Menace invisible

Santé publique : le coût faramineux des perturbateurs endocriniens

Menace invisible

par Nolwenn Weiler

Obésité, infertilité, retard intellectuel, autisme, troubles de l’attention… : la liste des pathologies liées aux perturbateurs endocriniens est (de plus en plus ) longue. Et ces maladies, ou troubles chroniques, coûtent très cher : au moins 157 milliards d’euros par an (soit 1,2 % du PIB), rien que pour l’Union européenne. Publiée dans le « Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism », l’étude qui a débouché sur ces chiffres a été menée par 18 chercheurs européens et américains. Ils ont admis des marges d’incertitudes, et placent la fourchette haute de leur estimation à 270 milliards d’euros annuels, soit 2 % du PIB européen [1] !

Présents dans de nombreux pesticides et plastiques, dans certains cosmétiques et matériaux de conditionnement alimentaires, les perturbateurs endocriniens sont « des imposteurs hormonaux, qui imitent si bien la structure chimique des hormones naturelles que le corps n’y voit que du feu et les confond », détaillent Marine Jobert et François Veillerette, auteurs d’un récent ouvrage sur le sujet, Perturbateurs endocriniens, la menace invisible [2]. Une fois entrées dans les cellules du corps, ces substances synthétiques « troublent leur fonctionnement normal ». Et ce n’est pas la dose qui fait l’effet... Même d’infimes quantités de ces produits peuvent avoir des conséquences graves sur la santé, notamment en cas d’exposition in utero, le fœtus étant en plein développement et donc très vulnérable.

Des poisons encore autorisés

Pour les chercheurs qui ont mené cette étude sur le coût sanitaire des perturbateurs endocriniens, l’exposition prénatale aux organophosphorés a par exemple un impact redoutable sur le développement cérébral. 13 millions de retards mentaux pourraient leur être attribués chaque année ! « Pire encore, certains perturbateurs endocriniens peuvent provoquer des effets délétères qui ricochent d’une génération à la suivante, les effets sont dits "transgénérationnels" », insistent Marine Jobert et François Veillerette. Les auteurs citent le cas du distilbène, cette hormone de synthèse utiliser pour « soigner » la ménopause, puis pour lutter contre les fausses couches. « Ce sont les jeunes femmes dont les mères ont absorbé le "médicament" pendant la première moitié de leur grossesse, qui développent aujourd’hui plus de cancers du vagin que la moyenne. »

Ces poisons seront-ils interdits un jour ? Certains d’entre eux – bisphénol A et phtalates – ont fait l’objet de restrictions ou d’interdiction, mais la plupart des perturbateurs endocriniens que l’on connait sont encore autorisés. L’adoption d’un cadre règlementaire européen, qui pourrait conduire à l’interdiction de nombreux produits (pesticides, composés d’emballages alimentaires, composés de cosmétiques) ne cesse d’être repoussée. Elle a pour le moment été renvoyée à 2016. Il faut dire que les intérêts économiques sont énormes ! Les industriels veillent donc au grain. Les lobbies industriels « cherchent d’abord à empêcher toute nouvelle mesure ; puis, lorsqu’une nouvelle réglementation apparaît inévitable, ils s’efforcent d’en limiter la portée, en d’en retarder l’adoption », explique le député écologiste Jean-Louis Roumégas, auteur d’un rapport d’information sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens [3].

Une menace au quotidien

Ajoutons que, pour renoncer aux perturbateurs endocriniens, il faudrait revoir une bonne partie de nos comportements quotidiens et des objets qui nous entourent. Prenons le bisphénol A. « S’il se retrouve dans les urines de 95% de la population, c’est bien parce qu’il rend de fiers services », estiment Marine Jobert et François Veillerette. Les auteurs dressent une liste vertigineuse d’objets dans lesquels on retrouve ce composé miracle qui sert notamment à fabriquer le polycarbonate, un plastique très solide : ordinateurs, housses pour téléphones mobiles, récipients alimentaires pour le micro-ondes, vinyles, appareils électroménagers, adhésifs et joints, amalgames dentaires, encres d’imprimerie, jouets, lentilles de contact, billets d’avion, reçus de parkings, pneus, verres de lunettes... Éradiquer cette menace invisible prendra du temps. Et si on commençait rapidement ?

Notes

[1En juin 2014, l’alliance pour la santé et l’environnement (Heal) - une organisation non gouvernementale qui réunit une soixantaine d’associations de la société civile, des syndicats de soignants ou des mutuelles - avait évalué le coût de l’exposition de la population aux perturbateurs endocriniens à environ 4 milliards d’euros par an pour la France (31 milliards d’euros au niveau européen)

[2Publié aux éditions Buchet Chastel.

[3Citation extraite de l’ouvrage de Marine Jobert et François Veillerette, Perturbateurs endocriniens, la menace invisible.