Israël-Palestine

À Gaza : « Il y a des déplacés partout dans les rues et pas d’approvisionnement »

Israël-Palestine

par Anne-Sophie Simpere

Au massacre perpétré par le Hamas en Israël le 7 octobre ont suivi des bombardements meurtriers sur Gaza. Les approvisionnements sont bloqués. La crise humanitaire est sans précédent alors que l’armée israélienne prépare une intervention au sol.

« Les corps arrivent par dizaines... Des blessés, des tués, des enfants en morceaux ! » De l’hôpital Shuhada’ Al-Aqsa au centre de Gaza, Akram, journaliste, filme les ambulances qui arrivent, les blessés et les familles qui recherchent leurs proches.

Depuis le 7 octobre, la situation dans l’enclave palestinienne est dramatique : plus de 8000 blessés et 2215 tués dont 724 enfants et des journalistes, des employés de l’Onu et des ambulanciers, selon les autorités sanitaires palestiniennes. Le 14 octobre, la Rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés comptait plus de 1900 Palestiniens tués, dont au moins 600 enfants.

Gaza subit un siège complet. Les stocks de médicaments s’effondrent, des immeubles d’habitation et infrastructures médicales sont touchées par les frappes aériennes… En six jours, l’armée israélienne affirme avoir largué près de 6000 bombes sur l’enclave d’environ 360 km². Il y a aussi des bombes au phosphore blanc a affirmé l’ONG Human Rights Watch.

« De longues files d’attente de voitures qui essaient d’aller vers le Sud »

Le 13 octobre, Israël a ordonné à plus d’un million de Gazaouis de fuir vers le sud. « Le préavis de 24 heures pour que les habitants du nord de Gaza quittent leurs terres, leurs maisons et leurs hôpitaux est scandaleux. Cela représente une attaque contre les soins médicaux et contre l’humanité », s’insurge Meinie Nicolai, directrice générale de Médecins sans frontières. L’UNRWA, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, annonce que ses abris ne sont plus sécurisés : « Une catastrophe humanitaire sans précédent est en train de se dérouler sous nos yeux », a alerté l’UNRWA lundi.

Gaza, le 14 octobre
De l’hôpital Shuhada’ Al-Aqsa au centre de Gaza, Akram, journaliste, filme ce samedi 14 octobre, les ambulances qui arrivent, les blessés et les familles qui recherchent leurs proches. À cette date, la Rapporteuse spéciale des Nations pour les territoires palestiniens occupés comptait plus de 1900 Palestiniens tués, dont au moins 600 enfants. Attention, des images d’enfants blessés peuvent heurter.
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« On voit des gens fuir, de longues files d’attente de voitures qui essaient d’aller vers le Sud, alors même que des convois ont été attaqués. Le Sud de Gaza doit gérer l’afflux de déplacés, il y a des gens partout dans les rues, pas d’approvisionnement. Ceux qui avaient des stocks essaient d’organiser des initiatives pour partager ce qu’il reste et accueillir les déplacés. Le tout sous des bombardements continus, dans tous les coins », témoigne le journaliste de Gaza Akram. Cette guerre est différente de toutes les autres : plus intense, avec beaucoup plus de destructions. On n’avait jamais vu ça. » Pour la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, « au nom de la légitime défense, Israël cherche à justifier ce qui pourrait relever du nettoyage ethnique »

À l’origine de l’opération militaire israélienne : les attaques elles aussi exceptionnelles du Hamas du 7 octobre dans le Nord d’Israël, contre les habitants de deux villages et un festival. Des combattants du Hamas se sont infiltrés en Israël et y ont massacré plus de 1200 de personnes, principalement des civils, dont des femmes et des enfants, et kidnappé près de 200 personnes (selon les chiffres communiqués par l’armée israélienne ce 16 octobre) retenues en otages à Gaza. Ces actes ont terrorisé les Israéliens et Israéliennes. Et choqué et interrogé le monde entier.

Côté palestinien, « l’ampleur de l’attaque du Hamas nous a surpris, dit Rula Shadeed, responsable de programme pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, une ONG palestinienne. Mais elle ajoute qu’elle n’est pas étonnée que « les gens en aient assez, qu’ils essaient de résister contre plus de 70 ans d’occupation, 17 ans de blocus, et la situation humanitaire dramatique à Gaza ».

