Face aux crises mondiales

Le Forum social de la dernière chance ?

Face aux crises mondiales

par Ivan du Roy

La grande rencontre altermondialiste se déroule à Belém, aux portes de la plus vaste forêt du monde, l’Amazonie. Placé sous le signe de l’écologie, ce Forum social mondial saura-t-il aussi proposer des réponses aux graves crises économiques, sociales et alimentaires qui angoissent la planète ?

Dix années se sont écoulées depuis les grandes manifestations qui ont agité Seattle, aux Etats-Unis, perturbant une conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’était en 1999. Seattle a rendu visible une contestation mondiale et multiforme du système néo-libéral. L’insurrection zapatiste au Mexique ou les grandes grèves de l’hiver 1995 en France en avaient esquissé les prémices. Le mouvement « anti-mondialisation » (« no global » pour les anglo-saxons) puis « altermondialiste » était né. Dix années, c’est peu au regard des longues et profondes évolutions historiques pour tirer le bilan de ce qu’a apporté ce nébuleux mouvement. C’est beaucoup comparé au rythme effréné imposé par la société de communication et d’information, et par l’urgence de répondre aux crises qui agitent ce début de siècle. Celles qui sont déjà là – financière et sociale – comme celles qui menacent – écologiques et alimentaires. Ce nouveau forum social mondial (FSM), organisé à Belém au Brésil du 27 janvier au 1er février, où plus de 80.000 personnes sont attendues, intervient dans ce contexte bien particulier.

Nous sommes loin de l’engouement international qui avait accompagné les premiers forums. Ces FSM se voulaient le versant constructif des grandes mobilisations contestant le fondamentalisme néo-libéral, à l’occasion d’un G8 ou de négociations commerciales, et le pendant social du forum économique de Davos (Suisse). Désormais, l’espoir d’un « autre monde possible », bâti collectivement par des sans terre brésiliens, des écologistes européens, des paysans africains ou des syndicalistes sud-coréens, et capable de répondre localement et globalement aux ravages perpétrés par le capitalisme, s’est quelque peu émoussé.

Cet apparent « essoufflement » est d’autant plus dommageable que le mouvement altermondialiste et ses composantes nous alertent depuis dix ans sur les graves problèmes auxquels la planète, et chacun d’entre nous, sommes confrontés chaque jour plus brutalement. La toute puissance de la finance y est depuis longtemps décriée. Des mesures pour réduire les inégalités et mettre en œuvre des politiques socialement responsables (en matière d’éducation, de revenus, d’accès au logement…) y ont été à maintes reprises discutées. La nécessité d’assurer la souveraineté alimentaire de chaque pays et région du monde y a été martelée. Les menaces pesant sur le climat ou la biodiversité y sont décryptées, d’autant plus à Belém que l’Amazonie est toute proche.

La gauche en voie de stérilisation

Pourtant, dix années de réunions et de conférences n’ont toujours pas débouché sur une « feuille de route » à la fois collective et adaptable en fonction des réalités locales. Des réseaux « citoyens » se sont rencontrés ou renforcés, pour la gestion publique de l’eau, la défense des peuples autochtones ou la solidarité avec les migrants. L’efficacité de leur action reste à évaluer. Des journées mondiales, contre la guerre en Irak par exemple, ont été initiées, symbolique importante mais insuffisante. Mais de feuille de route pour un autre monde possible, point. Les propositions et expériences ne manquent pourtant pas. Mais elles restent quasi invisibles pour l’opinion publique mondiale. Elles n’ont pas réussi à alimenter des gauches en voie de « stérilisation électorale » [1], en Amérique latine ou en Europe. Inspireront-elles un Barack Obama acclamé par deux millions de personnes il y a quelques jours ?

Les Forums de Porto Alegre, au Brésil, avaient été placés sous le signe de la démocratie participative (concept brésilien exporté jusqu’en Poitou-Charentes de manière quelque peu dénaturé). Celui de Bombay en Inde, s’est tenu sous la bannière des dalits, les intouchables, et celui de Nairobi (Kenya) sous le signe des criantes inégalités mondiales. Le Forum de Belém, aux portes de la plus grande forêt du monde, symbolisera l’enjeu environnemental. La participation populaire brésilienne (associations de femmes, communautés rurales, peuples autochtones, ouvriers) y est dès à présent assurée. Espérons que ce forum contribuera à ouvrir une nouvelle période, faite d’imagination et de reconstruction.

Ivan du Roy

En photo : Assemblée d’habitants d’une réserve "extractiviste" (zone agricole et de forêt gérée et exploitée collectivement par plusieurs communautés et villages), sur les bord du Rio Tapajos, au cœur de l’Etat du Para (Crédit : Alain Noguès).

Notes

[1Le concept de « pasteurisation électorale de la gauche » au Brésil et en Amérique du Sud est utilisé par Frei Betto, théologien de la libération et ancien collaborateur du gouvernement Lula (Le Monde Diplomatique Brésil de décembre) pour dénoncer l’absence de réformes structurelles au Brésil et ailleurs en Amérique du Sud, continent largement dirigé par la gauche. En Europe, le stade de la pasteurisation est dépassé depuis quelques temps pour atteindre celui de la moisissure.