Santé

Pesticides et cancers, le test interdit

Santé

par Nolwenn Weiler

Le biologiste Robert Bellé a mis au point un test capable de détecter les molécules cancérigènes dans les pesticides. Les pouvoirs publics lui ont répondu par un pesant silence.

Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

Fin de week-end dans le Nord-Finistère. Les derniers rayons du soleil lèchent ce paysage vallonné du bout du monde. Exceptionnellement, Robert Bellé n’a pas passé la journée enfermé dans son labo à étudier la complexe architecture des cellules. Responsable de la station biologique de Roscoff, ce chercheur passionné revient de Paris où il a tenu une conférence intitulée « Cancer et environnement ». Un sujet qui fâche au vu des sommes en jeu : la vente de pesticides, herbicides et autres fongicides représente un chiffre d’affaire de 1,7 milliard d’euros selon l’Union des industries de la protection des plantes (sic) qui regroupe les principales industries dites phytosanitaires.

Il y a six ans, dans le cadre de recherches sur les effets de certains pesticides sur la reproduction des oursins, financées par la Région Bretagne, l’équipe de Roscoff découvre, un peu par hasard, le caractère cancérigène de l’herbicide Round-up (1). Celui-ci est commercialisé par la firme Monsanto et autorisé sous condition par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). « Ce pesticide s’est révélé agir sur le cycle cellulaire même à des doses 500 à 2 500 fois inférieures à celles recommandées par le fabricant pour son usage en herbicide. Or, il est aujourd’hui admis que les cancers humains sont imputables, à leur origine, à un défaut de fonctionnement du cycle cellulaire, ce processus universel qui permet la duplication des cellules et le développement de tout organisme », explique le biologiste, qui n’a pas particulièrement la fibre écologiste.

Robert Bellé ne cache pas sa colère de constater que, malgré les preuves scientifiques des risques cancérigènes du Round-up, rien ne bouge, ni du côté des pouvoirs publics, ni dans la communauté scientifique. « On continue de trouver ce produit en vente libre dans toutes les jardineries, c’est incroyable ! » Les déconvenues du chercheur ne s’arrêtent pas là. Interloqué par cette découverte, il lance en 2002 un projet de recherche pour la mise en place d’un « test de criblage ». À partir du modèle de recherche établi pour le Round-up, ce test évalue le potentiel cancérigène de milliers de substances chimiques et combinaisons de substances entrant dans la composition des pesticides. Il sera cette fois possible de prévenir les causes de futurs cancers, pas seulement ceux liés au tabac ou à l’amiante.

Absence de financements

À Roscoff, équipe et matériel sont prêts. Un accord est signé avec une PME rennaise en vue d’une application technologique et commerciale immédiate du test en cas de succès. Restait à le financer. Pendant trois ans, les demandes de financements déposées à l’Agence nationale de la recherche sont rejetées. Incompétence ou discrète pression des lobbies ? « C’est dommage », soupire le chercheur. « Ce test permettrait de déterminer quels sont les produits à risque bien avant que les pathologies n’apparaissent. Et ce, quelle que soit la dose du produit testé. Pour le moment, un tel test n’existe pas. Le potentiel cancérigène des pesticides, s’il est avéré, est infiniment supérieur à celui de l’amiante pour la simple raison que l’ensemble de la population y est exposée et que les doses diffusées dans l’environnement depuis 50 ans sont très élevées ! » Robert Bellé n’a pas encore subi le même sort que Christian Vélot, maître de conférences en génétique moléculaire, directeur d’une équipe de recherche à l’Institut de génétique et microbiologie d’Orsay et personnellement hostile aux OGM. Fin septembre, lui et son équipe se sont fait supprimer leurs crédits.

La méthode expérimentale mise au point par la station de Roscoff correspond pourtant aux conclusions du Grenelle environnement : il est « impératif de développer des outils de prédiction et d’aide à la décision, en particulier sur les dangers et risques des substances chimiques », avaient déclaré fin novembre les participants du groupe santé et environnement. Nicolas Sarkozy n’envisageait-il pas, le 12 septembre dernier, une « indispensable » réduction de l’usage des pesticides ? Un souhait qui paraît difficilement compatible avec le soutien affiché pendant sa campagne électorale à « l’agriculture raisonnée », un concept joliment édulcoré soutenu par l’industrie des produits phytosanitaires. Côté européen, on multiplie aussi les recommandations sur une nécessaire maîtrise des molécules lâchées dans la nature. La commission environnement du parlement européen a adopté à l’automne un projet de règlement qui durcit les règles de mise sur le marché de nouveaux pesticides. Mais là aussi, les décisions concrètes se font attendre. Ce sera au conseil des ministres de trancher.

« Il n’y aura pas 36 solutions ! Si on veut faire de la prévention, il faudra réduire ou éliminer ces molécules, à moins que les bénéfices que la société en retire soient vraiment énormes », avance Robert Bellé. « Dans ce cas, il faudra utiliser ces molécules avec un maximum de précautions, qui sont d’ailleurs décrites par l’entreprise Monsanto elle-même en conseillant l’usage de gants et de masque avant de manipuler ses produits. Ceci dit, le problème restera entier. Car seul l’utilisateur sera alors protégé. » La recherche sur le cancer ne serait-elle plus une priorité nationale ?

Nolwenn Weiler

1. Le résultat des recherches est publié par le Journal de la société de biologie (vol. 201, n°3, 2007).