Gaza, une enclave sous blocus depuis 2007

En 2012, un rapport des Nations Unies alertait que l’enclave, sous blocus depuis 2007, deviendrait invivable d’ici 2020. En 2017, une nouvelle évaluation onusienne observait que la dégradation était encore plus rapide que prévue. Outre l’épuisement des ressources et l’impossible développement économique sans liberté de mouvement, Gaza a traversé quatre guerres avec Israël depuis 2008 et des bombardements réguliers en réponse à des tirs de roquettes.

Le blocus entrave les reconstructions et fait reculer le développement de Gaza. Une génération d’enfants (la moitié de la population à Gaza), est exposée de manière répétée aux destructions et à la peur de mourir, souffre de traumatismes. « On ne sait même pas comment les gens réussissaient à vivre à Gaza. Dans ce sens, on n’est pas surpris. Car la situation était insupportable », insiste Rula Shadeed.

En Cisjordanie, les Palestiniens font quotidiennement face aux incursions de l’armée israélienne, à la violence des colons, aux destructions de leurs maisons et à l’accaparement de terres par une colonisation rampante. La situation se dégrade depuis deux ans.

151 civils palestiniens ont été tués par des colons ou des soldats israéliens en 2022. En septembre 2023, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) recensait plus de 180 morts palestiniens en Cisjordanie ou Israël tués par les forces israéliennes depuis début 2023. Le 18 janvier 2023, le Coordinateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient alertait le Conseil de sécurité de l’Onu : Israéliens et Palestiniens sont sur « une trajectoire de collision » qui éloigne les deux parties d’une solution pacifique. Pour mettre fin au dangereux cycle de violences, il appelle à mettre fin à l’occupation et à résoudre le conflit.

En Israël, l’extrême droite au pouvoir

Cet appel à la paix prenait place en début d’année dans un contexte de radicalisation des autorités israéliennes. En novembre 2022, Benjamin Netanyahou a formé le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays. Aux Finances se retrouve Bezalel Smotrich, suprémaciste juif ultraconservateur, homophobe, et défenseur de l’annexion de la Palestine. À la Sécurité intérieure, c’est Itamar Ben Gvir, disciple de Meir Kahane, rabbin et homme politique ouvertement opposé à la coexistence entre Juifs et Arabes, dont le parti avait fini par être interdit pour cause de terrorisme et de racisme.

Condamné lui-même à de multiples reprises pour incitation à la haine et pour soutien à une organisation terroriste, Ben Gvir a œuvré à dédiaboliser son image pour se faire élire (il a par exemple arrêté de manifester contre la gay pride). Depuis son entrée au gouvernement, il s’est rendu à deux reprises sur l’esplanade des mosquées, y compris avec des activistes dont l’objectif annoncé est de détruire la mosquée Al-Aqsa.

Un contexte éludé par certains pays, après l’onde de choc de l’attaque meurtrière du Hamas. Si des États comme l’Afrique du Sud, le Brésil, le Chili, la Colombie ou le Mexique condamnent fermement l’opération du mouvement islamiste, leurs communiqués rappellent aussi les droits des Palestiniens et la nécessité de négocier la paix. Côté États-Unis, seul le droit d’Israël à se défendre est invoqué. La France mentionne la nécessité d’éviter un embrasement régional, sans s’autoriser à parler de la situation palestinienne. « Quelles valeurs ces pays partagent-ils ? Celles des droits humains ou celles de la colonisation et de la domination ? », s’interroge Rula Shadeed. « Nous sommes très déçus par ces gouvernements, pas par les populations : nous voyons que les gens manifestent et ne restent pas silencieux », face aux bombardements que subissent les Gazaouis.

« J’ai l’impression qu’aujourd’hui, le “maître de la situation” est celui qui va agir pour mettre fin au statu quo. Car la vie des Palestiniens est devenue insoutenable, estime Rula Shaheed. Chaque Palestinien a une histoire de violation de ses droits. Les négociations n’ont mené à rien, au contraire, la situation s’est aggravée. Et les accords de normalisation avec les pays arabes ont fait que tous les Palestiniens se sont sentis mis de côté. Israël bénéficie d’une impunité pour ses actions illégales, tandis qu’en Palestine, toute résistance est criminalisée. C’est un contexte entier qu’on ne peut pas séparer de ces événements. » Depuis Gaza, Akram témoigne aussi d’une détermination des Gazaouis à faire changer les choses, quel que soit le prix à payer. « Même avec tous les morts, les blessés, les destructions massives, les gens veulent tenir : c’est un combat pour leur dignité », dit le journaliste.

Anne-Sophie Simpere

En photo : Vue de Gaza avant le 7 octobre / DR