Pharma Papers

Lobbying et mégaprofits :
tout ce que les labos pharmaceutiques voudraient vous cacher.
Laboratoires pharmaceutiques,
lobbying et mégaprofits

Comment réduire le prix des médicaments sans rogner sur leur efficacité ni provoquer de pénurie

Les Pays-Bas expérimentent depuis dix ans un moyen de baisser les prix des médicaments : un seul par catégorie est sélectionné tous les six mois pour être remboursé. Résultat : les prix diminuent et les génériques sont privilégiés. Mais cette politique a pour effet secondaire de provoquer des pénuries chroniques, le marché étant délaissé par les géants de l’industrie pharmaceutique en quête de davantage de rentabilité. Un effet pervers qui peut cependant être corrigé. Enquête.

Impossible de se procurer une pilule contraceptive prise par 1,2 million de Hollandaises depuis des semaines. Ni dans cette pharmacie nichée entre deux maisons à pans de bois d’une rue commerçante d’Amsterdam, ni ailleurs. « Cela fait deux mois que je ne peux pas en fournir et il n’y a pas d’alternative pour cette pilule bien spécifique », regrette Matthias Calamia, étudiant en Master 1 de pharmacie à l’université d’Amsterdam, en stage dans cette officine du centre-ville. Même air navré quand un client passe avec son ordonnance lui demander un traitement capillaire. Derrière son comptoir, le stagiaire est bien embêté mais lui oppose un refus. La pénurie frappe d’autres pharmacies de la capitale néerlandaise. La France aussi est touchée par des carences ponctuelles de médicaments : le Sénat y a même consacré un rapport rendu le 2 octobre. Mais en Hollande, c’est encore plus fréquent et cela concerne surtout les traitements les moins chers.

La loi du marché

Aux Pays-Bas, le secteur du médicament fait pleinement jouer « la main invisible du marché ». Depuis dix ans, tous les six mois, des appels d’offre sont lancés pour les médicaments dont les brevets ont expiré. Ces médicaments peuvent donc être recopiés et fabriqués à l’identique par d’autres laboratoires, puis commercialisés sous forme de génériques. Le fabricant qui propose le tarif le moins élevé gagne le droit de voir son produit être l’heureux élu au remboursement par les assureurs. Et il sera le seul dans sa catégorie, pour six mois. Résultat : les rayons des pharmacies sont bien moins fournis que les nôtres. Le bon côté ? Depuis dix ans, les prix des médicaments ont diminué de 15 %. Surtout, le royaume des cyclistes est aussi celui des génériques. Ils trustent 71 % des parts de marché du médicament (en volume) alors qu’en France, la vente de générique atteint tout juste 30 % – loin de la moyenne européenne, à 52 %, selon l’OCDE.

« Le royaume des cyclistes est aussi celui des génériques. »

Pourtant le prix des génériques est 40 % moins élevé que celui des médicaments d’origine (appelés « princeps »), alors que la substance active est exactement la même. En Hollande, les génériques sont bien entrés dans les mœurs. Les grandes entreprises pharmaceutiques semblent moins influentes : les ordonnances des médecins ne sont pas orientées par leur puissant lobbying mais simplement dictées par le médicament gagnant l’appel d’offre, qui sera remboursé. D’ailleurs, la culture des comprimés y est bien moins prégnante que dans l’Hexagone: alors qu’une consultation chez un médecin néerlandais aboutit à une prescription de médicament dans quatre cas sur dix, en France, c’est dans neuf cas sur dix ! Un Hollandais en consomme chaque année en moyenne 22 boîtes, contre 48 pour un Français, soit près d’une par semaine ! Résultat, le budget dédié aux médicaments constitue seulement 7,6 % des dépenses de santé aux Pays-Bas, contre presque le double, 13,9 %, en France, selon l’OCDE.

Ruptures de stock à répétition

La comparaison entre l’un des meilleurs élèves, les Pays-Bas, et l’un des moins bons de l’Europe, la France, a intéressé les inspecteurs généraux des affaires sociales (Igas), qui ont rendu un rapport en 2012 à ce sujet. Ils y soulignent aussi le revers de la médaille du modèle néerlandais. « Les prix sont fixés à des niveaux très bas ce qui conduit les industriels à pratiquer la politique du « zero stock » ;
 les fabricants non sélectionnés se sont retirés du marché et ne sont pas en mesure de combler rapidement les problèmes de livraisons de produits manquants », constatent ses auteurs. La qualité des remèdes est hautement contrôlée pour éviter que les prix soient cassés aux dépens de la qualité pour gagner l’appel d’offre. Reste qu’environ sept génériques sur dix sont produits en Asie, selon les estimations de la la Dutch Pharmaceutical Accountability Foundation (1). « La moindre erreur entraîne une suspension de l’usine en entier, qui met du temps à redémarrer. D’où les ruptures d’approvisionnement pendant des semaines parfois », regrette Wilbert Bannenberg, le président de la fondation. Voilà pourquoi la pénurie de certains médicaments devient chronique.

Le manque d’adaptation des fabricants en cause

Ces pénuries concernent essentiellement les médicaments bon marché, qui ne sont pas ceux qui intéressent le plus les géants de la pharmacie. « Ils préfèrent se concentrer sur les traitements coûteux, notamment contre le cancer, rappelle Jaume Vidal, dans les bureaux de Health action international à Amsterdam. Ceux-là sont disponibles mais restent excessivement chers. » Comme en France, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent (lire notre article). Le problème, selon lui, c’est que « la marge n’est pas assez importante aux yeux des laboratoires. Ils se désintéressent des remèdes les moins rentables et le gouvernement ne leur met pas la pression pour qu’ils les fournissent quoi qu’il arrive, notamment en cas de rupture de stock du générique remboursé. » Ce manque d’« adaptation des fabricants aux conditions du marché » est pointé par le rapport de l’Igas.

« Ces pénuries concernent essentiellement les médicaments bon marché, qui ne sont pas ceux qui intéressent le plus les géants de la pharmacie. »

Des solutions aux solutions

Cet effet pervers du système alternatif hollandais pourrait être corrigé, en s’inspirant par exemple de l’Afrique du Sud. Wilbert Bannenberg y a travaillé pendant huit ans. « Le fabricant qui propose le générique le moins cher est choisi puis les autorités publiques proposent aux deux autres concurrents de s’aligner sur son prix, ce qu’ils acceptent généralement pour gagner en échange le droit d’être eux-aussi remboursés », témoigne-t-il. Ainsi, l’avantage est conservé : les prix diminuent et cela évite les soucis de pénuries puisque plus d’un médicament par catégorie est alors remboursé.

Autre effet secondaire du modèle néerlandais : les patients, en particulier les personnes âgées, sont parfois déboussolés par ces changements réguliers de fabricants, et donc d’emballages, deux fois par an. Cela peut entraîner des erreurs dans les prises de traitements. Pire, « les malades ont parfois l’impression que leur remède a changé et le pensent moins efficace. Il est possible que cela diminue leur confiance dans les médicaments », déplore la docteure Carla Hollak, dans son cabinet de consultation de l’Amsterdam Medical Center. D’où l’importance du travail pédagogique des soignants et pharmaciens. De quoi inspirer le système de santé français ?

NOTES

  • (1) Selon un rapport du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques de 2017 cité par le Sénat, « 35 % des matières premières utilisées dans la fabrication des médicaments en France provenaient de trois pays : l’Inde, la Chine et les États-Unis ».