Lutte sociale

« Si on bloque tous les secteurs, ça va les faire bouger » : sur les piquets de grève, l’espoir de la victoire

Lutte sociale

par Anne Paq

En marge des grandes manifestations intersyndicales, la vie d’une lutte sociale est constituée d’une multitude de rencontres où se forge un élan commun : piquets de grève, moments festifs, occupations, AG… Récit en images et témoignages.

Caisses et piquets de grèves, marches aux flambeaux, rassemblements festifs, occupations dans les universités, blocages des lycées, rencontres et assemblées générales dans les facs, manifestations « sauvages »… Le mouvement social est trop souvent résumé dans les médias aux grandes manifestations intersyndicales. Il donne pourtant lieu à un bouillonnement social et politique, avec des revendications qui vont au-delà de la question des retraites.

Sur le piquet de grève du dépôt RATP de Pantin (Seine-Saint-Denis), les prises de parole se succèdent devant le camion. Des enseignants, des militants politiques de mouvements de gauche, des étudiants sont venus en solidarité. « Sur les piquets de grève, on cherche à fédérer, à avoir des discussions. Il faut aussi qu’on soit vu par les collègues, pour préparer le 7 mars », explique Riadh Benmessaoud, 58 ans, agent de maintenance à la RATP depuis 25 ans. « Il n’y a que l’économie qui peut leur mettre la pression. Si pendant une semaine, on bloque dans tous les secteurs, alors ça va les faire bouger. »

« J'ai déjà mal au dos, aux cervicales. Si je me bats, c'est avant tout pour mes trois enfants, et pour mes collègues. Pour les nouveaux qui arrivent, ce serait 64 ans ! Notre métier est dur. Ils seront inaptes. Ils vont faire quoi, alors ? », dit Myriam Sainte-Marie, 38 ans, machiniste à la RATP, en grève contre la réforme des retraites..
Myriam, machiniste à la RATP
« J’ai déjà mal au dos, aux cervicales. Si je me bats, c’est avant tout pour mes trois enfants, et pour mes collègues. Pour les nouveaux qui arrivent, ce serait 64 ans ! Notre métier est dur. Ils seront inaptes. Ils vont faire quoi, alors ? » dit Myriam Sainte-Marie, 38 ans, machiniste à la RATP.
©Anne Paq

« Je suis touchée personnellement par la réforme. J’ai signé pour partir à 50 ans, puis c’est passé à 52 ans et maintenant ce serait 54 pour nous », confie Myriam Sainte-Marie, 38 ans, machiniste au dépôt RATP de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et déléguée CGT. Elle bénéficie encore du régime particulier à la RATP, qui prend en compte la pénibilité de certains métiers, et permet par exemple aux conducteurs et conductrices de prendre leur retraite à 52 ans. « J’ai déjà mal au dos, aux cervicales. Si je me bats, c’est avant tout pour mes trois enfants, et pour mes collègues. Pour les nouveaux qui arrivent, ce serait 64 ans ! Notre métier est dur. Ils seront inaptes. Ils vont faire quoi, alors ? »

Si elle garde espoir, Myriam ne cache pas les difficultés à mobiliser dans son dépôt : « Nous avons essentiellement des jeunes, avec un statut précaire. Ils ont peur de ne pas être embauchés au bout d’un an s’ils se mettent en grève. En plus, il y a la prime de présentéisme. Avec la journée de grève, les personnes vont perdre la prime, qui est de l’ordre de 150 à 200 euros. C’est énorme et cela rebute de nombreuses personnes. Mais on continue de discuter : il y a les piquets et les permanences syndicales pour essayer de convaincre. »

« Il n'y a que l'économie qui peut leur mettre la pression. Si pendant une semaine, on bloque dans tous les secteurs, alors ça va les faire bouger », pense Riadh Benmessaoud, 58 ans, agent de maintenance à la RATP depuis 25 ans, qui tient un piquet de grève au dépôt des Flandres..
Piquets de grève
« Il n’y a que l’économie qui peut leur mettre la pression. Si, pendant une semaine, on bloque dans tous les secteurs, alors ça va les faire bouger », pense Riadh Benmessaoud, 58 ans, agent de maintenance à la RATP depuis 25 ans.
©Anne Paq

Dans une mobilisation longue, les caisses de grève sont le nerf de la guerre : elles permettent à davantage de salariées de se mettre en grève, et d’être aidées financièrement si besoin. Les initiatives se multiplient pour alimenter ces caisses : projections de films, cantines solidaires, fêtes... Elles se remplissent aussi lors des grandes manifestations. « Est-ce qu’on va se contenter d’une journée ? Non, il faut aller dans le dur ! Tout le monde attend le 7, c’est un espoir », pense Riadh. « C’est bien d’être dans la rue, mais ça ne suffit pas. Le gouvernement ne nous écoute pas », confie aussi Myriam.

