Présidentielle 2022

« Ce quinquennat a raté #MeToo » : face aux violences faites aux femmes, beaucoup de com’ et peu d’actions

Présidentielle 2022

par Emma Bougerol

Beaucoup d’annonces, peu de mesures concrètes : les associations de lutte contre les violences faites aux femmes dressent un constat mitigé des cinq années de la présidence Macron. Pour elles, le « tournant #MeToo » n’a pas eu les conséquences politiques espérées.

L’égalité entre les femmes et les hommes était la « grande cause du quinquennat ». Ce sont les mots d’Emmanuel Macron, dans un discours du 25 novembre 2017, où il précise que « la première de cette priorité sera la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ».

Quel bilan du quinquennat ?
Pendant la campagne présidentielle, basta! vous propose une série de bilans du quinquennat sur des sujets très concrets.

Deux ans plus tard, en novembre 2019, le Premier ministre Édouard Philippe clôture le « Grenelle contre les violences conjugales ». Dans son discours, il annonce un budget de 360 millions d’euros, assorti de 46 mesures, consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes.

En 2021, des dizaines de milliers de femmes se rassemblent encore dans les grandes villes de France, à l’appel du collectif féministe #NousToutes, pour dénoncer la persistance de ces violences. « Lutte contre les violences sexistes et sexuelles : le grand échec du quinquennat », pouvait-on lire en tête du tract d’appel à la manifestation. « Des annonces ont été faites par Emmanuel Macron, mais les faits sont toujours aussi dramatiques », regrette Célia, du comité de pilotage de #NousToutes.

En 2021, l’association dénombrait publiquement 113 féminicides, soit une femme assassinée par son conjoint ou son ex tous les trois jours [1]. Un chiffre qui peine à diminuer depuis des années. « Encore plusieurs féminicides mettent en lumière des dysfonctionnements de la police et de la justice », témoigne la militante féministe. Le féminicide de Mérignac, au printemps dernier, est l’un de ceux-là. Chahinez Daoud, 31 ans, est assassinée en pleine rue par son ex-conjoint, pourtant suivi depuis sa sortie récente de prison. La jeune femme, avant sa mort, a partagé son inquiétude avec la police et même porté plainte. Le juge d’application des peines n’a pas été averti de la première plainte, alors que son ex-compagnon était encore en prison pour violences conjugales en récidive. Elle n’a pas été informée de sa sortie. Quant à la seconde plainte pour violences, « un sérieux doute » persistait sur la bonne prise en compte et communication du danger par les policiers, rapporte Le Monde.

« Malheureusement, il faut encore des drames médiatiques pour que les choses bougent »

« Le drame aurait pu être évité à plusieurs reprises », affirme l’avocate de Chahinez, à France 3 Nouvelle-Aquitaine. Deux semaines après le féminicide, le gouvernement annonce la mise en place d’un fichier des auteurs de violences intrafamiliales, une meilleure communication entre la justice et la police, plus de téléphones grand danger, et un contrôle accru des armes à feux. Plusieurs policiers sont sanctionnés. « Malheureusement, il faut encore des drames médiatiques pour que les choses bougent, regrette Emmanuelle Piet, présidente du Comité féministe contre le viol (CFCV). Ils auraient pu demander au terrain, aux associations. On savait depuis longtemps que toutes ces mesures étaient nécessaires. »

Du quinquennat d’Emmanuel Macron, Célia dresse un bilan « vraiment très maigre ». Le constat est partagé par d’autres associations. « On ne peut pas saupoudrer des petites mesures face à un phénomène d’une telle d’ampleur. » L’ampleur de ces violences se montre aux yeux de toutes et tous en octobre 2017. Avec le mouvement #MeToo, puis sa déclinaison française #BalanceTonPorc, des milliers de femmes racontent publiquement le harcèlement sexuel, les agressions, les viols qu’elles ont vécus. « #MeToo a permis aux femmes de prendre conscience qu’elles n’étaient pas seules, qu’elles n’avaient pas à avoir honte, à ne pas se sentir isolées et que l’auteur des faits devait être condamné », raconte My-Kim Yang-Paya, avocate et fondatrice de l’association Avocats Femmes Violences.

