Royaume-Uni

Gaz de schiste : comment David Cameron tente d’acheter le silence des élus et des écologistes

Royaume-Uni

par Olivier Petitjean

Après avoir mis en place « le régime fiscal le plus avantageux du monde » pour l’exploitation du gaz de schiste, le gouvernement conservateur britannique cherche à vaincre les résistances locales en achetant le consentement des élus et en étouffant les mouvements de résistance à la fracturation hydraulique. Total et GDF-Suez en profitent pour investir – modestement – dans des concessions au Royaume-Uni.

Le groupe français Total a confirmé avoir racheté 40% des parts d’un consortium détenant deux licences de prospection de gaz de schiste dans l’Est de l’Angleterre (Lincolnshire). Un investissement d’environ 35 millions d’euros qui devrait permettre de réaliser un forage exploratoire pour évaluer la viabilité technique et économique de l’extraction de gaz de schiste par fracturation hydraulique dans la zone.

Fiscalité très avantageuse

Soutenu par les lobbies énergétiques, notamment états-uniens, le gouvernement conservateur de David Cameron pèse de tout son poids pour favoriser le développement du gaz de schiste au Royaume-Uni et au niveau européen. Le gouvernement britannique veut également développer le gaz de schiste en Écosse, malgré l’opposition du gouvernement régional – tenu par les indépendantistes – qui a adopté une série de mesures restreignant les activités de prospection.

David Cameron a déjà accordé aux entreprises prospectrices des conditions fiscales très avantageuses, notamment une taxation à 30%, contre 62% pour le pétrole et le gaz de mer du Nord [1]. Le gouvernement britannique a également supprimé des régulations environnementales et d’aménagement du territoire : la fracturation hydraulique ne sera pas encadrée spécifiquement, la responsabilité financière des exploitants en cas de pollution est limitée, l’obligation d’informer les propriétaires fonciers sur les activités de prospection est suspendue. Il a aussi classifié pas moins de 60% du territoire britannique comme zone de prospection potentielle.

Du cash pour oublier l’écologie

Le Premier Ministre a annoncé le 13 janvier une nouvelle série de mesures destinées à encourager les collectivités locales et les habitants à faire bon accueil à l’exploitation de gaz de schiste. Les collectivités devraient ainsi recevoir 100% des taxes professionnelles issues de cette activité - contre 50% normalement, le reste allant au budget national. Une mesure que Greenpeace a qualifié de « pure et simple tentative de corruption des élus locaux » [2]. Les conseils locaux - qui subissent de plein fouet la cure d’austérité budgétaire imposée par le gouvernement conservateur - se voient désormais encouragés à « oublier » leurs responsabilités environnementales en échange de cash...

Selon le Guardian, David Cameron promet également que les fonds distribués localement par les firmes exploitantes - 100 000 livres sterling par puits (120 000 euros), plus 1% des revenus générés - seront gérés de manière transparente, et pourraient donner lieu à des paiements directs aux propriétaires fonciers. « Nous allons à fond sur le gaz de schiste », a-t-il déclaré.

Étouffer les mouvements de résistance

Autant d’annonces qui visent à étouffer dans l’œuf le mouvement de résistance au gaz de schiste dans les diverses zones de prospection. L’été dernier, les villageois de Balcombe, dans le Sussex – pourtant un bastion conservateur – avaient manifesté contre les activités exploratoires de la firme nord-américaine Cuadrilla [3]. Une autre mobilisation importante a lieu en ce moment même à Salford, dans la banlieue de Manchester.

Total est la première major pétrolière à investir dans le gaz de schiste au Royaume-Uni. Cela fait plusieurs mois que le groupe avait annoncé ses intentions et recherchait une concession. L’investissement de Total demeure très modeste : 35 millions d’euros, à comparer avec les plusieurs centaines de millions déboursées par la firme pétrolière Cuadrilla au Royaume-Uni, pionnière du gaz de schiste britannique, et qui n’a pas encore foré un seul puits ! Et également avec les deux milliards d’euros que Total injecte au total chaque année au Royaume-Uni, pour exploiter le pétrole et le gaz de la mer du Nord.

Les groupes français traversent La Manche

Le 22 octobre 2013, GDF Suez avait aussi annoncé un investissement similaire dans le bassin de Bowland dans l’Ouest du pays (Lancashire). Le groupe français a acquis, pour plus de 28 millions d’euros, 25% des concessions de Dart Energy, sur une zone de prospection de 1 378 kilomètres carrés. Les autorités britanniques espèrent que l’arrivée de ces majors françaises donnera un coup de fouet aux opérations de prospection de gaz non conventionnel dans le pays, alors que les quelques puits exploratoires installés par les firmes pétrolières sont la cible de manifestations et de blocage.

En raison du vieillissement de son parc de production et de l’obligation de fermer ses centrales au charbon trop polluantes, le Royaume-Uni est confronté au risque d’une pénurie d’électricité dans les prochaines décennies. D’où l’empressement du gouvernement conservateur à soutenir les méga-projets énergétiques des multinationales, quels que soient leur coût réel ou leurs risques environnementaux.

Qui profitera des gaz de schiste ?

Comme dans le domaine du nucléaire, où EDF et Areva ont bénéficié de conditions financières aussi avantageuses que contestées pour leur projet de nouveaux réacteurs EPR à Hinkley Point (lire ici), les entreprises françaises pourraient être les premières bénéficiaires des largesses du gouvernement britannique. Alors que l’Union européenne a lancé une enquête sur les aides publiques britanniques au nucléaire, certains eurodéputés en appellent désormais à une enquête similaire pour les aides au gaz de schiste. En tout état de cause, les velléités de passage en force de David Cameron pourraient bientôt se heurter aux régulations mises en place par l’Union.

Le gouvernement britannique prétend que l’exploitation du gaz de schiste permettra de faire baisser les tarifs de l’énergie dans le pays et de rendre l’industrie plus « compétitive ». Les chiffres qu’il avance en termes de contribution à la croissance et à la création d’emploi sont issus de rapports commandés par l’industrie, sans véritable contre-expertise. Et surtout, la plupart des experts s’accordent à penser qu’au contraire de ce qui s’est passé aux États-Unis, le gaz de schiste britannique, s’il est jamais exploité à grande échelle, ne contribuera pas à faire baisser les prix de l’énergie en Europe : les principaux bénéficiaires seront les entreprises exploitantes.

Olivier Petitjean

Photo : CC Prime Minister’s Office