Droit au logement

Elsa, 13 ans : « Pour ne pas dormir dehors, nous refusons de partir de notre centre d’hébergement »

Droit au logement

par Collectif

Ils viennent du Kosovo, d’Albanie, d’Angola ou de Guinée. 72 personnes dont 41 enfants occupent depuis six mois un hébergement d’urgence, située dans une ancienne école à Annecy. Mais le 11 avril dernier, en fin de trêve hivernale, le préfet a demandé à ces familles de quitter l’école, ce qu’elles ont refusé. Elles occupent toujours leur hébergement d’urgence. Elsa, Vlora et d’autres, témoignent de leur quotidien, des difficultés administratives rencontrées pour leur demande d’asile, de leur attachement à l’école, de l’incertitude permanente.

« Je suis Elsa, j’ai 13 ans et je vis dans un refuge à Annecy depuis le 31 Octobre 2015.

Tout se passait très bien jusqu’à la décision de la fermeture du refuge suite à la fin de la trêve hivernale. Lundi, la préfecture a envoyé quelqu’un pour nous dire que nous devions partir. On nous a dit que dehors nous n’aurions pas le droit de dormir à la gare ou au parc, parce qu’on allait gâcher le paysage. Quand l’adjoint du préfet est venu, on lui a demandé de se mettre à notre place. Se verrait-il dormir dehors avec ses enfants ? Mais il revenait toujours aux dossiers. Et ça, ça m’a énervé. On ne peut pas laisser les enfants dormir dehors. Alors nous avons refusé de partir.

Cet hiver, l’association Gaia nous a permis de vivre au refuge. Tous les jours, nous devions quitter le refuge entre 8h30 à 17h00. La semaine nous allions à l’école et nos parents restaient dehors. C’était dur de se lever tous les jours à 6h30. Après l’école le soir, on mangeait, on faisait nos devoirs, on révisait. Après on avait un peu de temps libre pour jouer aux cartes, au ping-pong, au volleyball ou jouer dans la cour. Mais à 20h30, nous devions rentrer pour ne pas déranger les voisins. Des fois, il y avait des conflits entre les parents – souvent à cause des enfants qui faisaient des bêtises – mais dans l’ensemble, ça se passait très bien.

Nous sommes aussi devenus très proches des personnes qui s’occupaient du refuge, comme Maeva, Fernando, Félicie et Catherina. Lorsque le refuge a dû fermer, leur contrat s’est terminé. On a pleuré quand ils sont partis. Maintenant nous sommes enfermés à l’intérieur. Le seul point positif, c’est que nous pouvons enfin dormir le matin, on fait la grasse matinée !

Ici il y a des familles qui sont là depuis très longtemps. Moi et Elira, par exemple, cela fait maintenant 6 ans que nous avons quitté le Kosovo. Si nos familles avaient su comment cela allait se passer, nous ne serions pas restés en France. Mais maintenant, nous les enfants nous préfèrerions rester ici. Si nous retournions au Kosovo, nous ne pourrions pas continuer à étudier comme ici. On a une meilleure qualité de vie. L’école, ici, c’est très bien, on apprend plein de choses. Le soutien scolaire nous a aidées. Étudier est très important pour nous. Je voudrais devenir médecin et Elira, avocat. Je voudrais que tout s’arrange, qu’on trouve un appartement ou qu’on reste ici. »

« Je m’appelle Vlora, j’ai 13 ans, et je voudrais une vie confortable pour tous. Je viens du Kosovo.

Au Kosovo, les petits vont à l’école le matin et les grands l’après-midi. Au Kosovo, on t’arrache les dents avec une pince et sans piqûre. Je vis en France depuis 6 ans. Au début, c’était difficile d’apprendre le français et de suivre à l’école parce qu’on avait toujours des transferts de logement et je devais changer d’école en cours d’année. Là ça va mieux, depuis 2 ans je suis dans le même collège et c’est plus facile. J’ai 14/20 de moyenne.

