Coopérative

Le chômage ou l’autogestion : quand des salariés décident de licencier leur patron

Coopérative

par Patrick Le Tréhondat

« En 2008, le patron a décidé de fermer notre entreprise de fenêtre à Goose Island (Illinois, États-Unis) et a mis à la porte tout le monde. En 2012, nous avons décidé d’acheter l’entreprise et de licencier le patron. Nous détenons ensemble l’usine et la dirigeons démocratiquement. Voila notre histoire… », peut-on lire sur le site internet de New Era Windows, une entreprise pas comme les autres. Récit d’une reprise en main, par les salariés, de leur outil de travail.

Fin 2008, la crise financière et bancaire fait de nombreuses victimes. Les 250 salariés de l’entreprise Republic Windows and Doors, qui produit des portes coulissantes et des fenêtres à Goose Island, près de Chicago, ont vu le ciel leur tomber sur la tête. Ils sont licenciés, du jour au lendemain, sans préavis et au mépris des lois sociales, sans indemnités ni paiement de leur salaire. À ce moment de la crise qui secoue le capitalisme mondialisé, on estime à 500 000 le nombre de licenciements mensuels qui frappent les salariés américains. La direction de l’entreprise prétexte que la Bank of America lui a coupé le robinet des crédits. Mais les salariés soupçonnent très vite une faillite organisée pour cacher une délocalisation.

Le 5 décembre 2008, le syndicat de l’entreprise, la section 1110 de l’United Electrical Workers décide très vite une occupation du site de production. Celle-ci dure six jours et attire l’attention des médias nationaux. Le président Obama, élu un mois plus tôt, déclare que les travailleurs de Republic Windows and Doors ont raison de se battre pour leurs droits. La machine démocrate se met alors en marche : le gouverneur de l’État de l’Illinois, dans lequel se situe l’entreprise, annonce l’interdiction de toute activité financière de l’État avec la Bank of America en raison de son abandon de la société. Mais un mois plus tard, cette même banque bénéficiera de 20 milliards de dollars de renflouement du gouvernement fédéral démocrate pour la sauver de la catastrophe financière (précédemment, Republic Windows and Doors avait touché 10 millions de dollars de subventions...).

Nouvelle fermeture, mêmes méthodes

De son côté, le procureur général Lisa Madigan lance une enquête, non aboutie à ce jour, sur les violations du droit du travail dans l’entreprise. Des rassemblements militants pour dénoncer la banque prédatrice ont lieu devant les agences de la Bank of America dans une douzaine de villes. Le 10 décembre, les salariés votent la fin de l’occupation : un accord a été conclu entre le syndicat, la direction de l’entreprise, Bank of America et la banque JPMorgan Chase, selon lequel chaque travailleur recevra huit semaines de salaires plus le paiement des congés payés et l’obtention d’une couverture maladie pendant deux mois. Sous la pression de la mobilisation, la Bank of America accepte également des délais de paiement, le temps que l’entreprise trouve un repreneur. Elle rétablit momentanément les lignes de crédits à Republic Windows and Doors.

Deux mois plus tard, un fabricant californien de fenêtres, Serious Materials (aujourd’hui Serious Energy) rachète l’entreprise pour 1,45 million de dollars et ré-ouvre le site avec pratiquement la même convention sociale pour les salariés. En avril 2009, le vice-président Joe Biden visite l’usine et rencontre la direction ainsi que les dirigeants syndicaux, se félicitant de cette issue. Parmi les investisseurs du projet de reprise figurent Mesirow Financial, une société de Chicago, qui a des liens étroits avec Rham Emmanuel (démocrate qui sera élu maire de Chicago en 2011) et qui apporte 15 millions de dollars à Serious Energy. L’avenir s’annonce radieux puisque des promesses de commandes de l’État fédéral ou de municipalités se multiplient… sans qu’aucune ne se soit matérialisée à ce jour.

En février 2012, la direction de Serious Energy annonce subitement la fermeture immédiate de la société et la vente du matériel de production. Cette décision inattendue emprunte les mêmes méthodes que quatre ans plus tôt. Le 23 février 2012, les travailleurs et leur section 1110 occupent de nouveau l’entreprise pendant onze heures. Immédiatement, un réseau de mouvements plante ses tentes autour de l’entreprise pour soutenir les travailleurs, dont les militants d’Occupy Chicago alors en plein développement.

« Si personne n’achète la société, nous pouvons créer une coopérative »

Sur les 250 salariés à l’origine, dont la plupart étaient employés depuis plusieurs dizaines d’années et à 80 % d’origine hispanique, Serious Energy n’en a conservé que 75. Et seuls 38 étaient encore employés à la fermeture de 2012. Dans ce rapport de force dégradé, le syndicat négocie le maintien de 90 jours d’emploi avant la fermeture du site.