Les associations d’aide aux victimes et les commissariats et gendarmeries sont submergés de témoignages de femmes. Entre 2017 et 2020, le nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées par les forces de l’ordre est multiplié par cinq. Pourtant, les policiers ne sont toujours pas suffisamment bien formés à accueillir les victimes. « Aujourd’hui, quand on porte plainte, on ne sait pas comment on va être reçue, combien de temps ça va prendre, si ça va aboutir … C’est dissuasif », souffle l’avocate.

De maigres avancées face à l’ampleur des violences

Les violences faites aux femmes entrent durablement dans le débat public. Le collectif #NousToutes diffusee sur ses réseaux sociaux le nombre de féminicides au jour le jour, leurs décomptes sont vus, partagés et repris par de nombreuses personnes et dans les médias. Dans les rues, des collages féministes dénoncent sur les murs ce que des milliers de femmes subissent chaque jour : « Elle le quitte, il la tue », « Ma jupe n’est pas une invitation », « Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus »… Face à cette publicité grandissante, le gouvernement lance un « Grenelle contre les violences conjugales » le 3 septembre 2019. « Depuis des siècles, ces femmes sont ensevelies sous notre indifférence, notre déni, notre incurie, notre machisme séculaire, notre incapacité à regarder cette horreur en face. » Dans son discours, le ton du Premier ministre Édouard Philippe est grave. Mais les résultats de ces rencontres qui durent jusqu’à la fin du mois de novembre restent décevants.

« Je m’attendais à ce qu’on légifère vraiment après le Grenelle contre les violences conjugales, qu’on tire des conséquences des conclusions auxquelles on est arrivés », se rappelle l’avocate My-Kim Yang-Paya, qui a participé aux discussions. De ce moment, et du quinquennat en général, elle tire un constat amer : « Il manquait des choses, il y a des vides juridiques qui ont été comblés, mais il n’y a pas eu de grande réforme, malgré tout ce ramdam avec le Grenelle. » Dans son discours de clôture du Grenelle, le Premier ministre pointe des « dysfonctionnements majeurs » dans le parcours de prise en charge des victimes. « Pour les plaintes par exemple, il n’y a pas eu d’amélioration flagrante, constate la fondatrice d’Avocats Femmes Violences (lire notre enquête sur le sujet). Il faudrait un texte qui mette en place un protocole pour l’officier de police ou de gendarmerie, pour avoir un délai précis, des étapes claires pour la plaignante. Comme ça, s’il y a un dysfonctionnement, il y a la possibilité d’écrire au procureur ou d’appeler son avocat. Aussi, il faudrait créer un service spécialisé du Parquet qui puisse gérer ces questions. »

« Ce quinquennat a raté #MeToo », soutient Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT). Ce moment de prise de parole des femmes « était une courte-échelle incroyable, une ouverture notamment pour statuer en termes de financement sur ces questions ».

Où sont passés les 360 millions dédiés à la lutte contre les violences ?

« Il faut qu’on arrête de faire des politiques publiques avec des bouts de ficelle, se désespère la présidente de l’AVFT. Tous les grands collectifs et associations féministes demandent plus d’argent, non seulement pour eux, mais aussi pour les services publics. Une bonne partie d’entre eux veut bien faire, mais ne le peut pas. C’est par exemple le cas d’enquêtes de l’inspection du travail sur des affaires de harcèlement sexuel - ces dossiers sont compliqués, demandent du temps, et par conséquent des moyens. » La question du budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes est centrale. Pourtant, dans un rapport publié en 2020, le Sénat regrette la difficile lisibilité des crédits alloués et leur « fort morcellement » [2].

Les parlementaires déplorent de ne pouvoir identifier « où sont passés » les 360 millions d’euros promis lors du Grenelle, et concluent : « Il semblerait que la majeure partie de ce montant constitue des crédits déjà existants en 2019 ». Le rapport épingle également la communication gouvernementale trompeuse, qui « laisse souvent à penser, à tort, qu’il s’agit de crédits nouveaux ». C’est par exemple le cas du « fonds Catherine », mis en place en 2019 pour soutenir les initiatives locales de lutte contre les violences conjugales, mais constitué de crédits redéployés.« La mise en œuvre des mesures prévues dans ces fonds se fait donc au détriment d’autres actions initialement prévues, selon un jeu de vases communicants », regrettent les sénateurs.

