France Travail

RSA : le flou règne toujours sur les 15 heures d’activité obligatoires

France Travail

par Emma Bougerol, Rachel Knaebel

À partir du 1er janvier, les deux millions d’allocataires du RSA seront soumis à au moins 15 heures d’activité obligatoires par semaine. Sur le terrain, personne ne sait encore quelles seront ces activités, qui va les contrôler et comment.

Le 1er janvier, Pôle emploi devient France Travail. Dans le même temps, les allocataires du RSA seront en principe soumis à 15 heures d’activité obligatoires par semaine pour pouvoir recevoir l’allocation, de 607 euros pour une personne seule. Conditionner le RSA à des heures d’activité était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022. La mesure a été définitivement adoptée à l’automne. La loi finalement votée mi-novembre prévoit même d’élargir cette obligation à tous les chômeurs, sous peine de sanction.

Que seront exactement ces « heures d’activité » ? Qui contrôlera qu’elles sont réalisées ? Tous les quelque deux millions d’allocataires du RSA y seront-ils soumis ? Qui pourra en être exempté ?

Pour l’instant, personne sur le terrain ne semble vraiment savoir comment cette mesure sera mise en œuvre. 19 départements expérimentent déjà un dispositif similaire depuis l’an dernier. Mais aucune évaluation globale de cette expérience n’a été rendue publique. Alors que la mesure doit être généralisée à tout le monde dans deux semaines, le flou règne toujours.

Une agente de la Caf nous dit n’avoir reçu aucune information sur les modalités de ces heures d’activité obligatoires. « On a reçu beaucoup de communication sur France Travail. On nous a fait voter sur le nouveau logo, le directeur de Pôle emploi a enregistré des vidéos pour nous vanter son successeur, mais on n’a aucune communication sur comment on va faire concrètement avec les heures d’activité », confie ainsi Daniel Mémain, agent à Pôle emploi et porte-parole de la section Solidaires en Occitanie. Lors d’une réunion de son service début décembre, « pendant une heure on nous a présenté France Travail avec un diaporama de 15 pages … Pas une seule référence aux 15 heures d’activités ! » ajoute-t-il.

15 heures minimum, pas de durée maximum

« On essaie de se renseigner et de réunir des infos, mais c’est assez flou ; même nos contacts syndiquées à Pôle emploi et au département ne savent pas trop comment ça va se traduire en pratique et quelles seront les marges de manœuvre », confirme Pierre, qui anime à Lille une permanence d’entraide entre allocataires de la Caf et de Pôle emploi. Dans cette incertitude, « l’aspect des 15 heures d’activité inquiète pas mal de personnes, nous y compris, note-t-il. Il y a aussi des gens qui pensent que ça va être complètement inapplicable. »

Sur le papier, la loi adoptée en novembre prévoit la mise en place d’un « plan d’action » pour les demandeurs d’emploi « précisant les objectifs d’insertion sociale et professionnelle et, en fonction de la situation du demandeur d’emploi, le niveau d’intensité de l’accompagnement requis auquel correspond une durée hebdomadaire d’activité du demandeur d’emploi d’au moins quinze heures ». Cette durée des 15 heures, c’est le minimum, ajoute le texte de loi. Mais elle « peut être minorée, sans pouvoir être nulle, pour des raisons liées à la situation individuelle de l’intéressé ».

Les personnes rencontrant des difficultés « en raison de leur état de santé, de leur handicap, de leur invalidité ou de leur situation de parent isolé sans solution de garde pour un enfant de moins de douze ans » pourraient ainsi échapper à ces 15 heures obligatoires. En revanche, le texte ne prévoit pas de limite maximum des heures d’activité. En théorie, on pourrait donc demander à un allocataire du RSA 20 heures, 30 heures, voire 40 heures d’activité hebdomadaire.

Formation ou bénévolat ?

En plus, le texte ne loi ne dit pas de quel type d’activité il s’agira exactement. Pour avoir une idée, il faut consulter le rapport de préfiguration de France Travail, rendu public au printemps [1]. Parmi les activités possibles, il mentionne : suivre une formation, préparer un CV, passer des entretiens d’embauche, démarcher des entreprises, être accompagné pour la création d’entreprise, ou effectuer une activité bénévole. Mais la loi, elle, ne donne aucune précision.

