires qui leurs sont adressés. La musique est partout, des pancartes sont brandies, soit à la gloire de l’un des candidats d’opposition, soit à l’adresse du Président : « Ça suffit », « Wade t’es fini ». La joie des partisans, désormais certains qu’un second tour aura bien lieu – en dépit des sondages qui créditent le Président Wade de 53 % d’intentions de vote au premier tour – est palpable.

Encadré par des camions de police, le cortège avance lentement vers la place de l’Indépendance. Passe le morceau de Bob Marley, « Get up, stand up ». L’ambiance est bon enfant. Pas un jet de pierre à l’horizon, même si les journalistes se contredisent sur ce point : après tout, le quotidien Le Soleil, pro-Wade, et L’Observateur, propriété de Youssou N’Dour, n’ont pas les mêmes yeux (ceux de Basta! n’ont rien vu voler). « C’est la place Tahrir ! », disent certains. C’est en tout cas l’espoir d’un peuple, confiant. Où sont ceux du collectif Y’en a marre, le fer de lance de la contestation démocratique, initié par des rappeurs ? Ils préparent. Ils réfléchissent. Ils disent qu’ils arrivent, mais pas tout de suite. Ils ne souhaitent pas se frotter à un cortège de candidats. Ils ne veulent être à la solde de personne. Même entre eux, ils ne se disent pas pour qui ils voteront samedi : le combat est ailleurs.

« On va mourir aujourd’hui ! »

Le combat, c’est que le Président sortant renonce à sa candidature, et respecte ainsi la Constitution du pays, qui interdit un troisième mandat. Il l’avait promis, il a menti. Mais « les promesses ne valent que pour ceux qui y croient », a-t-il annoncé. On arrache les affiches à la gloire du « Sopi », le changement en wolof, promis par Wade. Les sonos continuent de cracher : « Stand up for your rights ». En tête de cortège, les manifestants dansent. Première grenade lacrymogène. Puis la pétarade. On tire dans le tas. Les gens crient et courent mais la police est partout. Chacun est désormais habitué, muni d’un masque ou d’un foulard. Il y a ceux qui courent, ceux qui tombent, et ceux qui choisissent de jeter des pierres. La foule s’éparpille dans la fumée, les premiers brasiers s’allument, les policiers tirent de plus belle. « On va mourir aujourd’hui ! », hurle un manifestant. « Vous êtes prêts à mourir aujourd’hui ? » Il se présente devant le camion de police, mains nues, défiant. Mais bientôt un camarade vient le mettre à l’abri.

Toutes les boutiques sont fermées, et les petites échoppes en bois, celles des commerçant de rue qui proposent savons, allumettes ou café touba, sont rangées tant bien que mal. Trop d’entre elles ont été incendiées. Un garçon veut mettre le feu à l’une d’entre elles, avant de se faire engueuler par un autre : « On est pacifistes. On est là pour demander à Wade de partir. » Les pierres et les « katsandaye » – « vas niquer ta mère » – fusent à l’adresse des policiers. Et puis il y a ce petit qui tombe. Il a 12 ans, il a pris une grenade lacrymo dans le bras, il est au sol et il hurle. Pendant ce temps, à la Patte d’oie, banlieue de Dakar, un étudiant a été tabassé à mort par les nervis du régime. C’est un soir comme un autre à Dakar, qui prépare sa revanche.

Dorothée Thiénot

Lire aussi notre précédent article sur le sujet : Le printemps sénégalais mettra-t-il fin à la dérive dynastique ?