Les caisses de grèves sont aussi vitales dans le secteur privé où les taux de participation aux grèves sont généralement en dessous de celui du secteur public. Aïcha [1] travaille dans une entreprise de sous-traitance en nettoyage (Arc-en-ciel Environnement). Elle est agente d’entretien sur le campus de Jussieu.

Et mène sa troisième grève contre le sous-traitant : retards dans le paiement des salaires, licenciements abusifs, heures supplémentaires impayées, mauvaises conditions de travail figurent parmi les raisons qui ont incité les salariées à se mettre en grève. « Si nous avons tenu, c’est grâce aux soutiens des syndicats, et aux personnes qui ont alimenté les caisses de grève. »

Elle entend aussi participer à la journée d’action du 7 mars : « Bien sûr, je participe ! Notre métier est trop dur. J’ai des problèmes aux articulations. Je ne vois pas comment je pourrai continuer jusqu’à 64 ans. Il faut qu’on soit toutes et tous ensemble dans cette grève. Cela nous protège. Les licenciements se multiplient, alors l’entreprise ne cherche qu’un prétexte pour nous virer. Nous nous sentons vulnérables », explique-t-elle.

Un « bal contre la réforme des retraites » en février, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). « L'idée, c'est de se faire entendre, de discuter avec les gens et de créer des liens avec les luttes locales : la lutte pour les jardins d'Aubervilliers avec les enjeux écologiques, la lutte contre la pauvreté, le mal-logement, les sans-papiers, les écoles... », explique Anouk Colombani, syndicaliste à Sud-Culture.
Bal contre la réforme des retraites
Un « bal contre la réforme des retraites » en février, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). « L’idée, c’est de se faire entendre, de discuter avec les gens et de créer des liens avec les luttes locales : la lutte pour les jardins d’Aubervilliers avec les enjeux écologiques, la lutte contre la pauvreté, le mal-logement, les sans-papiers, les écoles... », explique Anouk Colombani, syndicaliste à Sud-Culture.
©Anne Paq

À Aubervilliers, la mobilisation permet aussi de rapprocher les travailleurs de différents secteurs. Cela s’est matérialisé par une assemblée générale interprofessionnelle et intersyndicale, communément appelée « interpro ». Elle avait été créée lors du mouvement contre la réforme des retraites de 2019-2020. Des assemblées se tiennent avant chaque grande manifestation, ainsi que des évènements locaux.

L’interpro a ainsi organisé une marche aux flambeaux. L’occasion de parler des luttes locales, comme celle des Jardins ouvriers d’Aubervilliers, ou du squat Schäffer, menacé d’expulsion après la trêve hivernale. « L’idée, c’est de se faire entendre dans ce quartier entre Aubervilliers et Saint-Denis, d’être visibles, de discuter avec les gens et de faire des liens avec les luttes locales : la lutte pour les jardins d’Aubervilliers avec les enjeux écologiques, la lutte contre la pauvreté, le mal-logement, les sans-papiers, les écoles, etc. », explique Anouk Colombani, une des organisatrices, syndicaliste à Sud-Culture.

Les universités vont-elles continuer à servir de vivier de contestations et d'apprentissages politiques ? Fermetures administratives de campus ou passage des cours en visioconférences, évitant donc toute présence physique d'étudiants, ont pour l'instant entravé les velléités d'occupation.
Mobiliser la jeunesse
Les universités vont-elles continuer à servir de vivier de contestations et d’apprentissages politiques ? Fermetures administratives de campus ou passage des cours en visioconférences, évitant de fait toute présence physique d’étudiants, ont pour l’instant entravé les velléités d’occupation.
©Anne Paq

Loin de se terminer par les discours habituels sur la place du Front populaire, la déambulation s’est achevée dans un square où des forces de l’ordre étaient en train de nasser une trentaine de jeunes du quartier, en grande majorité noirs et mineurs, qui tournaient un clip. Comme les manifestantes refusaient de partir, et ont commencé à scander des slogans tels que « Tout le monde déteste la police ! » et « Libérez nos camarades ! », les jeunes ont été relâchés.

