Expulsion

L’ombre des huissiers

Expulsion

par Claire

Claire, volontaire de l’association ATD Quart Monde, nous raconte son quotidien auprès des personnes en situation de pauvreté en France. Après la vie en caravane, voici le récit d’une expulsion : une famille jetée à la rue sans avoir eu le temps de boucler ses valises.

Photo : source

L’avis d’expulsion est arrivé. Cette fois, il n’y a plus grand-chose à espérer…

Cela fait deux ans que j’accompagne cette famille. Pas facile. Il a fallu beaucoup de temps pour que la confiance existe entre nous tous. Mais sur cette histoire je suis arrivée trop tard. J’avais espéré qu’au moins nous gagnerions un peu de temps pour éviter une catastrophe, anticiper ce qui arriverait de toute façon. Nous le savions tous les trois.

Et puis, il y a dix jours, Jocelyne m’a appelé : « L’huissier est passé, nous sommes expulsés. Il a dit que ce serait pour la fin du mois de juin. Qu’est-ce qu’on va faire ? »

Que faire ? Je n’en sais rien, par contre il faut préparer le départ, trier les affaires, penser au plus important, à l’indispensable, les papiers, les affaires des enfants, trouver un box pour conserver quelques meubles… C’est le chaos et la tempête dans la maison.

J’accompagne Jocelyne chez une assistante sociale, qui nous rassure : « L’expulsion n’aura pas lieu avant la fin du mois de juillet. Comptez à partir du 20 pour être sûre. » Jocelyne fond en larmes, rassurée… Cela laisse un peu de temps. Elle va pouvoir souffler et reprendre les choses un peu plus calmement.

Je l’encourage à continuer les cartons. À continuer seule puisque son mari, face à cette terrible réalité, a baissé les bras et fui loin de sa femme et de ses enfants... Je ne juge pas, je ne veux pas juger, pour l’instant il faut continuer à avancer, trier, donner, vendre, rassurer les enfants, et préparer l’audience de la semaine suivante au tribunal.

Mais mardi matin, le 5 juillet, Jocelyne m’appelle en catastrophe. « Claire, les huissiers sont là, ils nous mettent dehors… C’est fini. Claire, vite... »

C’est trop tard. Je suis de toute façon trop loin pour arriver à temps, et même si j’arrivais, je ne servirais à rien. C’est trop tard, Jocelyne et ses enfants sont dehors, la serrure est scellée, ils n’ont presque rien pu prendre. Ils n’étaient pas prêts, nous avons écouté cette assistante sociale qui, je suis certaine, était persuadée de ses paroles.

Je ne sais pas ce qui a fait se dérégler les choses. Je ne sais pas ce que nous aurions dû dire ou faire.

Mais, en tout cas, ce soir, Jocelyne et les enfants sont dehors, traumatisés par ce qu’ils viennent de vivre. Et moi, je vais avoir du mal à trouver le sommeil.

Claire, volontaire d’ATD Quart Monde

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