Capitalisme

Accord à la COP21 : même sur une planète morte, le commerce international devra se poursuivre sans entraves

Capitalisme

par Maxime Combes

Alors que la conférence sur le climat doit s’achever ce samedi, un nouveau brouillon d’accord a été rendu public le 10 décembre. Toute référence aux secteurs de l’aviation et du transport maritime, qui constituent presque 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, a disparu. Au même moment, l’Observatoire européen des entreprises révèle un document interne de la Commission européenne dans lequel elle promet d’éviter « toute mention explicite du commerce » dans le futur accord de Paris. En clair, les règles du commerce doivent prévaloir, même au prix de la planète.

Pas question de toucher au commerce même si la planète se réchauffe à grande vitesse. C’est ce que prévoit l’accord discuté entre les pays du monde entier au Bourget, au sein de la conférence sur le climat. Le commerce international doit continuer, même au prix de l’humanité. Plusieurs nouvelles preuves viennent d’être apportées le 10 décembre, lors de la publication d’un nouveau texte de négociation. Les ministres des 195 États sont en effet sur le point d’exempter les secteurs de l’aviation civile et du transport maritime de tout objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Soit l’équivalent des émissions de l’Allemagne (5 % des émissions mondiales) et de la Corée du Sud (3 %) ! Ennuyeux, alors que ces deux secteurs pourraient voir leurs émissions augmenter de 250 % d’ici à 2050. Et que François Hollande souhaitait « un accord universel », qui concerne l’ensemble des pays et des émissions de gaz à effet de serre (GES).

« Pas touche » à la globalisation des échanges et des déplacements

Ces deux secteurs n’ont jamais été couverts par des objectifs nationaux de réduction d’émission établis dans le cadre des négociations internationales. Motif ? Il est impossible d’attribuer à un pays en particulier des émissions de GES qui sont par définition internationales. Cela fait donc plusieurs années que des ONG réclament que des objectifs spécifiques soient assignés à ces deux secteurs. A force de conviction, elles avaient obtenu qu’un paragraphe engageant les États à « limiter ou réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des combustibles utilisés dans les transports aériens et maritimes internationaux  » soit ajouté. Charge à l’Organisation de l’aviation civile internationale et l’Organisation maritime internationale d’en préciser les modalités.

Voici ci-dessous l’ancienne version du texte concernant les émissions provenant des transports internationaux [1] :

L’engagement était limité. En plus d’être peu contraignant, il ne fixait aucun objectif précis et renvoyait les discussions dans d’autres instances internationales. Mais c’était sans doute encore trop pour certains États. Trop pour des pays comme la Chine et les États-Unis qui s’inquiètent d’une extension du marché européen du carbone – par ailleurs défaillant – à l’aviation. Trop également pour ceux qui, places fortes du commerce international comme Singapour, ne veulent pas voir leur poule aux œufs d’or encadrée par de nouvelles réglementations climatiques. Sous couvert de la simplification du texte opérée par Laurent Fabius, président de la négociation, ils ont donc préféré faire supprimer le paragraphe. Au sein de la COP21, c’est « pas touche » à la globalisation des échanges et des déplacements.

Préserver les sacro-saintes règles de l’OMC

Une autre victime est à déplorer. Le texte de négociation comprenait jusqu’ici une option exigeant des pays riches qu’ils fournissent des ressources pour que les droits de propriété intellectuelle (DPI), comme les brevets par exemple, ne constituent pas une entrave à l’accès aux technologies vertes. Objectif ? Que les pays qui en ont besoin puissent disposer des technologies et savoirs-faire les plus écologiques possibles, sans avoir à payer les très coûteux droits de propriété intellectuelle qui accompagnent désormais l’ensemble des innovations technologiques, qu’elles soient utiles et appropriées, ou pas. Cette exigence, portée de longue date par de nombreuses ONG et associations, ainsi que par des pays du Sud, n’a donc pas été maintenue par des États trop soucieux de préserver les sacro-saintes règles édictées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce et des traités bilatéraux.

Voici ci-dessous l’ancienne version du texte concernant les droits de propriété intellectuelle [2] :

La lutte contre le changement climatique ne doit pas entraver le commerce

Ce n’est pas une surprise. Un document interne de la Commission européenne vient d’être mis à jour par l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory. Il montre que la priorité est au commerce, et non au climat, puisque la Commission s’oppose à tout projet d’accord qui s’écarterait de l’orthodoxie libre-échangiste. Elle promet en particulier d’éviter « toute mention explicite du commerce » dans l’accord, de même que toute mention des questions de propriété intellectuelle. L’Union européenne a donc eu gain de cause.

Ci-dessus un extrait du document fuité, à retrouver en intégralité ici.

Cette tendance n’est malheureusement pas nouvelle. Le texte qui fonde les négociations sur le réchauffement climatique, la Convention-cadre sur le changement climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro, sacralise la libéralisation du commerce et de l’investissement. Il n’est pas question que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques [...] constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce », exprime clairement son article 3.5.

L’Union européenne et les États-membres de l’ONU ont clairement établi leurs priorités : les règles du commerce doivent prévaloir, même au prix de la planète. Comme le montrent les résultats des vingt-cinq ans de négociations passées, une telle approche atteint ses limites. Mais elle est toujours à l’œuvre au sein de la COP21. Jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard ?

Maxime Combes

Photos : une trentaine de militants ont effectué une action ‪#‎TradeClimate21‬ le 10 décembre 2015 devant les locaux du MEDEF, « prééminent lobby français anti-climat qui soutient la libéralisation du commerce du gaz de schiste, notamment via les accords de libre-échange transatlantiques ». Source