C’est l’un des points dénoncés par les députés Nupes dans leur recours déposé contre la loi au Conseil constitutionnel. « En ne précisant pas en quoi consiste exactement “l’activité” à réaliser dans le cadre du contrat d’engagement, ni son périmètre ni son contenu, le projet de loi ici contesté crée ainsi une obligation pour les demandeurs d’emploi, qui n’est pas clairement définie », défend le recours.

Les parlementaires de gauche contestent aussi l’absence de plafond maximum des heures d’activité : « Le projet de loi ici contesté n’ayant pas prévu de plafond maximal d’heures hebdomadaires d’activité à réaliser, des personnes inscrites à France Travail accompagnées dans le cadre d’un contrat d’engagement pourraient avoir à réaliser un nombre élevé d’heures, proche du régime de droit commun d’un salarié à plein temps ».

Risque d’un contrôle déshumanisé

« L’analyse syndicale qu’on porte sur ces heures d’activité, c’est que cela ne peut pas fonctionner d’un point de vue du service rendu aux usagers, abonde Daniel Mémain, de Sud. Ce ne sera pas réalisable de contrôler des millions de personnes sur les 15 heures d’activité. Donc cela va forcément être un système déshumanisé, automatisé, comme cela existe aujourd’hui pour les absences à des rendez-vous, pour lesquels le système déclenche automatiquement une procédure de sanctions sans intervention humaine. Pour les 15 heures d’activité, on pense que le système va être construit sur un contrôle a priori. Ce sont les personnes qui n’auront pas su ou ne pourront pas techniquement remplir leur journal de recherche d’emploi qui seront victimes des sanctions ou des suspensions. Le système va renforcer la déshumanisation de la relation. »

À Mulhouse, dans les bureaux de l’association Maison de la citoyenneté mondiale (membre du Mouvement national des chômeurs et précaires) qui vient en aide à des allocataires du RSA, Isabelle Maurer, elle-même allocataire, « refuse de rentrer dans ce nouveau dispositif ». Elle est pourtant déjà très active, comme bénévole, et ce depuis des années.

« Je suis bénévole depuis 1988. Et je n’ai pas attendu un député ou un sénateur pour savoir que pour toucher le RSA, il y a des obligations, dit-elle. Mais pour faire du bénévolat, il faut encore avoir les moyens de locomotion et une santé qui leur permet. » Elle se demande aussi « qui sera habilité à dire ce qui rentre dans ces heures d’activité », et si au sein de son association, « nous serons habilités à tamponner des attestations à des allocataires »

Activité ou travail ?

Dans son association, aucune info n’a circulé. « Le directeur territorial de Pôle emploi nous a dit qu’il contrôlerait en fonction de la situation de chacun. Mais nous craignons que ce soit bâclé », explique Serge Bertelli, actif au sein de l’association mulhousienne.

« Si pour ces heures d’activité, il s’agit d’apprendre à rédiger un CV, c’est vrai qu’il y a des besoins pour les gens les plus éloignés de l’emploi », constate le militant. Mais il rejette la perspective d’obliger les allocataires à faire du bénévolat. « C’est une activité libre. Le bénévolat obligatoire, c’est un non-sens », dénonce Serge Bertelli.

« Si le bénévolat est obligatoire, ça devient un travail. Alors, il faut un salaire, et des cotisations sociales, souligne Isabelle Maurer. Si l’objectif du projet est de vouloir aider les gens, c’est bien. Mais avec ce dispositif, on va tuer le Smic, critique-t-elle. J’incite plutôt les gens à réclamer un salaire, avec feuille de paie et charges sociales. » Comme la bénévole, les allocataires du RSA ne cotisent pas. Ils et elles ne cotiseront pas plus avec 15 heures, ou plus, d’activité obligatoire.

Rachel Knaebel et Emma Bougerol

Photo : ©Nicolas Lee/Encrage