Afrique

« Entre la guerre et le climat, c’est le changement climatique qui nous fait le plus mal »

Afrique

par Eros Sana

Collectivités locales et société civiles africaines s’organisent pour lutter contre le dérèglement climatique. 5000 maires, élus et militants associatifs se rencontrent en ce moment à Marrakech, au Maroc, pour le 8e sommet d’Africités.

« Entre la guerre et le climat, c’est le changement climatique qui nous fait le plus mal. La guerre, c’est réversible, on peut l’arrêter si on y met les moyens. Si nous n’agissons pas maintenant, le dérèglement climatique, lui, n’est pas réversible. » À 63 ans, Yaya Boré sait de quoi il parle. Il a été élu maire d’une agglomération rurale de 38 000 âmes, Dangol-Boré, dans le nord du Mali, une zone encore affectée par la guerre et l’insécurité, une zone qui subit aussi de plein fouet les effets du du dérèglement climatique.

Le maire de Dangol-Boré est également agriculteur. Les effets du changement climatique, il les constate chaque jour : « Année après année, les dates de début de la saison d’hivernage sont de plus en plus irrégulières. Cela a un impact direct sur les rythmes agricoles, qui sont bouleversées. À cela s’ajoute une séquence de pluies précoces et surabondantes qui entraine des inondations destructrices, qui emporte cultures et biens. À ces inondations succèdent des périodes de dures sècheresses qui impactent la production agricole, qui menacent les ressources pastorales et halieutiques », décrit-il.

« Jusqu’ici, les premières victimes du changement climatique n’avaient pas leur mot à dire »

Yaya Boré est l’un des 5000 participants du 8e sommet Africités, qui s’est ouvert le 20 novembre à Marrakech, accueillant des délégations venues de tout le continent, et au-delà. Le sommet rassemble des maires, des élus locaux, des représentants de la société civile. Loin des clichés véhiculés en Europe qui laissent penser que les Africaines et les Africains ne se prennent pas en charge, les délégués d’Africités y débattent de démocratie locale, d’expérimentations innovantes, de prise en charge des flux migratoires, d’égalité femmes-hommes et, bien sûr, de lutte contre le dérèglement climatique.

Dans une zone rurale où le taux de pauvreté concerne plus de 50 % de la population, Yaya Boré s’inquiète ainsi pour les populations déjà fragilisées, rendues encore plus vulnérables par les effets du dérèglement climatique : les petits paysans et éleveurs, les jeunes, les femmes. « Ces groupes souffrent encore plus de toute mauvaise décision en matière de climat. Nous devons agir maintenant, et agir localement. » À Dangol-Boré, ce sont les hommes, époux ou pères, qui contrôlent les ressources, comme le bétail et la terre. Avec les effets du changement climatique, il devient de plus en plus difficile pour eux de céder un lopin de terre aux femmes ou aux jeunes pour que ces derniers cultivent à leur tour leurs parcelles. Les menaces sur l’accès et la répartition des ressources naturelles se fait aussi sentir avec l’élevage ou la pêche.

« L’Afrique n’a pas d’autre choix que de se tourner vers la transition énergétique »

Le maire s’est déplacé au sommet d’Africités pour, justement, « recevoir des expériences d’autres collectivités et partager la nôtre. Car rien ne peut se faire sans les collectivités locales. Jusqu’ici, l’État et les grandes institutions accaparaient les fonds et la décision de leur mise en œuvre. Les premières victimes du changement climatique n’avaient pas leurs mots à dire. Grâce à nos partenaires des collectivités locales et des ONG régionales, nous avons commencé à changer ça ». Un « projet Décentralisation Fonds Climat » a ainsi été mis en place : « Il nous permet de ramener la décision au niveau local, tout en assurant des sources de financement à des projets locaux compatibles avec les enjeux climatiques », explique-t-il.

« L’Afrique n’a pas d’autre choix que de se tourner vers la transition énergétique. Cette transition passe par les villes », assène Jean-Pierre Elong Mbassi. Ce diplomate camerounais est le pilier d’Africités en tant que secrétaire général des Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLU Afrique). « Les engagements pris par les États à Paris lors de la COP 21, d’empêcher l’augmentation de la température au delà de 1,5 C°, ne pourront être atteints sans les villes et les collectivité locales. Or l’un des enjeux majeurs réside dans l’accès des villes aux fonds de financement de la transition énergétique. Nous mettons donc tout en œuvre pour permettre aux acteurs locaux de connaître les fonds existants et de pouvoir y accéder. Il y a urgence ! »

Eros Sana, à Marrakech

En Photo : Yaya Boré, maire de Dangol-Boré (Mali), agglomération rurale de 38 000 habitants / © Eros Sana