J’ai eu quatre fois des papiers et un titre de séjour de six mois. Il y a cinq mois encore, nous étions dans un appartement et la préfecture avait demandé à mon père d’envoyer de l’argent pour payer la carte de séjour. Ce qu’il a fait une première fois. Mais ils lui ont dit qu’ils avaient perdu son dossier. Alors il a envoyé l’argent une seconde fois. En réponse, il a reçu une OQTF, une « Obligation de quitter le territoire français », parce qu’apparemment depuis 2013, nous n’existons plus… Ils nous ont demandé de retourner dans notre pays. Mais je ne me souviens plus très bien comment on parle kosovar, je parle mieux le français.

Lundi, il y a un monsieur qui a entendu parler du refuge qui fermait. Il a fait 15 km à vélo pour venir nous voir ! Il a dit qu’il avait un peu honte d’être français. »

« Je m’appelle Cyrille, j’habite à 15 km du refuge. J’avais besoin de m’aérer la tête alors je suis venu à vélo.

J’ai senti qu’il y avait beaucoup de choses à faire, comme créer du lien tout simplement. J’ai été marié à une Bulgare, je connais un peu la culture et quelques mots, ça aide. Les gens ont besoin de parler. C’est un peu une thérapie.

Aujourd’hui, je suis venu en voiture. J’ai apporté une télé pour les enfants et un lecteur de DVD. On m’a parlé de ce qui se passait ici : c’est une situation humanitaire triste pour 2016. Dans les Balkans, il y a une guerre fratricide entre Serbes et Kosovars. Depuis octobre 2015, la France les a mis dans la liste des pays sûrs, mais ce n’est pas la réalité, les gens ne peuvent toujours pas retourner dans leur village. C’est encore « œil pour œil, dent pour dent ». On sent le mal-être. Il ne faut pas traumatiser d’avantage les enfants.

Je ne comprends pas pourquoi on a tant de peine maintenant à régulariser ces personnes. C’était plus facile il y a 10 ans. Ici, apparemment, les autorités publiques n’ont pas fait de demande de FAMI (Fonds Asile migration intégration), l’aide européenne pour les réfugiés. Ce sont des aides sur 4 ans. Il n’y a pas de volonté. Il faut que ça bouge ! »

« Je suis père de famille. Je suis en France depuis 6 ans et voudrais un toit pour vivre avec mes enfants en France et être intégré.

Au refuge, nous sommes vingt familles, 72 personnes dont 41 enfants. La plupart d’entre nous sommes là depuis des années. Moi ça fait 6 ans. Certains sont arrivés il y a un an et demi du Kosovo quand la Hongrie a ouvert ses frontières. Mais il y a aussi des familles qui viennent d’Albanie, et même d’Angola ou de Guinée. Après plusieurs mois passés à vivre ensemble dans cette communauté, nous sommes aujourd’hui comme une grande famille.

Nous avons fait des demandes d’asile, on nous a laissé rester et au bout de 6 ans, on nous demande finalement de partir. Ça n’a pas de sens ! Si dès le début on nous avait dit qu’on ne pourrait pas rester, nous serions partis ailleurs. Pourquoi ils nous ont acceptés, s’ils ne veulent pas nous donner un toit ?

Mais nous avons eu l’espoir que les choses s’arrangent pour nous. Nous nous sommes intégrés. On essaie d’apprendre le français mais ce n’est pas facile parce qu’on ne nous laisse pas travailler. Nous avons eu des promesses d’embauche, mais la préfecture les a refusées. Pourtant nous sommes des travailleurs qualifiés. Ici au refuge, il y a plusieurs peintres par exemple, moi je suis carreleur. Les femmes seraient prêtes à garder les enfants, à faire le ménage, à s’occuper des personnes âgées…

Nous n’avons pas le droit de nous loger, pas le droit de travailler, on tourne en rond. Certains finissent par enfreindre la loi pour survivre, mais nous, on ne le fait pas, nous sommes irréprochables. Avec le stress, j’ai perdu beaucoup de poids, j’ai resserré ma ceinture de deux crans. On vit constamment dans l’incertitude, la valise prête au cas où… Cela fait plus de quatre ans pour moi que demain est incertain. »

Témoignages recueillis par l’association Un toit pour tous

Photos : © Emma Richmond

Pour apporter votre soutien à ces familles, vous pouvez contacter l’association Un toit pour tous à l’adresse untoitpourtous74(a)gmail.com ou via leur page facebook. Une pétition est en ligne demandant le droit au logement pour ces familles.