Roms

Une enfance française, du bidonville à l’école... quand l’État le permet

Roms

par Nadia Djabali

Un bidonville, sous un pont. Des enfants qui essayent, tant bien que mal, d’être des élèves « comme les autres ». Des parents qui galèrent pour inscrire leurs enfants à l’école, à la cantine. Bienvenue dans le monde de Petrica et de sa famille, roms de Roumanie, qui tentent de construire leur vie en France, malgré la précarité et la multiplication des évacuations forcées. Reportage.

Le bidonville est discret. Un alignement de bicoques de planches aux teintes délavées que de rares rideaux en dentelle tentent d’égayer, au Nord de Paris. Au-dessus des toitures déglinguées, un pont ferroviaire. Un flot continu de voitures circule à quelques mètres de là : le périphérique et la porte de la Chapelle sont tout proches. Des enfants discutent tranquillement malgré le vacarme des moteurs, renforcé par celui du passage des trains de banlieue, des Thalys et des Eurostar. C’est là que vivent une quarantaine de familles roms de Roumanie. C’est là que vit Petrica  [1] et sa famille.

Cet homme de 29 ans partage sa vie avec Doïna, avec qui il caresse l’idée de se marier. Le couple élève cinq enfants : David, 9 ans, des jolies jumelles de sept ans, Speranta et Narcisa-Elena. Et puis il y a Bianca, 5 ans, et enfin Arman venu au monde il y a treize mois à l’hôpital Lariboisière. « Aujourd’hui, j’habite sous le pont avec d’autres Roumains. C’est difficile pour les enfants. Mais maintenant nous devons rester parce que nos enfants vont à l’école » .

Pas de RIB, pas d’école

Scolariser ses enfants n’est pas une mince affaire quand on habite dans un bidonville. Cela se complique si les parents ne sont pas allés à l’école eux-mêmes. Rares, ici, sont les familles qui savent qu’elles ont le droit et même l’obligation de scolariser leurs enfants à partir de 6 ans. Petrica, lui, a étudié jusqu’à la 6e et souhaite que ses enfants aillent à l’école. « Pour qu’ils aient une vie meilleure », espère-t-il. Il se rend donc à la mairie pour y effectuer les démarches nécessaires : « J’y suis passé trois fois, mais on m’a répondu que comme je n’avais pas de domicile je ne pouvais pas ».

Difficile pour la plupart des Roumains de fournir un justificatif de domicile. Il faut présenter soit un relevé d’identité bancaire qui mentionne une adresse, soit un document fiscal. Or, ouvrir un compte à La Poste relève de la gageure. La pièce d’identité roumaine est la seule à ne pas y être acceptée, parce qu’elle ne comporte pas de signature. Les Roumains peuvent présenter un passeport mais la plupart d’entre eux quittent leur pays d’origine avec un passeport valable un an, bien moins onéreux que ceux valables cinq ans. Résultat, le document a très rapidement dépassé sa date de validité. Donc, pas de compte à La Poste, pas de RIB, pas de justificatif de domicile, et… pas d’école pour les enfants.

Effondré devant le refus de la mairie, Petrica se tourne vers « M. Thibaut » (c’est ainsi que Petrica l’appelle), un voisin qui remue ciel et terre pour aider la famille. Ce dernier s’est adressé à la section locale de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), déjà en pourparlers avec la municipalité pour faire valoir le droit à la scolarisation des enfants roms. Car la seule obligation légale qu’ont les familles est la vaccination. Une absence d’adresse n’est pas un critère légal de refus.

La mairie a fait circuler l’information à tout le personnel administratif et a ainsi mis de l’huile dans les rouages. Dix enfants ont pu être inscrits depuis la rentrée.