Le burn-out des assos d’aide aux victimes

Pour les associations, l’argent reste le nerf de la guerre. À l’AVFT, les militantes attendaient désespérément une aide de l’État face à la vague de témoignages post #MeToo : « On n’a pas eu d’augmentation de subventions. Il n’y a pas non plus eu de soutien des administrations publiques qui ont un rôle à jouer dans la lutte contre les violences au travail. » Marilyn Baldeck évoque avec amertume la réaction du gouvernement quand, début 2018, l’association annonce fermer sa permanence téléphonique : « Nous étions toutes dans un état d’épuisement physique et mental tel que nous étions en incapacité de faire correctement notre travail. On a donc décidé de fermer, et de maintenir cette décision jusqu’à résorber l’afflux de demandes des trois derniers mois. »

Face à cette situation de détresse, le soutien du gouvernement n’est jamais arrivé. À l’antenne d’Europe 1, Marlène Schiappa a même reproché à l’association de ne pas respecter la convention passée avec l’État. « Il était de notoriété publique que l’on croulait sous les demandes », s’indigne la présidente de l’AVFT.

En 2018, le secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les hommes et les femmes met en place un appel à projet national et régional pour la « mise en œuvre d’actions concrètes et innovantes contre les violences sexistes et sexuelles au travail ». 100 000 euros sont sur la table. L’AVFT, seule association mobilisée sur ces questions nationalement, candidate … Mais elle se fait recaler au profit notamment du Medef [3]. « Le gouvernement a préféré donner de l’argent au Medef plutôt qu’à une association experte et référente dans ce domaine. C’est hallucinant », témoigne Marilyn Baldeck.

Une femme victime de violences sur deux sans hébergement

« Il n’y a jamais eu de décrue du nombre de saisies depuis #MeToo. Notre budget n’a pas augmenté. On continue de vider l’océan à la petite cuillère. » L’AVFT n’est pas la seule association avec ce sentiment. Dans leur rapport, les sénateurs constatent qu’un « nombre restreint d’associations a bénéficié d’une hausse de ses crédits ». Les places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences ont, elles, augmenté. Le gouvernement a annoncé créer 1 000 places supplémentaires en 2020, puis 1 000 autres en 2021.

Pourtant, ce n’est pas encore suffisant – ni dans la quantité, ni dans la qualité. La Fondation des femmes et la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF, en charge du n° 39 19) estiment, dans un rapport, qu’une femme sur deux qui demande un hébergement se retrouve sans solution [4]. Selon les estimations, il faudrait entre 20 000 et 30 000 places pour permettre aux femmes de sortir des violences. Il n’y en a aujourd’hui moins de 8 000. De plus, « le montant alloué par place spécialisée n’est pas suffisant pour couvrir des frais nécessaires : des vigiles, des assistantes sociales, des éducatrices et éducateurs … », constate Emmanuelle Piet. Une conclusion appuyée par le rapport sénatorial de 2020 : « Le coût moyen financé, par place, ne permet par une prise en charge spécifique des femmes. » Sur les 1 000 places créées en 2021, les montants alloués par place ne dépassaient pas les 40 euros. La présidente du CFCV estime qu’il en faudrait au moins 60.

Les femmes subissent aussi les dommages collatéraux de certaines réformes du quinquennat. Par exemple, le nouveau mode de calcul de l’assurance chômage les désavantage particulièrement. Depuis l’automne 2021, il prend en compte toutes les périodes non travaillées – y compris les moments d’inactivité, entre deux contrats. Or, les femmes représentent une grande majorité des contrats précaires. Selon un rapport d’Attac en 2020, « les femmes représentent 60 % des personnes en CDD, 70 % des vacataires, 83 % des temps partiel ». Avec ce nouveau mode de calcul, les femmes déjà précaires en emploi le sont aussi au chômage : le montant de leur indemnisation est inévitablement revu à la baisse. Or, la précarité économique ne favorise pas la dénonciation des violences. Au contraire. Elle met les femmes en position de grande vulnérabilité.