En mai 2009, Armando Robles, président de la section syndicale, et Leah Fried, un salarié de l’entreprise, ont participé à une tournée de meetings dans le pays. Ils se sont notamment rendus dans les studios de GRITtv, une télévision progressiste sur internet, où ils ont participé à un débat avec Naomi Klein et Avi Lewis qui présentaient leur film The Take sur les entreprises récupérées et autogérées en Argentine. Ces derniers leur ont présenté The Working World, une association financière non lucrative de New York qui se consacre à financer le montage de coopératives, y compris en Amérique latine. Le contact est pris, les échanges sont nombreux et intenses entre les syndicalistes et l’association. Ils aboutiront trois ans plus tard.

Lorsque la seconde fermeture est annoncée, le syndicaliste Armando Robles déclare tranquillement : « Si personne n’achète la société, nous pouvons créer une coopérative ».

Organiser la coopérative, former les salariés à la gestion

Un droit de préemption sur les machines de l’entreprise est d’abord négocié. Serious Energy accepte de les céder. Le 30 mai 2012, 22 ex-salariés de Serious Energy se constituent en coopérative et offrent à Serious Energy de racheter la société pour 1,2 million de dollars. Ils décident l’égalité de salaire dans la future entreprise, qu’ils nomment New Era Windows (« Fenêtres Nouvelle ère »). Ils s’attribuent un droit de vote égal dans les prises de décision, et s’engagent à verser chacun et chacune 1 000 dollars au capital de la société. 500 000 dollars sont apportés par The Working World.

Avec l’aide du Center for Workplace Democracy, une association de soutien au mouvement coopératif basée à Chicago, une formation à la gestion d’entreprise est dispensée aux coopérants. Les travailleurs organisent le déménagement du site de production à Chicago, ce qui permet d’économiser d’importants frais de loyer. A terme, ce sont 80 salariés qui doivent rejoindre la coopérative. « Nous avons décidé de faire la coopérative parce que nous sommes fatigués que notre vie soit entre les mains de quelqu’un d’autre », explique Melvin "Ricky" Maclin, qui popularise dans différentes villes du pays le projet de New Era Windows et encourage d’autres travailleurs à faire de même.

« Nous avons décidé de licencier le patron »

Si la majorité des coopératives aux États-Unis sont des coopératives de consommateurs (92 %, selon l’université du Wisconsin), il existe actuellement 300 coopératives de production détenues par leurs salariés. Denis Kelleher du Center for Workplace Democracy se réjouit de la naissance de New Era Windows : « Chicago a une très riche histoire de coopératives ouvrières. Au 19e siècle, la plupart des organisations syndicales étaient engagées dans ce mouvement. Après la disparition des Knights of Labor (première organisation ouvrière américaine fondée en 1869), la plupart des coopératives succombèrent. Mais l’histoire revient. Aujourd’hui, il y a quelques coopératives à Chicago et nous voulons développer cette économie ».

Sur leur site internet, New Era Windows, les nouveaux coopérants reviennent sur leur histoire :

« En 2008, le patron a décidé de fermer notre entreprise de fenêtre à Goose Island (Illinois, États-Unis) et a mis à la porte tout le monde. En 2012, nous avons décidé d’acheter l’entreprise et de licencier le patron. Nous détenons ensemble l’usine et la dirigeons démocratiquement. Voila notre histoire... Aujourd’hui, nous avons monté cette coopérative ensemble et nous avons décidé de l’appeler New Era, car nous espérons que cela sera une source d’inspiration sur comment on peut créer du travail en Amérique. Chacun peut participer à la construction de l’économie que nous voulons et personne ne doit être traité en élément éphémère ou juste comme un matériau brut pour le business de quelqu’un d’autre.

Nous fabriquons les meilleures fenêtres de Chicago. Elles possèdent une excellente isolation au bruit et sont très efficaces d’un point de vue énergétique, ce qui montre que l’écologie peut permettre d’économiser de l’argent. Nos fenêtres sont les meilleures sur le marché, à un prix imbattable.

Nos ventes ont commencé en 2013. Nous participons au soutien de notre communauté, pour préserver la qualité des emplois en Amérique et renforcer notre économie. Soutenez-nous et jetez un coup d’œil sur nos fenêtres. Nous savons que vous les apprécierez et que vous recommanderez à vos amis. Si nous pouvons travailler ensemble, et nous prouvons que nous le pouvons, nous croyons fortement que l’avenir peut être bien meilleur. »

Patrick Le Tréhondat

Photo : Joel Cruz et Rafael Martines sur la ligne de production.

Cet article a été initialement publié sur le site Association Autogestion. Association Autogestion veut promouvoir la réflexion et l’éducation populaire sur la thématique de l’autogestion. Elle vise à mutualiser les expériences de façon critique sans les transformer en modèles normatifs, et à appuyer toute initiative s’inscrivant dans le sens d’un projet émancipateur.

Deux vidéos en anglais sur New Era Windows :

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