Des nuits à chasser les rats

David, Speranta, Narcisa-Elena et Bianca sont devenus écoliers un matin de novembre 2013. Pour fêter ça, M. Thibaut et sa femme ont offert cartables et fournitures : « Pour que les enfants aient l’impression de faire une rentrée comme tous les autres ». La LDH a donné son adresse pour faciliter les échanges de courrier entre école, mairie, caisse des écoles et la famille. « Les matins d’école, je réveille les enfants à 6 h et je chauffe de l’eau pour les laver, confie Petrica. L’eau, on la récupère à la station d’essence ou dans un square. Les restaus du cœur nous donnent du lait deux fois par semaine. Et moi, j’ai acheté du chocolat pour les enfants. »

Pour la cantine, le père de famille a fait une déclaration sur l’honneur de ses revenus. « Mais cela ne règle pas pour autant la question du paiement de la cantine, prévient M. Thibaut. Cette question ne fait que s’ajouter à la longue liste des problèmes quotidiens qui rendent urgent une prise en charge des habitants par une assistante sociale. »

Petrica veille à ce que ses enfants fassent leurs devoirs en sortant de l’école. Ce n’est pas simple, mais depuis quelques jours le bidonville a de la lumière. « Hier matin, j’ai croisé Doïna, elle avait une mine des mauvais jours, raconte M. Thibaut. Elle avait passé la nuit à chasser les rats pour qu’ils ne mordent pas ses enfants. L’une des petites filles qui va à l’école n’avait pas dormi non plus parce qu’elle était morte de trouille. »

A la piscine, pour la première fois

Les jumelles vont à la piscine avec leur classe. Elles n’y avaient jamais mis les pieds auparavant. Quant à David, il devra encore patienter, sa classe n’a pas de créneau cette année.

Petrica souhaite trouver un travail sur les marchés ou dans une société de nettoyage. Tant que les enfants n’étaient pas à l’école, c’était compliqué. Maintenant, il peut le faire. Depuis le 1er janvier, les Roumains n’ont plus de restrictions s’ils veulent travailler. Auparavant, ils pouvaient accéder seulement à une liste limitée d’emplois, avec des conditions d’embauche très dissuasives pour les employeurs [2].

M. Thibaut essaie de convaincre Doïna d’aller à « l’école des parents » pour apprendre à parler français. Mais elle est intimidée, n’ose pas y aller, et puis il y a le bébé… et elle doit aller chercher ses enfants…

Faire et défaire

Le bidonville risque d’être démantelé dans les prochains jours. Un autre bidonville s’installera certainement un peu plus loin. Durant l’année 2013, les évacuations forcées des Roms étrangers atteignent, selon la Ligue des droits de l’Homme, le nombre de 21 537. Ce qui représente plus de la totalité de la population rom habitant en bidonvilles ou en squats en France, évaluée à 16 949. Autrement dit, c’est comme si chaque Rom avait été déplacé de force au moins une fois dans l’année ! Des chiffres en augmentation par rapport à 2011 et 2012 [3].

« C’est complètement stérile, soupire M. Thibaut. Ces démantèlements ne font que déplacer les populations. Pire, elles les privent du peu qu’elles ont. » Lors de ces évacuations, les pouvoirs publics proposent des chambres d’hôtel pour quelques semaines aux familles. Mais ces hébergements sont la plupart du temps situés en lointaine banlieue. Et tout le travail pour scolariser des enfants est à refaire.

Nadia Djabali

Photo : © AI / Source : Amnesty international

 Mercredi 12 Février 2014, une petite fille est décédée, morte dans un incendie du bidonville dans lequel elle habitait, avec d’autres familles roms. Elle s’appelait Mélisa, elle avait 8 ans et était scolarisée à l’école Marie Curie à Bobigny. A lire ici.

Notes

[1Le nom de cette famille n’est pas mentionné par souci de discrétion.

[2Notamment des taxes supplémentaires qui pouvaient augmenter jusqu’à 50% du salaire brut pour un contrat supérieur à un an.

[3En 2013, « 165 évacuations perpétrées par les forces de l’ordre, concernant 19 380 personnes, et 22 évacuations suite à un incendie, affectant 2 157 personnes. Ces chiffres sont largement supérieurs à ceux recensés les années précédentes, puisque nous avions recensé 9 404 personnes évacuées de force par les autorités de leurs lieux de vie en 2012, et 8 455 en 2011 », précise le rapport commun European Roma Rights Centre (ERRC) et LDH, à lire ici.