Quelques avancées légales ont tout de même eu lieu. Marilyn Baldeck se félicite d’un plan contre le harcèlement et les violences au travail dans la fonction publique : « C’est quelque chose que l’on réclamait depuis la création de l’association. On ne peut pas contraindre les entreprises privées à mettre de tels plans en place si l’État ne peut se l’appliquer à lui-même. »

La présidente de l’association Avocats Femmes Violences note elle aussi quelques avancées, notamment sur la prise en compte de la circonstance aggravante de violence sur conjointe ou partenaire, même si le couple ne cohabite pas. Du côté du Collectif féministe contre le viol, Emmanuelle Piet souligne la qualité de la plateforme en ligne de signalement des violences sexistes et sexuelles, mise en place en octobre 2018. « Ce tchat police est incroyable, les policiers qui y travaillent sont formés et à l’écoute. C’est la preuve qu’on sait faire. » Reste, selon elle, à étendre cette formation à d’autres policiers, au sein de brigades spécialisées qui pourraient prendre en charge ces questions correctement.

« On n’aurait rien obtenu si on n’avait rien revendiqué »

Le quinquennat a été symboliquement violent pour les féministes. À l’été 2020, le gouvernement change. Gérald Darmanin est nommé ministre de l’Intérieur alors qu’il était encore sous le coup d’une enquête pour viol, Éric Dupont-Moretti, pénaliste connu pour ses positions antiféministes [5], devient garde des Sceaux. « Ça a été une claque. » Emmanuelle Piet voit ces nominations comme faisant partie des « mauvais signaux » donnés par la présidence. « Le gouvernement a perdu beaucoup de crédibilité », juge-t-elle.

Parmi les autres « claques », elle rappelle la réaction d’Emmanuel Macron face aux accusations de viol de son ministre Nicolas Hulot (pour qui il avait affiché un soutien sans failles). La formule du président mentionne « une société de l’inquisition », alors que des femmes qui dénoncent publiquement les violences sexuelles commises par Nicolas Hulot ou PPDA ont dû se taire pendant des années.

À la veille de 2021, les associations féministes subissent un nouveau choc. Le numéro consacré aux violences faites aux femmes, et particulièrement aux violences conjugales, le 39 19, va être « mis en concurrence ». Le gouvernement veut lancer un appel d’offre pour reprendre la gestion de la ligne, historiquement gérée par la fédération d’associations spécialisées Solidarité Femmes. « Ça a été une vraie attaque du monde associatif féministe », raconte Emmanuelle Piet du CFCV. Ouvrir ce marché veut dire remettre en cause la place centrale des associations féministes spécialisées dans l’écoute, l’accompagnement et la prise en charge des victimes des violences. L’annonce a immédiatement suscité une levée de boucliers de ces dernières. « On s’est battues ensemble, et on a gagné. »

Sans le décompte public des féminicides, sans le mouvement #MeToo, sans les associations qui prennent en charge les victimes et interpellent publiquement le gouvernement sur son inaction, Emmanuelle Piet est catégorique : « On n’aurait rien obtenu. »

Emma Bougerol

Photo : © Guy Pichard

P.-S.

Infos utiles :
Violences Femmes Info : 39 19
Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger : 119
Viols Femmes Informations : 0 800 05 95 95

Notes

[1Femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon, souvent continuité dramatique de violences physiques et psychologiques au sein du couple.

[2Rapport d’information (2019-2020) de MM. Arnaud Bazin, sénateur du Val-d’Oise (LR) et Éric Bocquet (PCF), sénateur du Nord, rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »

[3Le communiqué de presse du secrétariat d’État précise « fusion des projets de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et du MEDEF ».

[4« Où est l’argent pour l’hébergement des femmes victimes de violences ? », publié en 2021.

[5Dans un entretien à QG, l’avocat avait notamment critiqué le mouvement #MeToo : « Le mouvement #MeToo a permis de libérer la parole et c’est très bien. Mais il y a aussi des "follasses" qui racontent des conneries et engagent l’honneur d’un mec qui ne peut pas se défendre car il est déjà crucifié sur les réseaux sociaux. »