Les évènements festifs, à l’image d’un « bal contre la réforme des retraites » le 3 février sur la place de la Mairie, sont aussi l’occasion de se rencontrer dans un cadre plus convivial, et permet d’attirer un autre public. En plus de la réforme des retraites, d’autres projets de loi sont critiqués, dont la loi Darmanin sur l’immigration, ou la loi Kasbarian-Bergé qui réprime durement les squats et les locataires précaires. Parmi les prises de parole remarquées, celle des étudiantes de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) du campus Condorcet.

Ils et elles ont témoigné de la répression policière lors de leur tentative d’occupation. Une trentaine d’étudiantes avaient été rapidement mis en garde à vue et ont subi des violences. La direction de l’université a finalement toléré l’occupation partielle d’un bâtiment, qui a été rebaptisé « L’ Acabane ».

Interpeller et contrôler en masse les jeunes : des scènes désormais presque banales... Les lycéen·nes qui tentent de rejoindre le mouvement social subissent une répression instantanée. Au lycée Racine à Paris, bloqué le 7 février, trois élèves ont été emmenés en garde à vue.
Répression
Interpeller et contrôler en masse les jeunes : des scènes désormais presque banales... Les lycéennes qui tentent de rejoindre le mouvement social subissent une répression instantanée. Au lycée Racine à Paris, bloqué le 7 février, trois élèves ont été emmenés en garde à vue.
©Anne Paq

« C’est un bâtiment du campus qui est le fruit d’un partenariat public/privé. Il incarne ce nouveau modèle d’université qui se développe partout, qui tend à aseptiser les facs et qui en dépossède les usagers », détaille une étudiante. « Si on occupe, c’est pour avoir un lieu de vie autogéré dans lequel on peut s’organiser, dans lequel on fait de la politique au quotidien. Notre campus est en plein quartier populaire, il sert à gentrifier le quartier, comme les Jeux olympiques. Occuper, cela permet d’être ouvert sur le quartier, de rompre cette frontière entre étudiants et habitants. Cela permet de faire du lien. »

Les universités vont-elles continuer à servir de vivier de contestations et d’apprentissages politiques ? Fermetures administratives de campus ou passage des cours en visioconférences, évitant de fait toute présence physique d’étudiants, ont pour l’instant entravé les velléités d’occupation. Même l’occupation de Tolbiac, souvent en pointe dans les mouvements de contestation, n’a pas tenu 24 h.

« J'ai joué dans un film qui s'intitule Portrait de la jeune fille en feu. Aujourd'hui j'ai envie de dire: vous pouvez faire la misère au capitalisme et aux bourgeois, et faire le portait de la jeunesse en feu ! », lance l'actrice Adèle Haenel lors d'une soirée à l'université Paris 8 intitulée « féministes et antiracistes: construire la grève générale pour nos retraités et tout renverser! ».
Féministes contre les violences sociales
« J’ai joué dans un film qui s’intitule Portrait de la jeune fille en feu. Aujourd’hui j’ai envie de dire : vous pouvez faire la misère au capitalisme et aux bourgeois, et faire le portait de la jeunesse en feu ! » lance l’actrice Adèle Haenel lors d’une soirée à l’université Paris 8 intitulée « Féministes et antiracistes : construire la grève générale pour nos retraites et tout renverser ! ».
©Anne Paq

Les lycéennes qui tentent de rejoindre le mouvement social subissent également une répression instantanée. Au lycée Racine à Paris, bloqué le 7 février, trois élèves ont été emmenés en garde à vue. À l’université Paris 8, réputée pour son militantisme politique, des assemblées générales interfac ont cependant lieu chaque semaine.

Une soirée spéciale intitulée « Féministes et antiracistes : construire la grève générale pour nos retraites et tout renverser ! » y a été organisée le 20 février. Devant un amphithéâtre bondé, Oumou Gueye, ex-gréviste de la société de sous-traitance Onet, a incité les jeunes à se saisir de ce mouvement : « J’ai arrêté de travailler à 60 ans à cause de la maladie, parce que le nettoyage ne vous laisse pas indemne. Il faut se battre contre cette réforme des retraites, contre la loi Immigration, c’est à vous les jeunes de le faire ! »

Adèle Haenel, actrice connue pour ses prises de position féministes et contre les violences sexistes et sexuelles, y a lancé : « J’ai joué dans un film qui s’intitule Portrait de la jeune fille en feu. Aujourd’hui j’ai envie de dire : vous pouvez faire la misère au capitalisme et aux bourgeois, et faire le portait de la jeunesse en feu ! » Elle a depuis subi les attaques de la droite réactionnaire pour sa participation à la conférence.

Texte et photos : Anne Paq

Notes

[1Le prénom a été changé.