#imagineLaGauche

Héloïse, sociologue : « Le grand défi pour la gauche, c’est de proposer une alternative qui donne envie »

#imagineLaGauche

par Ivan du Roy

Qu’est-ce qu’être de gauche selon vous ? Y a-t-il encore du sens à se dire de gauche ? Comment voit-on la gauche du futur ? Quelles sont ses valeurs, ses idées, ses projets, ses défis ? #imagineLaGauche, c’est la série lancée par Basta!, pour comprendre, reconstruire, rêver, renouveler, mettre en débat… Salariés, chômeurs, retraités, étudiants, paysans, militants associatifs, syndicalistes, artistes, chercheurs, jeunes et moins jeunes, témoignent. Aujourd’hui, Héloïse Nez, sociologue à Tours.

Avec le retour en force des inégalités sociales, des inégalités entre hommes et femmes qui se maintiennent, être de gauche fait plus que jamais sens. Même si le terme peut paraître galvaudé. Ses valeurs fondamentales sont d’abord la justice sociale et le combat contre toutes les formes d’inégalités : de richesses, entre hommes et femmes, les discriminations. Être de gauche, c’est faire preuve d’empathie, être capable de penser aux autres, de se mettre à leur place, de lutter pour ses droits comme pour ceux d’autrui. C’est considérer les inégalités comme inacceptables, pas seulement d’un point de vue théorique mais aussi émotionnel.

Cela ne passe pas forcément par une forme de militantisme, c’est aussi se sentir directement concerné par ces injustices. C’est être révolté face à une expulsion de logement, à un contrôle au faciès, à la répression d’un mouvement. Cela entre en contradiction avec celles ou ceux qui se mobilisent contre des droits accordés à d’autres, à l’exemple de la Manif pour tous contre les droits des couples homosexuels. C’est antinomique à la gauche.

Une défaite qui est d’abord idéologique

En France, la plus grande défaite de la gauche est d’avoir laissé les idées de la droite néolibérale et de l’extrême droite xénophobe s’imposer dans le débat public, contrairement à l’Espagne, par exemple, où la lutte contre les inégalités et la corruption sont au cœur des débats. La plupart des responsables politiques de gauche ne s’adressent plus aux classes populaires. Les employés et ouvriers constituent pourtant 50 % de la population française ! Ces responsables politiques sont dans l’incapacité de leur proposer une lecture de ce qui se passe autre que celle diffusée par l’extrême droite. La forte abstention, c’est la gauche qui l’a créée.

Le grand défi désormais est de proposer une alternative qui soit convaincante et donne envie. L’enjeu est de démonter la formule « il n’y a pas d’autre choix » (« there is no alternative ») très ancrée depuis les années Thatcher, montrer que l’on peut imaginer un autre système économique pour produire les richesses, que l’on peut penser un autre système démocratique pour prendre les décisions, que l’on peut construire une société juste et solidaire. Les gens sont profondément insatisfaits de la manière dont le système fonctionne. La critique de ce qui ne marche pas est claire, mais nous faisons face à une incapacité à imaginer comment nous pourrions faire autrement.

Construire un projet fédérateur, ouvert aux jeunes et aux femmes

Podemos en Espagne, et les coalitions populaires qui ont gagné les élections à Madrid et Barcelone, incarnent un certain renouvellement, non exempt de contradictions, mais qui démontre qu’une alternative est possible. Jusqu’à récemment, les expériences de gauche latino-américaines ont aussi servi de référence. Nous voyons aujourd’hui les limites de ces gouvernements, en Équateur et au Venezuela notamment, avec leur incapacité à renouveler les élites, leur penchant à la personnalisation du pouvoir et la présence de la corruption. Malgré cela, l’Amérique latine a joué un rôle important pour incarner la gauche et mener des expériences d’organisation par la base, avec les zapatistes au Mexique, ou des politiques publiques alternatives de réduction des inégalités, comme au Brésil ou en Bolivie. Dans ce pays, ce qui a profondément changé, c’est la manière dont les gens, en particulier les communautés indiennes majoritaires mais dominées, se perçoivent.

Aucune organisation n’a le monopole de la gauche. Cet idéal peut être porté par des citoyens, des mouvements sociaux et des partis politiques qui vont ensuite agir dans leurs différentes sphères. Il nous manque cependant une cohésion et un projet fédérateur. C’est la condition pour une gauche combative, confiante dans ses possibilités d’imaginer les choses autrement, fière de son passé, fière d’avoir réussi à ce que les gens se mettent ensemble pour gagner collectivement des droits, comme la réduction du temps de travail, les congés payés ou l’assurance maladie. Mais une gauche qui ne s’enferme pas dans une identité archaïque qui ne correspond plus aux aspirations. Une gauche qui donne bien plus de places aux jeunes et aux femmes, et qui rompe avec l’incarnation assez machiste du pouvoir.

Héloïse Nez, sociologue, Tours [1]

Recueilli par Ivan du Roy

Notes

[1Professeure à l’Université de Tours, auteure de Podemos, de l’indignation aux élections, Ed. Les Petits Matins.